Lecteur fidèle du forum, longtemps anonyme, je dois avouer que cette vidéo a provoqué chez moi une réaction quasi épidermique. Voici pourquoi. C'est un peu long, répétant parfois des choses souvent dites ou allant de soi pour le parti de l'In-nocence, peut-être aussi des énormités, mais j'ose espérer que cela donnera un éclairage sur la manière dont les idées du parti, concernant l'éducation, trouvent écho chez certains sympathisants.
Puisqu'il s'agit de mon premier message, permettez-moi une courte présentation : père de deux enfants, dans la trentaine, ingénieur, et pris d'un intérêt pour la littérature plutôt tardif (c'est à dire après les études). Au début de ma scolarité, j'échappais de peu à la méthode globale, grâce à la bienveillance d'un directeur d'école, lequel était en fin de carrière et n'avait plus rien à perdre. J'appris ainsi à lire correctement. Le reste fut, disons, moins bien facilité. Je constate surtout, après une pause professionnelle m'ayant donné l'occasion de me cultiver bien plus qu'à l'accoutumée, que ce que je pensais être des études bien remplies furent également un incroyable gâchis, en ce sens que beaucoup plus aurait été possible, et ce tant pour les sciences que pour la littérature, la philosophie, l'histoire, les humanités et autres, à commencer par la maîtrise du français. J'enrage de ne pouvoir écrire sereinement un texte sans l'aide du Bescherelle.
Il n'est pas facile de rester calme à l'écoute des déclarations de Marie Desplechin, lorsqu'on a pris conscience de ce qui manque cruellement à soi, de tout ce qui aurai du être appris, transmis, approfondi, maîtrisé, sans compter tout ce qu'il fallut rattraper et ce qui est définitivement perdu. D'autant plus difficile lorsque cela est associé à une idéologie qui, pour faire simple, refuse le développement de chacun car cela est
mal. Je n'ourdis cependant aucun désir de vengeance envers elle. Je ne pense pas qu'il faille vouer cette dame aux gémonies. Simplement, la position qu'elle défend est mortifère, inacceptable, porte sur des points d'éducation si importants qu'ils ne sont pas négociables, pour reprendre le terme employé ailleurs par Didier Bourjon.
Cette dame commence fort, puisque la proposition de simplifier l'orthographe répond à l'inacceptable gouffre, selon elle, se creusant entre le français des lettrés et ce qu'elle nomme une sous-langue vernaculaire. Il ne s'agit ni plus ni moins que de corriger l'inacceptable en nivelant par le bas.
Elle promeut l'idéologie du moindre effort, du refus de l'effort, doublée de l'illusion selon laquelle les élèves sauraient retrouver les règles par eux-même, voire qu'ils seraient déjà experts : il n'est donc pas nécessaire d'apprendre les bases, la théorie, de surmonter son ignorance, pour se lancer dans la pratique proprement dite. On se demande effectivement en quoi maîtriser la grammaire, le vocabulaire, la conjugaison puisse être utile afin d'aller vers les textes (sic). Les figures de style ? Inutiles. Les subtilités de temps de la conjugaison, du vocabulaire ? Superfétatoires, absurdes… Quant à l'exercice de la mémoire: indigne d'un enfant, puisque les chimpanzés pourraient le faire. Cette idéologie n'est malheureusement pas uniquement appliqué à la langue, on la retrouve jusque dans le monde professionnel.
Comment donner aux élèves les moyens de compréhension des textes, d'appréhender la complexité, de se préparer au monde, de développer leur intelligence, leur assiduité, leur mémoire, leur savoir, leur esprit critique, de tirer les leçons du passé, de devenir autodidacte, en un mot libre, si on les prive systématiquement des outils de base indispensables à ces activités ? Les conséquences sur l'avenir des élèves, du peuple, sont considérables.
Les excuses utilisées sont fallacieuses, quand elle ne sont pas contradictoires avec l'objectif affiché. J'accorderais une mention spéciale pour l'apprentissage de l'allemand à la place de la grammaire française. C'est oublier que l'allemand possède une grammaire et que, pour un Français, le vocabulaire allemand requiert de réapprendre le genre de chaque mot. Mention spéciale également pour la métaphore de la voiture, dont l'usage requiert bien sûr un permis, et non d'en connaître l'intimité des rouages. Ce dernier point peut cependant se révéler utile pour celui qui souhaiterait conserver la liberté d'entretenir lui-même son véhicule. Liberté mise à mal par les verrous techniques des constructeurs et les réseaux d'entretiens de ces derniers. Il faudrait suggérer à Marie Desplechin d'analyser cette métaphore jusqu'au bout.
Enfin, je trouve que les quelques notes de bon sens de son discours, relevées à juste titre par d'autres intervenants, ne compensent pas le reste. Qu'on ne puisse pas infiniment s'étendre sur la théorie sans pratique, qu'on puisse commencer par la pratique comme introduction à la théorie, qu'il soit important de lire et écrire, sont des points que je ne conteste pas. Je conteste, en revanche, la distorsion à l'extrême de ces principes en vertu de laquelle les outils théoriques, les exercices et le travail sur soi seraient à proscrire.