Editorial n°1
Nouvelles du Parti. L'avant-projet et les questions fiscales.
Le Parti n'est pas encore né que déjà il ne se
porte pas trop bien. Qu'il voie le jour est loin d'être certain,
même, car l'avant-projet avancé sur ce site n'a suscité
jusqu'à présent que deux vocations à la prise de
carte, dont celle d'une personne de nationalité étrangère,
qui en cette qualité ne pourrait peut-être pas faire partie
des trois responsables nécessaires pour un acte fondateur officiel,
en l'occurrence le dépôt des statuts. Avec seulement deux
membres virtuels (et virtuels en plus d'un sens), le Parti de
l'In-nocence ne peut pas être inscrit, pour le moment, sur les
registres administratifs. Il n'existe pas.
Il est vrai que la seule publicité qui lui ait été
faite le fut sur le site-frère de la "Société
des Lecteurs de Renaud Camus", qui n'a pas témoigné
à son endroit un très grand enthousiasme et d'où
se sont élevées, même, d'assez vives critiques,
d'ailleurs sérieusement motivées, en général.
L'annonce du projet de fondation du Parti a donné lieu, sur le
site de la Société des Lecteurs, à une discussion
abondante et le plus souvent de haute qualité, y compris quant
aux aspects les plus "techniques" du programme (ou qui devraient
l'être et qui justement, selon certains, ne l'étaient pas
assez).
Un participant au forum de discussion du site a émis l'opinion
que la fondation d'un "club de réflexion" serait plus
adéquate et plus raisonnable que celle d'un parti, lequel ne
serait jamais qu'un minuscule parti de plus, voué à l'obscurité,
à l'impuissance et sans doute au ridicule. Mais on peut se demander
si les "clubs de réflexion" sont beaucoup moins nombreux
que les partis à proprement parler, et fonder un club de plus,
plutôt qu'un parti, semble procéder du même état
d'esprit que celui qui consiste, lorsqu'on est à la tête
d'un Monument historique en attente de restauration, à commencer
par aménager les communs et à s'y installer : il est constant
que trente ans après, on est encore dans les communs...
Fonder un "club de réflexion", c'est une initiative
affreusement sage, tout à fait dépourvue de romanesque
et d'esprit d'aventure. Rien que d'y penser on s'ennuie déjà.
Tandis qu'un parti... Au moins on n'a pas le bon sens de son côté.
Et quand on voit le monde qu'a créé le bon sens on se
dit qu'il ne serait pas mauvais, peut-être, de donner sa chance,
parallèlement, à un peu de fantaisie.
Quant au ridicule il est le premier des risques à courir. Est-ce
M. Raffarin est ridicule, lui ? Bien sûr que non ! Et y avait-il
personne de moins ridicule que Lionel Jospin ? On objectera que Jacques
Chirac est bel et bien ridicule, lui. Ce n'est pas contestable. Mais
il n'assume pas cette condition, il fait tout pour essayer de la cacher,
il en a honte. Ne soyons pas chiraquiens. Ayons le courage du ridicule.
D'un autre côté, ceux qui ont déploré que
l'avant-projet soit beaucoup trop flou (et certes il l'est) paraissent
craindre que nous n'arrivions trop vite au pouvoir, et ne soyons pas
tout à fait prêts. A la vérité ce danger-là
ne paraît pas trop pressant. Il semble que nous ayons tout le
temps d'affiner un peu nos propositions, avant de les soumettre à
l'épreuve des faits. C'est précisément ce que pour
ma part je proposais sans grand succès comme on voit.
Assez curieusement, ce sont les questions fiscales qui ont suscité
les échanges les plus soutenus, et les plus précisément
argumentés. Je dois dire que j'avais abordé ces problèmes-là,
dans le premier état de l'avant-programme, à seule fin
d'être le moins incomplet possible, et qu'ils ne comptaient pas
parmi les plus importants, dans mon esprit. Les propositions que j'avançais
ont fait l'objet des critiques les plus acerbes, et se sont vu accusées
d'inconséquence, de légèreté inqualifiable,
d'amateurisme extrême et même de "marie-chantalisme"
- un qualificatif qui d'ailleurs remontait à partir d'elles jusqu'à
l'ensemble de l'avant-projet, et jusqu'à l'idée même
de la création d'un parti.
Les très vives objections apportées, extrêmement
détaillées bien qu'elles fussent données comme
un simple prélude à plus d'objections encore et plus de
précisions, ressemblaient fort à ces avis d'experts, venus
du sein même de l'Administration, en général, qui
noient sous les considérations et contre-considérations
les mieux fondées, mais inépuisables, les lois et les
projets de lois les plus simples et les plus nécessaires, et
qui se révèlent en ce sens l'un des moyens les plus efficaces
de la paralysie : on ne peut rien faire parce que si on fait cela il
arrivera ceci, ceci et cela, tandis que si on fait ceci... etc. - moyennant
quoi on ne fait jamais rien, le politique cède la place à
l'administratif, et le gouvernement à la raffarinesque gouvernance.
Les mesures que je proposais en la matière, et que je maintiens
à titre de propositions, quoiqu'elles doivent bien sûr
être infiniment affinées, et complétées,
relevaient uniquement des considérations suivantes :
1/ les prélèvements fiscaux qui dépassent
le tiers des revenus d'un contribuable donné me paraissent nettement
abusifs, et s'apparenter de près, sinon au vol, du moins à
l'exaction et à l'abus de pouvoir;
2/ moralement peu défendables, même au titre de
la nécessaire et souhaitable redistribution, de tels prélèvements
me semblent économiquement et financièrement nuisibles.
Ils découragent les plus entreprenants des citoyens, ceux qui
sont le plus indispensables à la vitalité de l'économie
et qui, par leurs dépenses, contribuent le mieux au dynamisme
commercial : ou bien ils les incitent à quitter le pays, ou bien
ils les dissuadent de travailler plus et de laisser libre cours à
leur ambition professionnelle, qui risque fort de leur coûter
plus cher qu'elle ne leur rapportera. M. Raymond Barre parlait récemment
de "leucémie économique" pour désigner
les conséquences de ces sur-taxations. Il estime que leur suppression
donnerait un sérieux coup de fouet à la situation économique
globale, et que bien loin de réduire ce que rapporte à
l'Etat, globalement, l'impôt sur le revenu, elle pourrait l'augmenter.
Je dirai simplement que mes positions sur la question sont à
peu près celles de M. Raymond Barre.
Un objecteur faisait remarquer que quatre-vingt-dix pour cent des élèves
des Grandes Ecoles étaient issus de la bourgeoisie, et que de
tels élèves coûtaient chacun six fois plus cher
aux contribuables que les étudiants des facultés; qu'il
était bien normal en conséquence que leurs parents fussent
surtaxés puisque, payant plus, ils recevaient plus. A quoi je
répondrai :
a) qu'il y a surtaxation et surtaxation et, une fois de plus,
que celles qui dépassent le tiers des revenus sont de toute façon
exagérées;
b) que la classe qui paie quarante, cinquante, soixante ou soixante-dix
pour cent d'impôt sur ses revenus est si étroite qu'elle
ne saurait être celle qui fournit quatre-vingt-dix pour cent des
élèves des Grandes Ecoles;
c) que dire que quatre-vingt-dix pour cent des élèves
des Grandes Ecoles sont d'origine "bourgeoise" est faire de
l'adjectif "bourgeois" un usage purement sociologique et même
économique, et désigner de façon indifférenciée
une classe aux revenus moyens qui pourrait tout aussi bien, pour la
plus grande part, être appelée "petite bourgeoise"
(cf. Du sens);
d) qu'au sein de cette vaste classe "petite bourgeoise"
à laquelle appartiennent sans doute la grande majorité
des parents des quatre-vingt-dix pour cent des élèves
des Grandes Ecoles qui ne sont pas d'origine populaire, beaucoup de
ces parents sont sans doute les premiers , dans leur famille, à
avoir accédé, par leurs revenus, à la petite bourgeoisie;
e) et donc que pour juger s'il est bien exact, même d'un
point de vue purement sociologique ou économique, que quatre-vingt
dix pour cent des élèves des Grandes Ecoles sont d'origine
bourgeoise (ou petite-bourgeoise), il faudrait prendre en considération
non seulement la situation de leurs parents mais aussi celle de leurs
grands-parents;
f) ce qui permettrait de constater, peut-être, que "l'ascenseur
social", selon l'expression consacrée, ne fonctionne pas
tout à fait si mal qu'on veut bien le dire mais qu'il exige souvent
plus d'une génération pour faire passer les membres d'une
famille d'une classe ou d'une section de classe à une autre.
Le même et très compétent critique des premières
propositions fiscales du Parti de l'In-nocence faisait remarquer que
ne pouvait être comparé que ce qui est comparable, et que
si les prélèvements fiscaux étaient effectivement
plus importants en France que dans d'autres pays de même niveau
de développement, les services sociaux offerts aux citoyens étaient
également supérieurs (santé, éducation,
transports, etc.); et que toute sérieuse réduction d'impôts
entraînerait nécessairement une réduction concomitante
de la qualité de ces services sociaux, et leur inévitable
détérioration (comme en Grande-Bretagne). Etait-ce bien
là ce que voulait le Parti ?
Non, ce n'est pas ce que veut le Parti (ce parti non-existant). Aussi
bien le Parti ne propose-t-il pas une baisse systématique des
prélèvements globaux. Il propose une baisse de la surtaxation
des revenus les plus élevés, parce qu'une surtaxation
aussi marquée est injuste et démagogique, selon lui, parce
qu'elle procède d'une pure pulsion de vindication sociale, parce
qu'elle rapporte peu d'argent à l'Etat au regard de la considérable
nocence qu'elle inflige aux particuliers qui y sont assujettis, et surtout
parce qu'elle nuit grandement au dynamisme économique.
On dira que l'In-nocence ne propose en matière fiscale, à
ce stade, que des mesures favorables aux riches et aux très riches,
et rien pour les autres. Ce n'est vrai qu'à très court
terme : car de telles mesures, qui réduiraient très peu
ou même pas du tout le revenu global de l'impôt, auraient
un effet économique dont le bénéfice serait général.
Quand on tire à vue sur l'argent pour la seule raison qu'il est
l'argent, lui va voir ailleurs s'il n'y serait pas un peu plus apprécié,
ou bien il s'enferme chez lui, et personne n'en voit plus la couleur.
L'existence des riches est nécessaire au bien public, à
la vitalité du commerce, à la prospérité
des arts et même à la vie de l'esprit. Toutes les sociétés
qui ont voulu supprimer la richesse des particuliers ont commencé
par mettre fin à leur propre aisance, et gravement attenté
à la liberté.