C'est que le sourire et le regard d'Anthony Perkins, quel que soit le film (Psycho se clot sur ce sourire et ce regard de Perkins qui suivent une mouche qui lui court sur la main), désignent un sacré coupable.
Concernant cette image. J'avais envie de vous dire que les regards qui se croisent devant l'objectif révèlent un sujet collectif occidental, disséminé et déterritorialisé qui offre cette particularité d'être sans pareil au monde: en Orient, en Afrique, on fixe l'objectif dans les portraits de groupe, on brigue l'attention de l'oeil mort de l'objectif et de la postérité pour soi, soit l'individu qui, par ailleurs et dans le vif du quotidien, n'existe guère, ne brille guère.
Le modèle, le grand particulier occidental est que ces individus choisissent en cet instant de se comporter comme des demi-dieux qui face à la mort et sa claire postérité ne briguent rien mais s'attachent tout au contraire, plaisamment, à oeuvrer à l'image de ce groupe qui n'en est pas un, qui n'en est pas même un semblant. Chacun a choisi dans une modestie très paradoxale à l'Occident de n'exister dans la postérité que pour mettre en valeur ce groupe de contingence, d'occasion, ce non-groupe.
L'Occident a inventé le réseau contingent, le réseau faible (comme en cosmologie il y a des relativités faibles): l'un est producteur à Hollywood d'un film ("Green House") qui a pour théâtre la selve sud-américaine, tel autre est Heitor Villa-Lobos, musicien brésilien pré-tropicaliste, et donc présent ici, homme dont l'oeuvre, par l'ampleur et l'ambition, n'est pas moindre que celle de Jean-Sébastien Bach (Villa-Lobos
est le Jean-Sébastien Bach de l'Amérique latine), cette autre est l'épouse de ce musicien; dans un coin, se tient Castelnuevo-Todesco, auteur de musiques de film à Hollywood, exilé d'Italie parce que juif, et proclamant, honteux (d'une honte ô combien respectable!) que le cinéma est à ce continent ce que l'opéra avait été à l'Europe.
Et Audrey. La superbe Audrey aux yeux de mouche qui est la Rima de ce film, Green House, et qui, consciente tout à coup, en vrai professionnelle, qu'en cet instant, va se jouer un portrait, choisit, à l'insu de tous, bien évidemment, d'en être, à l'instar d'une danseuse balinaise, la metteuse en scène. Que fait-elle ?
Simple: elle fait ce que font les danseuses balinaises: elle laisse échapper côté cour un regard "échappé", en allé, cependant que sa main, côté jardin, s'en va dans la direction opposée proposer à l'objectif d'adopter le sujet du portrait. Le tout discret, le tout diffus, le disséminé maître-objet occidental et acteur-catalyseur du groupe-histoire, Hector Villa-Lobos, est désigné à l'objectif par cette main rêveuse de la star effacée, échappée par le regard.
L'Occident a inventé le réseau global et mondial dont atteste ce fait: sur aucune "photo de famille" de ces familles de gouvernants, vous ne verrez les sujets s'instaurer "sujets" de l'histoire en fixant ensemble l'objectif: au Conseil de l'Europe, au parlement européen, au G8, n'existent que des réseaux, des entrecroisements de regards, de considérations relatives et paradoxales, jamais de focale, jamais de regard absolu. En Orient le braquage d'objectif n'admet qu'une alternative:
1/ tous la gueule enfarinée dans la focale, le sourire dans la parallaxe ou
2/ tous la gueule enfarinée dans le profil du Chef, seul autorisé à rigoler dans la parallaxe.
L'Orient, rigide et absolu dans son regard sur le lendemain historique, digère mal les réseaux et leur souveraine, dynamique relativité. On vient d'en avoir encore la confirmation cette semaine avec la décision chinoise de tailler le Réseau, la Toile, à la mesure fixée par son regard résolument auto-amputé sur le monde.