Je vous propose, durant l'été, de relire quelques extraits d'un ouvrage de jeunesse de Nietzsche :
Sur l'avenir de nos établissements d'enseignement, ouvrage relativement peu lu et étudié du corpus nietzschéen (et pour cause, sans doute !), dans lequel il s'est fixé pour objectif de découvrir la source de la décadence des établissement d'éducation.
"Qu'on me permette de deviner l'avenir, comme un haruspice romain, dans les entrailles du présent" déclare-t-il dans la préface. On ne doutera pas, en relisant ce texte, qu'il fût doté au plus haut point de cette capacité de comprendre les grands mouvements d'une civilisation. Ce qu'il pressentait en 1872, c'est ce que nous pouvons connaitre par expérience, en 2008. Ce qu'il redoutait, à une époque où l'université produisait encore quelques hommes réellement cultivés, nous ne sommes même plus conscients d'en être les spectateurs, comme si les eaux sombres de la culture journalistique nous avaient entièrement recouverts, depuis déjà longtemps.
Première conférence.
"Nous vivions alors dans la certitude naïve que quiconque, dans une université, a rang et dignité de philosophe est aussi philosophe : oui, nous étions inexpérimentés et mal instruits."
"J'ai déjà dit que cette manière de se satisfaire du moment sans songer à un but, de se bercer sur le fauteuil à bascule de l'instant, ne peut que sembler presque incroyable, en tout cas blâmable à l'époque actuelle qui se détourne de tout ce qui est inutile. Comme nous étions inutiles ! Et comme nous étions fiers d'être à tel point inutiles ! Nous aurions pu rivaliser à qui aurait la gloire d'être le plus inutile des deux. Nous voulions ne rien signifier, ne rien représenter, ne rien nous proposer, nous voulions être sans avenir, rien que des bons à rien confortablement allongés sur le seuil du présent - et nous l'étions. Heureux étions-nous !"
"Il m'a paru qu'il fallait distinguer deux directions principales : deux courants en apparence opposés, pareillement néfastes dans leurs effets, réunis dans leurs résultats, dominent actuellement nos établissements d'enseignement : la tendance à l'
extension, à l'
élargissement maximal de la culture, et la tendance à la
réduction, à l'
affaiblissement de la culture elle-même. La culture, pour diverses raisons, doit être étendue aux milieux les plus vastes, voilà ce qu'exige une tendance. L'autre invite au contraire à abdiquer ses ambitions les plus hautes, les plus nobles, les plus sublimes, et à se mettre avec modestie au service de n'importe quelle autre forme de vie, l'Etat par exemple."
A suivre...
Nietzsche,
Sur l'avenir de nos établissements d'enseignement. Première conférence. (Trad. Jean-Louis Backès, La Pléiade)