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Qu'est-ce que l'Occident ?

Envoyé par Gérard Rogemi 
27 février 2010, 08:50   Qu'est-ce que l'Occident ?
J'avais sauvergardé il y a quelques années ce texte très intéressant paru sur un blog dont j'ai oublié le nom.

Qu'est-ce que l'Occident ?
Par Philippe Némo

P. Némo est normalien, philosophe, professeur à l’ESCP-EAP, maître de Conférences à l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales et directeur scientifique du Centre de recherche en Philosophie économique (CREPHE) de l’ESCP-EAP (depuis 1999).

Ce petit livre est une merveille à tout point de vue : philosophique, historique et politique. De nos jours, pratiquement tous les manuels d'histoire des idées sont d'inspiration marxiste. Cela signifie que l'histoire est présentée comme une marche des ténèbres vers la lumière du socialisme. Dans ce livre il retrace à travers 5 grands événements la genèse de la civilisation occidentale en prenant soin de rendre justice au Moyen-Age, à l'apport spécifique de la théologie catholique, ainsi qu'aux grands penseurs libéraux de l'âge classique.

Voici comment Philippe Némo présente lui-même sa thèse :
"La civilisation occidentale repose sur une hybridation, tout à fait miraculeuse en un sens, entre trois grandes innovations :
grecque, romaine et judéo-chrétienne. Chacune d’entre-elle est d’ailleurs un miracle. On parle souvent du miracle grec mais on pourrait en dire autant de Rome avec l’invention du droit privé et, évidemment aussi, du miracle judéo-chrétien puisqu’il s’agit d’une révélation. J’ajouterai un quatrième miracle qui est la synthèse, l’hybridation des trois qui s’est produite au Moyen-Age, et pas avant, contrairement à ce que l’on pourrait peut-être croire."

Quel fut l'apport du judéo-christianisme ? La thèse de P. Némo est que celui-ci a joué un rôle essentiel dans la promotion des libertés modernes et a été le terreau sur lequel la démocratie a pu s’épanouir en Europe. Au XIe-XIIIe siècles, les papes ont pris l’option théologique de réhabiliter la nature humaine et ses facultés rationnelles, afin de mieux poursuivre les fins éthiques et eschatologiques de la Bible. Ils ont fait reétudier dans les universités ces deux accomplissements de la raison qu’avaient été le droit romain et la science grecque, mais un droit christianisé à travers le droit canonique, et une science délibérément mise au service des progrès de l’humanité.

Selon P. Némo :
"C’est la compassion pour les victimes apportée par la nouvelle morale biblique qui a enrayé la production des cultures magico-religieuses fixistes et rendu possible l’apparition de sociétés désireuses et capables d’assumer le changement historique. La Bible, d’une manière plus radicale que la Cité grecque, a introduit le germe de la pensée critique dans l’Histoire. Elle a valorisé la dissidence individuelle contre le holisme des sociétés sacrales, ce qui devait être la cause évidente ou sous-jacente d’une cascade de transformations historiques.

Le même prophétisme biblique a déterminé un dualisme fécond du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel qui est la source lointaine, mais directe, de la démocratie. Le principe de la démocratie est en effet que le pouvoir d’État n’est pas sacré et n’est pas détenu par des hommes divins ou providentiels, donc infaillibles, mais que la vérité émerge au sein de la société civile et qu’il doit donc exister des procédures institutionnelles organisant le contrôle des gouvernants par celle-ci.

Or cette idée a pour origine l’attitude critique des prophètes à l’égard des rois dans l’Ancien Testament, confirmée par la parole de Jésus « Rendez à César ». Elle a été traduite en institutions politiques permanentes d’abord par l’Église romaine médiévale, qui a revendiqué pour elle seule le pouvoir spirituel et a dénié toute dimension spirituelle aux autorités séculières (se démarquant en cela du « césaro-papisme » du christianisme oriental), puis par les calvinistes des révolutions huguenote, hollandaise, anglaise et américaine des XVIe-XVIIIe siècles, qui ont vu en tout État une « Babylone de péché » dont il faut se défier et auquel il convient de ne conférer que des pouvoirs limités. "

Le marxisme et les sciences humaines ont récusé en bloc tout cet héritage stigmatisé comme « idéaliste » ou « bourgeois ». Au moment de la décolonisation, par ailleurs, la revendication de son identité par l’Europe a été sévèrement critiquée comme « ethnocentrisme ». Le livre de P. Némo remet les idées en place. A ce titre, il faut le rapprocher d'un autre livre qui date déjà de quelques années (1992) mais qu'il est bon de connaître : Rémi BRAGUE, Europe : la voie romaine.

La question est la suivante: par quel assemblage de conjonctures historiques la civilisation occidentale est-elle devenue l'addition de «l'Etat de droit, de la démocratie, des libertés intellectuelles, de la rationalité critique, de la science, d'une économie de liberté fondée sur la propriété privée»?

La réponse tient en la mise en évidence de cinq événements cumulatifs.

1° Les Grecs inaugurent avec les inventions de la Cité, de la loi, de la science et de l'école.
2° Rome apporte le droit, la propriété et la notion de «personne».
3° L'Ancien et le Nouveau Testament sont, par ailleurs, au principe d'une double révolution éthique et eschatologique. C'est la charité dépassant la justice et c'est l'invention de l'histoire.
4° Le quatrième événement, Philippe Nemo le nomme la «Révolution papale» par laquelle, entre les XIe et XIIIe siècles, l'Eglise catholique pose que l'homme est responsable de son salut. Consommant la rupture avec l'orthodoxie orientale, c'est l' «agir humain» qui est magnifié et que la réforme protestante amplifiera.
5° Enfin, cinquième événement, la promotion de la démocratie libérale parfaite et accomplie au XVIIIe siècle, le modèle.

Ainsi défini, l'Occident est, pour Philippe Nemo, transatlantique. Dès lors, aux deux projets d'Union européenne et d'Empire américain qu'il qualifie de «fausses bonnes idées», il préfère et prône une Union occidentale. Idéologiquement cohérente, cette «bonne idée-là» a néanmoins toutes les chances de rester historiquement improbable."
«L’Occident que je cherche à définir n’est pas un peuple mais une culture pensée par plusieurs peuples. Ont été impliqués dans cette histoire des hommes d’ethnies différentes qui ont assumé volontairement des valeurs étrangères à celles de leur groupe d’origine. Je songe aux Romains s’hellénisant, aux Gaulois vaincus acceptant d’assez bon gré la latinité (ils abandonnèrent totalement leur langue en deux ou trois générations) aux Européens se convertissant en masse au christianisme, plus tard à l’Europe chrétienne elle-même décidant de s’approprier ces le droit romain et la science grecque et de constituer ces passés là comme son passé… Chaque fois ces groupes ont donc assumé une filiation spirituelle qui ne correspondait pas à leur filiation biologique ou ethnique… Nous mêmes, Européens qui sommes-nous, sinon des colonisés qui avons reconnu comme nos ancêtres Socrate et Cicéron, Moïse et Jésus plus que les êtres frustres qui peuplaient les forêts celtes? »

Je viens de retrouver le blog en qestion Nicomaque
27 février 2010, 16:39   Re : Qu'est-ce que l'Occident ?
Entretien très interessant avec Philippe Némo !

Entre nous soit dit - "La gauche jacobine n'a jamais été démocrate. Elle est à l'origine de tous les retards de la France." avec Philippe Nemo, philosophe, écrivain, auteur de "Les deux Républiques françaises" (puf)



27 février 2010, 17:56   Re : Qu'est-ce que l'Occident ?
Oui, vraiment très bien.
27 février 2010, 17:59   Excellent Nemo
Ce monsieur dit des choses fort intéressantes.
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