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Traite arabo-musulmane : sujet tabou ?

Envoyé par Serge 
14 février 2011, 11:25   Traite arabo-musulmane : sujet tabou ?
Je ne suis pas certain que mon texte, au moins sous cette forme, soit opportun dans un abécédaire. Où le placer ?


Le 21 mai 2001 fut promulguée la loi Taubira, adoptée le 10 mai 2001 par le Parlement. En voici le texte :

Loi n°2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité

Article 1

La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du xve siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité.

Article 2

Les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent. La coopération qui permettra de mettre en articulation les archives écrites disponibles en Europe avec les sources orales et les connaissances archéologiques accumulées en Afrique, dans les Amériques, aux Caraïbes et dans tous les autres territoires ayant connu l'esclavage sera encouragée et favorisée.

Article 3

Une requête en reconnaissance de la traite négrière transatlantique ainsi que de la traite dans l'océan Indien et de l'esclavage comme crime contre l'humanité sera introduite auprès du Conseil de l'Europe, des organisations internationales et de l'Organisation des Nations unies. Cette requête visera également la recherche d'une date commune au plan international pour commémorer l'abolition de la traite négrière et de l'esclavage, sans préjudice des dates commémoratives propres à chacun des départements d'outre-mer.



Cette loi constitue un événement législatif que je tiens pour majeur dans ses implications, sur lequel je voudrais attirer votre attention. Dans son libellé, le texte en est non seulement gravement imprécis mais fautif au regard des faits qu'il prétend dénoncer. C'est au quotidien qu'il pose un cas de conscience à l'enseignant scrupuleux que je me pique d'être comme à certains de mes collègues. Mais ce texte dérange aussi ma conscience de citoyen.
Pourquoi ?

Les tensions sociales sont de nos jours comme l'épais brouillard de novembre, palpables. Elles ne sont pas induites exclusivement par la préoccupation que les Français ont de leurs retraites. En toute chose les déterminismes économiques ont leur part qu'il faut bien reconnaître. Mais à nous contenter d'une analyse "marxisante" nous écartons bien inconsidérément d'autres facteurs décisifs dans la genèse d'une crise de société dont les symptômes préoccupants nous éclatent jour après jour à la figure.

La loi Taubira appartient à ce train de lois dites mémorielles dénoncées à maintes reprises par des collectifs
d'historiens comme portant atteinte à la liberté de la recherche et de l'enseignement. Des pétitions ont circulé, que j'ai, à l'occasion, signées. Le regretté René Rémond y a consacré quelques pages remarquables dans un opuscule qu'il avait intitulé Quand l'Etat se mêle de l'histoire paru en 2006, peu avant sa disparition. Je souscris, bien sûr, à ses analyses.

La loi Taubira est scandaleuse car elle présente un danger pour la cohésion et la paix sociales à un moment où la France est en proie à de préoccupantes divisions, à des tentations communautaristes sans précédent, tentations qui dessinent au-dessus de nos têtes une sombre menace pour l'existence même de ce qu'il reste à ce jour de nation française.

Car la nation française, objectivement, qu'en reste-t-il ?

La nation, dans ma vision des choses, c'est cette collection d'individus et de groupes humains riches de leur passé mais d'un passé assumé, groupes humains d'origines, de cultures différentes mais animés par le désir, toujours, de « vivre ensemble » et ensemble dessiner l'avenir. Je doute qu'à l'heure où nous parlons la France soit toujours une nation à la lumière de cette définition. Je tiens pour acquis, et je vais tenter de m'en expliquer, que la loi Taubira représente un péril sérieux pour le présent comme pour l'avenir, sous-estimé dans ses prolongements intellectuels, pédagogiques, éthiques, sociaux, humains, dans la mesure où elle contribue sournoisement à forger, dès l'école, des identités artificielles sur lesquelles différents groupes ethniques ont tendance aujourd'hui à se crisper. Et ces groupes finissent par se définir, non en synergie mais en opposition avec le reste de la communauté nationale.

Qu'est-ce donc, qui, dans le libellé de cette loi, poserait des problèmes de cette ampleur ?

Hé bien, après avoir affiché en son titre l'intention de forcer la reconnaissance de « la traite et [de] l'esclavage en tant que crimes contre l'humanité » le premier article dispose, je cite :

« La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité. ».

On le voit, la loi réduit d'emblée et délibérément son champ d'application à la seule traite imputable à l'Occident en passant sous silence les traites arabo-musulmane et africaine. Pourquoi ?

Dans le pillage de l'Afrique et ses hémorragies démographiques, tous ceux qui ont quelque peu étudié la question savent bien que la traite atlantique n'est pas seule en cause.

Patrick Girard, journaliste et docteur en histoire, en parle mieux que moi : la traite arabo-musulmane, « qui s'étend du VIIe au XXe siècle a arraché à l'Afrique, via les routes transsahariennes, autant d'esclaves, si l'on ajoute ceux raflés en Afrique centrale et orientale, soit environ 11 millions de personnes, que la traite «occidentale», matériel humain destiné aux pays du Maghreb, à l'Egypte, à la Syrie ou à l'Irak (article paru dans Marianne, le 07 mai 2005).

A l'aube du XVIIe siècle, la traite atlantique dite triangulaire déploie ses filets mortifères sur le continent africain. Cependant « toute l'Afrique centrale et orientale est décimée par les razzias esclavagistes menées par les négociants arabes installés tout le long de la côte swahilie, sur l'océan Indien. Si l'île de Gorée, au large de Dakar, est devenue le symbole de la traite européenne, qualifiée par feu Jean Paul II de «crime contre l'humanité», l'île de Zanzibar fut l'épicentre de la traite arabe ; de 1839 à 1875, 650 000 captifs transitèrent par Stone City, ville dont les sultans étaient originaires d'Oman. Les marchands locaux remontaient jusqu'à l'actuelle République démocratique du Congo pour
se fournir en «pièces d'ébène»... »

Plus édifiant :

« Début 2005, des cérémonies d'affranchissement d'esclaves ont eu lieu dans le nord du Niger, preuve de la survie de cette institution sur une échelle plus vaste qu'on ne le pense d'habitude », remarque encore l'historien qui s'étonne du silence entretenu en Afrique comme en France autour de cette traite y compris les 10 mai, à l'occasion des cérémonies de commémoration de l'abolition de l'esclavage. »

Cet historien n'est pas le seul à s'étonner : "Pourquoi continuer à ne parler, comme le font encore tant d'auteurs, que des négriers de Nantes et de Bordeaux, que de cette traite européenne et atlantique, en la considérant comme seule responsable des misères de l'Afrique, de ses souffrances, de sa pauvreté et de son dépeuplement ?" (Jacques Heers, Les négriers en terre d'islam. La première traite des Noirs VIIe-XVIe siècle, coll. Tempus, Perrin 2007, 1ère éd. 2003, p. 7).

Voir également les travaux récents de l'écrivain anthropologue franco-sénégalais Tidiane N'Diaye dont on peut saluer l'honnêteté intellectuelle, précieuse et rare à l'heure où nous parlons :




Pour l'historien Pétré-Grenouilleau, la traite orientale, qui perdure du VIIe siècle aux années 1920, aurait asservi 17 millions
d'Africains. A cela il faut ajouter 3 à 4 millions d'esclaves « blancs » raflés par les Turcs, mais aussi les pirates barbaresques du Maghreb.


Voilà, ce que j'ai tendance à regarder comme l'inqualifiable arbitraire qu'implique le parti pris de nos parlementaires doublé d'une invitation à construire et nous approprier une mémoire ô combien sélective du passé.

La mise en oeuvre de la loi Taubira comporte un volet pédagogique et universitaire non moins contestable, que l'on découvre à la lecture de l'article 2 :

« Les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l’esclavage la place conséquente qu’ils méritent. »

Quelle interprétation donner au terme « conséquente » ? Qu’est-ce qu’une « place conséquente » dans les programmes scolaires ?

Qui sera juge ? Il va de soi que quiconque estime que ces phénomènes historiques ne reçoivent pas dans l’enseignement la « place conséquente » à laquelle « ils ont droit » est, aux termes de la loi, fondé à protester.

Qu'introduit donc la loi ? Liberté de manoeuvre donnée à l'enseignant ou arbitraire, fonction des sensibilités particulières ?

Pas mal de mes collègues dont la sensibilité est, disons-le sans far, plutôt très à gauche, non seulement usent de
cette licence mais font du zèle, ne reculant devant rien ou peu de chose pour faire vibrer la corde émotionnelle de leurs auditoires, soit qu'ils soient ignorants des dessous d'une traite arabo-musulmane ou africaine que personne ne s'est donné la peine de leur décrire, soit au sujet de laquelle ils préfèrent faire la sourde oreille pour des raisons probablement idéologiques. L'omission délibérée par la loi Taubira de cette traite trouve ici l'un de ses prolongements les plus pernicieux.

Autre écueil : du point de vue juridique, la loi Taubira viole, dans son esprit comme dans son libellé, le principe de
non rétroactivité des lois figurant dans l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit. »

Ce qui est rétroactif ici, c’est évidemment la définition même du crime. Celui-ci est en effet qualifié à l'aide d' un concept étranger aux mentalités et aux sociétés de l'époque, avec trois siècles de retard, puisque c'est en 1945, lors du procès de Nuremberg, que la notion de « crime contre l'humanité » a été forgée.

L'anachronisme est un péché mortel dont tout historien est invité à se garder.

Faudrait-il que les Grecs condamnent, par une loi, leurs ancêtres de l’Antiquité, pour « crime contre l’humanité » ? C'est à la fois absurde et ridicule.

De quel droit et dans quel but passer sous silence la traite musulmane – qui fut le plus durable sinon le plus important commerce négrier de l’histoire – et la traite africaine, non moins odieuse ? Voilà qui est pour le moins déconcertant. La loi Taubira ment par omission. Elle ne désigne qu'un coupable unique : l’Occident.

J'ajoute qu'il s'agit clairement d’une loi discriminatoire et fondamentalement raciste dans la mesure où elle semble attribuer aux seuls Européens, aux Blancs, l'inclination à faire commerce d'êtres humains réduits au rang de marchandises.

Il est d'autres conséquences de cette omission : en vertu de l’article 5 de la loi Taubira, toute association peut engager des poursuites visant à « défendre la mémoire des esclaves et l’honneur de leurs descendants ».

Mais qui sont-ils, ces descendants d’esclaves ? Ont-ils un arbre généalogique qui prouve, de manière irréfutable, leur filiation avec un esclave ? N’y a-t-il pas, aussi, parmi les Noirs de France, des descendants d’esclavagistes puisque les Africains furent aussi négriers ?

Nous savons en effet qu'au XVIIIe siècle, alors que la traite atlantique bat son plein, les négriers européens ne s'aventuraient guère à l'intérieur des terres. Car toute incursion s'avérait dangereuse sur le plan sanitaire (à défaut de quinine et d'antibiotiques, de sérums antivenimeux...) et pouvait couter la vie aux plus audacieux. Ainsi, ce sont des tribus noires qui dans la plupart des cas capturaient les membres de tribus voisines avant de les livrer aux trafiquants contre monnaie sonnante ou quelque verroterie, de l'alcool, etc.

Et où sont-ils, aujourd'hui, ces descendants de négriers africains ? On a bien quelque idée de l'identité des collaborateurs et miliciens français de Vichy...Des travaux, innombrables, ont été consacrés à cette douloureuse question. Un procès gigantesque a tenté de faire la lumière sur ces affaires à Nuremberg. Mais des négriers africains et de leurs descendants nous ne savons quasiment rien. Mais serait-il dans l'intérêt des Etats africains concernés de faire toute la lumière sur ce passé plutôt que de se poser globalement en victimes et réclamer comptes et dédommagements ?
On imagine la réaction du CRAN, du Collectif des Antillais, de SOS-Racisme, du MRAP, de la LICRA à l'évocation, même du bout des lèvres, d'une hypothèse de cette sorte. Et pourtant !

On remarquera aussi que la loi agit probablement à rebours de l’histoire puisque l'histoire a pour vertu première justement de mettre de la distance entre le passé et le présent par la compréhension et l'analyse critique. L’histoire vise, entre autres, à nous libérer du carcan du passé pour mieux aller de l'avant. Elle ne vise pas à figer le présent dans l'ambre d'un passé reconstruit pour les besoins d'une cause, si juste qu'elle se prétende. En l'occurrence la légitimité de cette loi est évidemment contestable à la fois dans ces intentions et dans ses conséquences prévisibles.

Et que penser d'un article premier qui dispose que l’esclavage et la traite ont été pratiqués « contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes ». Les Amérindiens et les Indiens auraient été déportés à travers l'Atlantique ? Que d'approximations dans un texte à visée législative qui a la prétention de faire jurisprudence à l'échelle de l'Europe !

On peut déplorer qu'une loi, contraignante par nature, ait été à ce point mal rédigée.

En définitive, nous sommes placés là devant une falsification de l’histoire, un mensonge délibéré approuvé par Jacques Chirac qui alors Président de la République a promulgué une loi élaborée sur le fondement d'une réécriture partiale et partielle de l'histoire.

Quid de la liberté intellectuelle, quand, en 2005, l'historien Olivier Pétré-Grenouilleau, est traîné en justice par le
Collectif des Antillais, Guyanais et Réunionnais et le Collectif des fils et filles d’Africains déportés pour son oeuvre considérable : Les traites négrières. Essai d'histoire globale ?

N'est-il pas édifiant que l’assignation au tribunal stipule : « En disant que la traite s’est étendue sur treize siècles et cinq
continents, Monsieur Pétré-Grenouilleau a révélé la volonté d’éluder le caractère particulier de la traite transatlantique en impliquant une couverture temporelle et géographique plus vaste que celle retenue par la loi. »

Depuis quand une loi aurait-elle mission de définir le champ intellectuel dans lequel l’historien doit travailler ?

Les associations ont poursuivi Olivier Pétré-Grenouilleau pour négation de crime contre l’humanité suite à un entretien qu’il avait accordé au Journal du Dimanche du 12 juin 2005 dans lequel il tenait le propos suivants :

« Les traites négrières ne sont pas des génocides. La traite n’avait pas pour but d’exterminer un peuple. L’esclave était un bien qui avait une valeur marchande qu’on voulait faire travailler le plus possible. Le génocide juif et la traite négrière sont des processus différents.»

Les prétendus représentants des « descendants d’esclaves » ont fait une lecture tendancieuse des propos de l’historien en dévoilant à l'occasion leur connaissance très approximative du Code pénal. "Le génocide en effet ne constitue que l’une des catégories situées sous l’appellation de crimes contre l’humanité. Un génocide est forcément un crime contre l’humanité, mais la réciproque n’est pas vraie."

En cela Pétré-Grenouilleau n'a fait que revenir à la définition du génocide, rigueur qui démontre si besoin était que ce monsieur accorde une grande importance au sens des mots dont il use, une importance somme toute à la hauteur des prétentions de son travail.

Cette loi a pour effet de contribuer à diviser, en France, le corps social en confortant les uns dans une posture de victimes a priori et condamnant les autres à faire figure d'éternels bourreaux par un travestissement coupable du passé doublé d'une manipulation des mémoires. Que Jacques Chirac ait pu apporter sa caution à une entreprise de cette nature me déconcerte.

En conclusion, j'estime que la Loi Taubira n'est pas seulement dommageable pour le chercheur ou l'universitaire sincère et scrupuleux dans sa démarche. Elle ne se contente pas de limiter sa liberté de la manière la plus illégitime.

Cette loi n'est pas seulement inacceptable en ce qu'elle contribue à fabriquer, à l'école, des Français ignorants du passé et dont les réactions, dans la société qu'ils fréquentent et face aux événements qui secouent l'actualité sont tristement prévisibles.

Elle est criminelle en ce qu'elle contribue à dresser les Français les uns contre les autres en des temps où nous avons besoin de retrouver une cohésion sévèrement malmenée au quotidien. L'actualité fournit à cet égards une multitude ininterrompue d'exemples édifiants.

Cette loi est un ferment de dissensions. Elle porte en germe une incompréhension réciproque de "communautés" qui se regardent de plus en plus ouvertement comme des ennemis au sein d'un espace national mal partagé.

Ce texte doit être modifié ou abrogé.

Il est une insulte à l'histoire et aux professionnels de la discipline dont je fais partie.

C'est une imposture qui se retourne contre nos concitoyens en contribuant à la sédimentation d'identités sociales falsifiées.

Il invite des enseignants à mentir quotidiennement et parfois de façon délibérée.

Ce texte est indécent.

D'aucuns me rétorqueront peut-être qu'en temps de crise les priorités sont autres. Détrompons-nous : une nation, quand elle est unie, peut surmonter les crises les plus graves. Une nation opulente mais divisée finira par sombrer.

Il y a donc urgence à rendre à César ce qui est à César.

Cessons d'opposer inconsidérément et artificiellement à la souffrance des uns la tyrannie des autres.
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