Sauf inattention de ma part, je n'ai pas trouvé sur ce forum de commentaires sur le roman de M. Camus intitulé "Loin".
Pourtant les habitués du forum n'y manqueront pas de trouver en matière d'opinion sur l'évolution de la société un condensé de ce que nous pensons à peu près tous ici et dont nous nous lamentons à longueur de billet.
Ainsi donc, parvenu au milieu du chemin de sa vie, Jean décide de se perdre afin de mieux de se retrouver pourvu que ce soit au milieu d'une forêt obscure.
Commence alors une sorte d'errance qui ne devient à aucun moment une quête : Jean sait ce qu'il veut fuir à tout prix mais ne sait absolument pas ce qu'il recherche.
Il ne cherche même pas le bel endroit de la terre où se poser car il se dépouille au cours du roman de cette illusion que la beauté serait la raison ultime de son existence ou du monde (c'est d'ailleurs selon moi la seule chose à laquelle il renonce sincèrement au cours de son périple).
Il abandonne bien quelques livres ça et là mais l'essentiel (l'argent de la vente du domaine) sera sans doute prudemment placé (même sans les conseils de son cousin).
Il rencontre bien quelque personnages symbolique au cours de son voyage (une sorte de jolie Louve très inoffensive quoiqu'assez "nocente") mais aucun qui puisse orienter sa recherche qui n'en a jamais été une.
Ainsi à l'issue de son errance et lorsqu'il aura posé ses valises, Jean sera exactement tel qu'il était au début. Rien n'aura changé en lui. Et l'inventaire des choses (que Jean, tout fier d'être capable d'un tel renoncement, a le toupet de trouver juste nécessaires alors que pour tout ermite véritable elles représenteraient le comble du luxe) qui lui seront utiles dans sa nouvelle vie (toute identique dans le fond à l'ancienne) montre assez qu'il est prêt à reprendre ses petites habitudes de jouisseur cultivé.
Jean n'a rien d'un bouddhiste Zen, il n'est pas parvenu à toucher l'absolue néant de toute chose et sa thébaïde ne sera pas sa Recanati (je note que M. Camus a renoncé p. 167 a accentuer à la française le nom du poète d'icelui bourg "zotico e vile").
S'il faut tirer une leçon de l'histoire de Jean, elle est selon moi assez pessimiste. Jean n'a pas eu la force d'âme suffisante pour aller au-delà d'un simple aménagement de ses conditions de vie. Jean se ment à lui-même lorsqu'il prétend pouvoir "tordre le cou à l'espérance", " n'attendre rien" et "rabattre tout futur, en permanence, sur le moment présent". Jean se forge de nouvelles illusions. Il avait vécu dans l'espoir d'un ailleurs sans les autres. Maintenant qu'il y est il lui faut pour survivre une nouvelle lubie : celle de la vie sans espérance et toute concentrée dans l'instant présent.
Or, pour avoir la moindre chance de vivre dans cet état d'esprit, il lui faudrait avoir vécu une expérience spirituelle ou philosophique d'une intensité telle qu'elle lui permettrait ce renoncement. Ou bien endurer une souffrance physique ou morale telle qu'elle lui ferait désirer le néant. Ou bien encore s'apprêter à bâtir un oeuvre. Enfin une vie sans espérance dans le monde n'est jamais une vie inactive : Bérulle lavait sa vaisselle et les meilleurs des moines zen étaient préposés à la cuisine du monastère.
Jean a fuit les autres mais ne trouvera au bout du compte qu'un insondable ennui dont il s'empressera de se distraire.
Une dernière chose : j'ai lu le roman avec plaisir et il m'a donné à penser selon mes faibles moyens. Mais il est une chose que j'ai trouvée ridicule c'est la scène de tripotage hétérosexuel dans la voiture (elle-même dans le tunnel). Elle sonne faux. J'aurai préféré une bonne scène de gamahuchage homo.