N'ayant que trop divagué sur ce thème, je m'étais promis de ne plus y revenir et ce n'est que d'avoir glané cette observation pleine d'humour dans les journaux de Renaud Camus qui a écorné cette sage résolution de garder pour moi tout le mal que je pense de ce qu'est devenu le travail. Philosophiquement, bien sûr, l'homme travaille, il est même
en travail permanent, de sa naissance à sa mort. Mais cette condition selon moi, n'a aucun rapport avec ce fétichisme obsessionnel, névrotique et totalitaire qui a fait du « travail » l'alpha et l'omega de toute existence, avec pour première conséquence que deux minutes d'observation du monde permettent de constater qu'aujourd'hui la matrice de toutes les nuisances (langagières, environnementales, sociales) c'est bien la conception hégémonique du travail, du taf, du gagne-pain, considérée comme seule et unique issue, d'abord économique, bien sûr, mais par-dessus tout existentielle. Pas un pouce de territoire, par exemple, qui ne puisse résister au rouleau compresseur de la « création d'emplois », « cause nationale » au nom de laquelle toute aberration trouve à se justifier, pas une couleuvre qu'on ne soit prêt à supplier d'avaler pour se voir délivrer ces nouvelles lettres de noblesse : C.D.I., quitte à renoncer à toute espèce de dignité humaine.
Fille naturelle de la prolétarisation, la haine et l'opprobre jetés sur « l'oisiveté » n'a d'égale, dans nos sociétés, que celle qui prévalait en Union soviétique et d'ailleurs, comme dans ce défunt pays, on vise ici à cette plus dangereuse de toutes les chimères : le plein empoi et, pour ce faire, on multiplie à l'envi les pseudos-activités, les activités de néant, les ridicules besoins d'aménagement, les non-moins piteuses « prises en charge » et autres « emploi de service », que sais-je, tout en détruisant méthodiquement les occasions, précisément, de travailler VRAIMENT, parce que c'est utile, agréable, parce que ça élève, et non pour satisfaire à la moraline de la « sueur du front » ou parce qu'on ne sait rien faire d'autre. Cette mascarade restera pour moi la marque indélébile de l'époque et ce qui me l'a rendu particulièrement détestable. . Etc. etc. etc. Bon, ça va. Toutes mes excuses.