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Nietzsche : sur l'avenir de la culture (4)

Envoyé par Quentin Dolet 
La vraie et la seule patrie de la culture : l'Antiquité grecque.


Deuxième conférence.

"Il y a peut-être encore des gens pour voir dans toute cette comédie de la composition allemande au gymnase l'élément non seulement le plus absurde, mais encore le plus dangereux du gymnase d'aujourd'hui. On y exige l'originalité, mais on rejette celle qui seule est possible à cet âge : on y suppose une culture formelle à laquelle n'atteignent maintenant qu'un tout petit nombre d'hommes à l'âge mûr. On y considère chacun sans plus ample examen comme un être capable de littérature, en droit d'avoir des opinions personnelles sur les objets et les personnages les plus graves, alors qu'une droite éducation ne devrait justement aspirer de tout son zèle qu'à réprimer la prétention ridicule à l'autonomie du jugement et qu'à habituer le jeune homme à une stricte obéissance sous le sceptre du génie."

"Très rares sont ceux qui savent aujourd'hui que peut-être parmi plusieurs milliers il en est à peine un qui est en droit de se faire entendre par écrit et que tous les autres qui le tentent à leurs risques et périls, mériteraient comme salaire, s'ils se trouvaient parmi des gens capables de juger, un rire homérique pour chaque phrase imprimée - car c'est vraiment un spectacle pour des dieux que de voir un Héphaïstos de la littérature s'approcher en boitant pour nous servir réellement quelque chose. Apprendre dans ce domaine des habitudes et des vues graves et impitoyables, voilà l'une des plus hautes tâches de l'éducation formelle, alors que le laisser-faire universel de ce qu'on appelle la "libre personnalité" ne peut être rien d'autre que le signe distinctif de la barbarie."

"In summa : le gymnase manque jusqu'ici l'objet premier, le plus simple par lequel commence une vraie culture, la langue maternelle : mais par là il lui manque le sol naturel et fécond nécessaire à tous les efforts postérieurs vers la culture. Car c'est seulement sur le fond d'un dressage, d'un bon usage de la langue, strict, artistique, soigneux, que s'affermit le vrai sentiment de la grandeur de nos classiques, que jusqu'ici on n'apprend à estimer au gymnase que grâce à l'amateurisme esthétisant douteux de certains maîtres isolés ou par l'effet du seul contenu de certaines tragédies et de certains romans : mais il faut savoir par expérience comme la langue est difficile, il faut au prix de longues recherches et de longues luttes parvenir sur la voie où ont marché nos grands poètes pour sentir avec quelle légèreté et quelle beauté ils y ont marché et avec quelle maladresse et quelle grandiloquence les autres les ont suivis."

"Toute culture classique, comme on dit, n'a qu'une issue saine et naturelle, l'habitude d'user avec un sérieux et une rigueur artistiques de sa langue maternelle : mais pour cela, pour le secret de la forme, il est rare que quelqu'un soit conduit de l'intérieur, par sa seule force, jusqu'au sentier convenable, alors que tous les autres ont besoin de ces grands guides et maîtres et doivent se confier à leur protection. Mais il n'y a pas de culture classique qui puisse croître sans ce sens ouvert à la forme. Là où peu à peu s'éveille le sentiment distinctif de la forme et de la barbarie, bat pour la première fois l'aile qui porte vers la vraie et la seule patrie de la culture, l'Antiquité grecque. Il est vrai que dans notre tentative pour nous approcher de ce château du monde hellénique, infiniment éloigné et entouré de murs de diamant, nous n'irions pas bien loin si ces ailes ne nous aidaient qu'une fois : nous avons à nouveau besoin des mêmes guides, des mêmes maîtres, de nos classiques allemands, pour être entraînés par les battements d'aile de leurs efforts vers l'antique - vers le pays de notre désir, vers la Grèce."
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