Le site du parti de l'In-nocence
Ces deux termes font une curieuse association. Ils pourraient à bon droit passer pour antinomiques. La communication, c'est vrai, ne s'est que trop souvent révélée rivale de la culture : son adversaire tonitruant, son très insatisfaisant substitut, son ambassadeur infidèle, son chargé d'affaires indélicat, quand ce ne fut pas son fossoyeur. Il faut néanmoins assumer ce paradoxe : c'est peut-être dans le champ de la communication, surtout audiovisuelle et radiophonique, que la culture et son essor dépendent le plus étroitement de l'action politique, législative et gouvernementale. En matière de culture, en effet, le pouvoir politique, même s'il peut être commanditaire à l'occasion, n'est pas créateur à proprement parler. Sa tâche est de faire savoir, de faire connaître, de faire aimer, de faire juger, d'inciter, de protéger, de rendre possible et d'assurer les liaisons, à travers l'espace comme à travers le temps, entre les hommes autant qu'entre les formes, entre les idées et les âges. Or ce sont là des exigences qui pour une large part relèvent bien de la communication : laquelle, si elle n'est pas au coeur de la culture, bien loin de là, se trouve très légitimement, en revanche, au centre d'un projet politique d'action culturelle.

L'éducation et l'écologie, certes, sont également des domaines où l'autorité de l'État et la force de la loi ont une vocation naturelle à se manifester. Et l'une et l'autre ne sauraient être envisagées qu'en ayant constamment présente à l'esprit la culture, de même qu'on ne saurait se soucier de la culture sans faire à tout moment référence, au moins implicitement, à l'éducation et à l'écologie. Celles-ci constituent cependant des territoires si vastes, et d'une telle importance pour la réflexion comme pour l'action, qu'elles seront bien sûr envisagées, dans ce programme, à leur place respective.

Qu'il suffise de poser ici, en attendant, et afin de souligner l'étroitesse des liaisons, que c'est à l'éducation, et pour une part essentielle à l'école, qu'il revient, selon le parti de l'In-nocence, de susciter et de développer la curiosité et le goût à l'endroit de la culture, d'assurer les moyens de l'appréhender, de maintenir et de hausser le niveau des désirs et des exigences la concernant, d'assurer la sauvegarde, le renforcement, l'élargissement et le renouvellement de l'héritage culturel. C'est la culture, c'est la connaissance, c'est le sens du sens et son destin parmi les hommes, qui sont au sommet (plutôt qu'au centre, nécessairement placé plus bas) de l'entreprise éducatrice : l'inscription de l'immédiat et du contingent au sein du temps, la médiation par les oeuvres, et d'abord l'idée même de médiation, c'est-à-dire la claire conscience qu'il y a de l'autre, du tiers, de la règle, de l'extérieur à soi et en soi, de la marge pour le progrès personnel et pour la découverte, de l'espace pour le pacte social et pour l'in-nocence.

Étroitement liée elle-même à l'éducation, qui compte au nombre de ses missions d'introduire à la réflexion sur elle, et sur la citoyenneté sa soeur, l'écologie, pour sa part, ne saurait être réduite à ses traditionnelles dimensions biologiques, biotiques, édaphiques et climatiques, si essentielles qu'elles soient bien sûr. Le parti de l'In-nocence est convaincu qu'il convient d'ajouter à ces approches-là des considérations proprement esthétiques, et donc étroitement culturelles, liées à l'environnement elles aussi, mais qui témoignent du souci de sa beauté et de sa laideur, de l'harmonie, de la dureté voire de la violence des relations qu'il instaure, qu'il autorise ou qu'il rend impossibles au contraire, entre les hommes d'une part, entre les hommes et la nature d'autre part, entre les hommes et la solitude, les hommes et l'art, les hommes et l'histoire, la pensée, la conscience, la beauté : toutes valeurs dont il s'agit de préserver, d'établir ou de rétablir le respect dans le territoire sensible, au même titre que les équilibres naturels, que la pureté de l'air, la limpidité de l'eau, la saveur ou l'in-nocence des aliments.

Le parti s'inquiète profondément de la place toujours plus étroite, plus marginale et moins visible, plus nocturne, qui dans l'espace public est faite à ce qui s'appelait jadis la culture tout court, et qu'on dénomme couramment à présent "grande culture", comme pour réduire encore son rôle et sa fonction. Il y voit la menace d'une radicale déculturation, voire d'une sortie de la civilisation en général : comme si c'était l'expérience la plus haute de l'humanité depuis trente ou quarante siècle qui se trouvait récusée de fait, au bénéfice du seul profit et de la popularité immédiate, du succès quantifiable, du nombre pour le nombre, d'une efficacité prétendue, d'un amusement toujours plus trivial, d'une égalité mal comprise qui ne mène à rien d'autre qu'à l'abêtissement général et à la violence, à la loi du plus fort et du plus bas. Il déplore et il entend combattre l'élargissement constant, attrape-tout et démagogique du concept de "culture", et la dilution de sens qui en résulte, non sans aggraver au passage le danger d'effacement et de disparition qui pèse sur la culture elle-même, submergée qu'elle est par les diverses cultures prétendues, "cultures de groupe", "cultures de génération", "cultures de quartier", "cultures de classe" et autres "cultures d'entreprise". Justement appelée naguère encore "culture générale", la culture expire sous l'assaut des diverses cultures particulières, comme la musique a rendu l'âme sous l'assaut des diverses musiques, qui ont fini par se substituer à elle, après lui avoir volé son nom. Plus précieux des biens communs d'une nation la culture, dès lors qu'elle est elle-même émiettée, laisse cette nation sans défense face aux divers communautarismes et au processus plus ou moins rapide de son propre émiettement.

Le Parti de l'In-nocence est favorable à la création et au développement de chaînes de télévision et de radio subventionnées à caractère résolument culturel, et à leur maintien et renforcement lorsqu'elles existent déjà, comme c'est le cas d'Arte, de la Cinq, de France Culture et France Musique. Il souhaite néanmoins leur centrement ou recentrement autour d'activités et de programmes relevant incontestablement et directement de la culture proprement dite, de préférence la plus haute - de l'art, de la musique, de la littérature, du cinéma d'auteur, de la philosophie et de leur histoire ainsi que de l'histoire en général -, et cela aux dépens du débat idéologique d'une part, du divertissement et des variétés d'autre part, qui auront toute leur place sur d'autres canaux de diffusion.

Le parti de l'In-nocence souhaite l'institution d'une véritable chaîne de télévision culturelle qui ait recours à l'extraordinaire vivier presque inexploité sur les ondes que constituent les artistes, les écrivains, les professeurs et les intellectuels, tant étrangers que français. Alors qu'ils ont été de plus en plus sévèrement exclus de l'univers médiatique, ceux-là disposeront au contraire d'un lieu d'échange et d'expression publics, riches en débats, en exposés et en documents cinématographiques, iconographiques et musicaux, en commentaires savants et croisés, pour lesquels le truchement journalistique sera réduit autant que faire se pourra. C'est aux créateurs et aux véritables experts qu'iront au premier chef la parole et les moyens techniques et artistiques de l'illustrer et de la rendre plus attrayante et plus claire, en un pari pleinement assumé sur la qualité d'écoute et la volonté d'attention d'une partie du public. Et c'est aux penseurs, danseurs, compositeurs, interprètes, peintres, sculpteurs, réalisateurs, poètes et prosateurs du monde entier qu'il sera offert, conformément à l'usage français, une tribune à la diffusion si possible internationale, dans le plein respect de leurs idiosyncrasies et des nôtres.

Sur cette chaîne de télévision vraiment culturelle, les films étrangers seront bien sûr diffusés dans leur version originale sous-titrée, le principe général étant celui d'une curiosité, d'un goût et d'un amour pour l'autre en tant qu'il est autre et non pas en tant qu'il est pareil à nous, assimilable à nous, interchangeable avec nous. Toutes les époques seront convoquées au même titre que toutes les nations, et dans le même respect pour leurs caractères spécifiques, quels que soient l'éloignement qu'ils impliquent, les rapprochements, les comparaisons et les jeux qu'ils autorisent. Au théâtre, à l'opéra, à la danse et au cinéma d'auteur il sera fait une place essentielle, dans leurs aspects contemporains et novateurs aussi bien qu'en leur répertoire classique.

Autant sera respectée la langue étrangère des étrangers et de leurs oeuvres, autant sera soutenue la langue française en tant que langue nationale et langue internationale, non pas dans sa pureté ou dans une quelconque raideur, comme le croient et comme le rabâchent ceux qui n'ont de cesse de la bafouer, mais dans sa souplesse au contraire, dans l'élasticité de ses articulations, l'ampleur de son clavier sémantique et la complexité de sa syntaxe, dont l'objet est précisément de lutter contre le stéréotype dans l'expression et dans la pensée, comme de reconnaître et d'honorer la place de l'autre dans la parole.

L'usage de la langue française sera défendu par la loi, en particulier au sein des divers organismes et services qui dépendent directement ou indirectement de l'État. La qualité de cet usage, elle, sera soutenue par l'action culturelle, par le débat public, la communication et le jeu. Au grand intérêt qu'ont toujours manifesté les Français pour leur langue il sera donné toute latitude de se manifester, sur l'ensemble des chaînes de la télévision publique, et pas seulement sur les chaînes culturelles ou éducatives. On peut imaginer par exemple que certaines émissions de caractère général, informations, reportages, débats, etc., soient suivies de courtes émissions d'esprit ludique où des invités divers, spécialistes, stylistes reconnus ou simples praticiens, seraient invités à se prononcer, arguments à l'appui, sur le vocabulaire, la syntaxe et le style de ce qu'ils viendraient d'entendre - la seule condition étant bien sûr que ceux et celles qui auraient prononcé les phrases examinées aient donné leur consentement préalable à ce qu'elles soient l'objet de pareilles discussions.

Outre la chaîne culturelle sera créée une chaîne de télévision numérique interactive à vocation éducative et même didactique, qui ne sera pas destinée seulement à la jeunesse mais à l'ensemble de la population de tout âge qui souhaitera y avoir recours afin d'acquérir ou perfectionner ses connaissance du français ou des langues étrangères, de l'histoire, de la littérature, de la musique, des arts, des sciences et de tous les principaux domaines de la connaissance. Il va sans dire qu'une telle chaîne, malgré son caractère résolument éducatif, n'aura en aucune façon vocation à se substituer à l'enseignement traditionnel.

La politique culturelle de l'Etat doit assurer que l'offre de haut niveau, dans le domaine strictement culturel, est le plus large possible. Il revient aux pouvoirs publics de soutenir tous les arts, en celles de leurs manifestations qui en ont véritablement besoin et qui témoignent d'un degré élevé de qualité, d'invention et de pertinence. L'appréciation des besoins, des mérites, et de l'opportunité du soutien, revient principalement à des comités de hauts fonctionnaires, d'experts et d'artistes, réunis autour du ministre de la Culture et choisis pour leur compétence, leur expérience, leur goût ou la qualité reconnue de leurs propres accomplissements.

La politique culturelle de l'État doit veiller à l'entretien et à l'enrichissement du patrimoine naturel, historique, architectural et muséographique. Elle doit s'attacher à protéger non seulement les monuments mais les sites dans lesquels ils s'inscrivent, qu'ils soient urbains ou ruraux. Le parti de l'In-nocence est partisan d'un renforcement très marqué de la législation tendant à la protection esthétique et culturelle du cadre de vie, des paysages, du littoral. Il souhaite surtout que cette législation soit beaucoup plus rigoureusement appliquée qu'elle ne l'est.

Le parti de l'In-nocence estime de la plus haute importance qu'il ne soit pas empiété davantage sur l'espace non bâti. Il juge essentiel pour la culture, pour l'intelligence maintenue des oeuvres du patrimoine lyrique, musical, philosophique, religieux et autre, pour la conservation des sentiments qui ont inspiré ces oeuvres-là et qui peuvent en inspirer d'autres, que soient protégés le paysage et son ampleur, sa vastitude ou ce qu'il en reste, les réserves subsistantes d'espace libre, le sentiment physique de la liberté d'aller et venir, la qualité de la relation des hommes et des femmes avec le territoire dans son silence et dans sa solitude, au moins lorsque silence et solitude sont désirés, et pour ceux-là qui les désirent. Pour que soient assurés cette protection et cette conservation il compte sur l'évolution démographique naturelle, telle qu'elle a déjà témoigné des signes très encourageants de reflux ; sur le strict contrôle de l'immigration ; et sur l'action législative et réglementaire en faveur d'une beaucoup plus grande économie dans l'usage du territoire disponible.

Le parti de l'In-nocence souhaite que les permis de construire soient délivrés avec beaucoup plus de parcimonie et de précautions prises que ce n'est actuellement le cas. Il entend que des dispositions législatives et fiscales encouragent à la restauration, à l'aménagement et aux éventuelles réadaptations du patrimoine bâti déjà existant, et cela de préférence à la construction d'édifices nouveaux. Il demande que soient très sensiblement élargies les zones où toute construction est interdite, et que ces interdictions soient rigoureusement respectées.

La politique culturelle de l'État doit encourager l'édition et particulièrement l'édition rare et savante. Elle doit soutenir, protéger et encourager la diffusion du livre, tant par le nombre et la richesse des bibliothèques que par l'ampleur et la variété du réseau des librairies. Elle doit favoriser la recherche, non seulement la recherche scientifique et médicale, qui ne relève pas d'elle au premier chef, mais aussi la recherche historique, archéologique, philologique, et celle qui doit s'exercer dans l'ensemble et dans chacune des sciences humaines.

Le parti de l'In-nocence estime en revanche qu'il ne revient pas à l'action culturelle de l'État de viser à la massification de la culture, qui constitue selon lui une contradiction dans les termes ; et encore moins à sa commercialisation. La culture doit être rendue présente et possible d'accès à tous ceux et à toutes celles qui en éprouvent le désir et le besoin, ce désir et ce besoin que l'école, l'université, la radio et la télévision culturelles ont pour tâche d'instiller, et c'est une de leurs missions principales. Mais la culture ne doit pas faire l'objet de propagande et de campagnes publicitaires ou promotionnelles. En aucun cas elle ne doit être confondue avec le tourisme et avec ses exigences économiques. Le Parti de l'In-nocence, à titre d'exemple, est radicalement opposé à l'aménagement commercial et "ludique" des sites archéologiques ou naturels au prétexte qu'ils devraient générer autour d'eux plus d'emplois et de profits qu'ils ne font déjà. Il considère que le tourisme ne doit en aucun cas et sous quelque prétexte que ce soit attenter à l'attrait et à la dignité artistiques, culturels et paysagers de ses objets.

Passionnément attaché à toutes les cultures de la terre, qu'elles soient régionales, nationales, continentales ou bien qu'elles soient liées aux grandes civilisations, le Parti de l'In-nocence entend que la France, conformément à sa tradition, et que l'Europe, en vertu de sa richesse et de sa propre diversité, en soutiennent la vitalité et la variété, contribuent à les faire connaître dans leur originalité à chacune, facilitent leur dialogue. Il croit à la nécessité d'en accompagner l'essor et d'en protéger les caractères spécifiques contre un affadissement complaisant, folklorique et commercial, qui prélude à la fusion de toutes les cultures en une seule, au sein d'un multiculturalisme universel et réducteur, partout semblable à lui-même.

Ce multiculturalisme généralisateur, le Parti de l'In-nocence le combat sous ses deux aspects complémentaires indissociables : le multiculturalisme horizontal, qui voudrait que toutes les cultures soient également les nôtres (de sorte qu'il n'y a plus d'autre, ni dans la culture ni dans l'être); et le multiculturalisme vertical, qui prétend peu ou prou que tous les niveaux de culture se valent (de sorte qu'il n'y a plus de jugement qui vaille et que, selon l'expression consacrée, "une paire de bottes vaut Shakespeare").

Toutefois, parti français et européen , c'est bien sûr de la culture européenne et de la culture française qu'il s'estime le plus directement responsable. C'est à elles qu'il souhaite que soit prodiguée la plus grande part de l'attention et des soins de l'action culturelle gouvernementale. Sur le territoire de la France et de l'Europe, c'est à la culture française et européenne qu'il désire voir jouer, vis à vis des autres cultures, le rôle d'une hôtesse généreuse et attentionnée, consciente des privilèges et des responsabilités que lui confèrent les lois de l'hospitalité. Cela posé il doit être bien clair que par le mot culture, ce qu'entend la parti de l'In-nocence, c'est d'abord curiosité générale, ouverture à l'autre et volonté d'échange : de cet échange qui n'est possible que si se maintient parmi nous l'altérité. Le parti de l'In-nocence se bat pour le maintien de l'autre et de l'étrangèreté dans le monde, cet autre et cette étrangèreté que la culture est d'abord en chacun d'entre nous.

Au métissage universel et à la fusion par le bas qu'il implique, il oppose le maintien actif de la personnalité de chaque culture, dans un contexte de sympathie mutuelle, de curiosité aimante et respectueuse, d'émulation et d'échange.