Encore une fois, cher Francis, je vous remercie pour votre très aimable réponse.
Quant à mes interventions, vous faites de la surérogation… Mais c’est de bonne guerre. Moi, elles ne m’inspirent que deux réflexions. La première : toi (moi), mon p’tit gars, il est encore trop tôt pour t’exprimer en public ; la deuxième est comment faire pour effacer discrètement des messages…
Toutefois vous m’avez donné du courage, alors je me lance malgré tout une fois de plus (pas d'inquiétude, je ne le ferai plus avant longtemps), pour vous raconter un petit voyage que je fis à
Sport, qui est un beau pays malheureusement rempli de sportifs, et, pire encore, de l’épuisant bourdonnement des amateurs qui tournoient autour des corps luisants.
Il m’a été donné de donner cours durant quelques mois, avant
les grandes vacances, dans une école qui se charge aussi de prodiguer du savoir (…) aux jeunes espoirs de l’efficace et championne équipe de football mondiale-locale. Notez bien que les autres élèves de cet établissement sont des élèves "classiques".
De toutes mes journées de ce travail, la meilleure, la moins angoissante parce que sans violence apparente, la plus drôle aussi – pour peu qu’on apprécie l’humour fin du monde : le burlesque de la course folle d’une poule décapitée –, fut une nuisible et surréaliste
journée porte ouverte, durant laquelle je planai d’étranges en étranges lieux.
En début d’après-midi, vers la fin du déjeuner, en plus des courants d’air, se fit sentir, dans la cantine pleine d’enfants (les ainés étaient absents, pour la plupart) déshérités, une agitation qui venait d’eux et leur misère. Ça chuchotait, ça riait, se levait (incité par les copains) pour on ne sait quel mystère, et tous se retournaient sans cesse vers moi qui, sans le savoir, était, pour la première fois dans ma courte et neuve expérience, professeur, car j’empêchai – le plus que mes maigres épaules puissent permettre d’empêcher – leurs yeux de se poser sur la célèbre vulgarité des footballeurs contemporains, arborée alors, derrière moi, par deux représentants de cette caste de professionnels de sports populaires et sponsorisés. L’un d’eux, le meilleur dit-on, le noir, portait des
rastas de pétrole, un
survêt. soyeux et hors de prix – le genre qu’on ne devrait accepter de mettre même pour tout l’or du monde –, et des baskets littéralement éblouissantes. L’autre, le blanc, un italien, avait les cheveux gominés, gluants, tombants dans le cou, le teint hâlé, et par endroits des tatouages et des
piercings. Tous deux tombeurs, je suppose.
Je sus mon importance circonstancielle lorsque le descendant d’un écolier, tout penaud, tout petit, vint à la table des fonctionnaires demander la permission – et c’est déjà beaucoup de demander, c’est même tant qu’il suffit de demander… – d'aller quémander des autographes aux futures stars que je ne connaissais pas – intérieurement j’étais fier de mon ignorance.
Deux
profs dinaient avec les étoiles, et un balai continu d’autres les saluait comme on salue les pontes ; mais avec les familiarités que se doivent les enseignants dignes de ce nom. La paire de jeunes cachait mal son ennui ; mais on doit respecter ses obligations : malgré qu’on y répugne, serrer quelques mains, prendre quelques bains de foule, ou prodiguer des mots
sympas aux privilégiés de sa cour immense comme un stade.
L’acceptabilité du désordre de la cantine devait être maintenue malgré l’effervescence, redoublée, du
dernier vendredi avant les vacances, alors fut mis sur pied – grâce au sens de l’organisation d’un maître-petit (je ne trouve plus de synonyme), qui courbé sur ses élèves-rois leur demanda s’ils acceptaient, et ils acceptèrent – un rang de jeunes fans écervelés (nulle fille, nul garçon n'en fut pas) qui apporteraient des papiers à ces deux veaux pour qu’ils les marquent.