Puisque nous en sommes aux jardins à présent baignés d'ombre, aux oiseaux, aux roulades, voici un texte qui, peut-être fera plaisir à plus d'un:
Le tombeau de la Malibran à Laeken
Qu’il puisse exister des tombeaux aimables, c’est-à-dire dignes d’être aimés ? Mais oui, tant par leur inactualité que par le souvenir momifié qu’ils enclosent. Il est des cendres qui refroidissent mal. Les tombeaux, ces urnes d’horreur, peuvent faire sourire […] ; peuvent faire rêver (ainsi devant la chapelle de Maria-Felicia)… Guillaume Geefs a représenté la Diva comme la dressa le Destin - sorte d’ange-femme – et un quatrain de Lamartine rappelle ce qui fut alors une catastrophe sentimentale. Une jeune et belle morte. Le rossignol qui habitait sa gorge (style du temps) a regagné les cieux. Cependant cette voix éteinte aura hanté tout le siècle ; des artistes et des admirateurs obtinrent d’être inhumés à l’ombre de sa chapelle ; et j’ai connu dans mon enfance des vieillards qui ne se consolaient pas d’être nés trop tard, manquant de la sorte le suprême bonheur d’entendre la divine vocalisatrice. Ils disaient, pour le tenir de leurs aînés, que ce timbre vous jetait dans une extase amoureuse, suivie d’une farouche mélancolie ; puis qu’on se mourait de ne plus l’entendre. Le secret de cette immortalité touchante, ou plutôt de l’art magicien de Maria-Felicia, je le surpris un jour, comme des lilas au fond d’un brouillard aromatisaient la nécropole. J’interrogeais le creux de cette tombe quand un rossignol précisément, un des rares rossignols qui se perpétuent dans les arbres du Roi, se posa sur la chapelle, et commença, intentionnellement eût-on dit, son récital d’un matin qui allait être beau. – « Diva, murmurai-je, serait-ce qu’à son instar, vous auriez chanté par amour du chant ?... » La gorge palpitante du philomèle comme en de délicieuses transes, égrenait ses variations euphoriques ; et les vieux lierres et les mièvres rosiers de tout l’environ s’en trouvaient parsemés d’éclats diamantins, de perles de rosée. L’oisel avait disparu mais chantait quelque part, peut-être dans la tombe. J’avais cent ans de moins, une autre âme… Et je compris ces amour posthumes, ces vieillards épris d’un médaillon contiennent, d’une jeune femme, ce qui ne meurt – les cheveux, la buée tiède d’un sein, les syllabes d’un prénom…
«
Mes statues », Michel De Ghelderode