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Un changement d'auxiliaire

Envoyé par Éric Guéguen 
D'"être" à "avoir"...

Ce qui me semble a priori irréfutable, c’est que nous avons tous en tête une liste instinctive de jalons matériels. J’entends par là qu’avec le temps, le cheminement de la vie nous pousse nécessairement à planifier nos investissements par ordre d’importance : le studio en location, le téléviseur et le scooter, puis l’appartement de type « F3 », l’électroménager, l’ordinateur et la voiture citadine. Ce n’est qu’au bout de quelques années que se feront ressentir les opportunités et les besoins d’une propriété immobilière, si modique soit-elle, d’une compacte ou d’un monospace, d’un ameublement personnalisé et du confort audiovisuel. Enfin, suivant la taille de la tirelire, on pourra penser à investir dans la pierre et les grosses cylindrées. Certains n’auront jamais la chance d’atteindre le premier palier, d’autres iront bien au-delà du dernier et aideront même leur progéniture à les rejoindre. Le luxe a beau ne pas être une fin en soi, plus nous nous habituons à acquérir sans cesse, plus nous sommes aveugles à la chance que nous avons de posséder. En cela, d’aucuns seront ravis d’apprendre que nous sommes tous égaux sur la planète.

En conséquence, plus ces jalons seront nombreux et achalandés, plus le manque paraîtra lointain d’un côté, insupportable de l’autre. Et il ne fait pas de doute que les moins bien lotis seront enclins à ne rêver que d’opulence lorsque l’Etat mettra tout en œuvre pour leur inculquer la patience, le goût pour l’effort et les joies de l’esprit. Comment donc ménager la chèvre et le chou ? Comment alimenter à l’envi l’appétence excessive par les relais médiatiques dont tout le monde dispose et expliquer ensuite qu’il y a des priorités moins terre-à-terre ? Il faut voir comme en un quart de siècle tous les ressorts et les services rendus par les différents organes de la société sont devenus monnayables, ce afin de permettre à chaque agent pris individuellement de consommer lui-même toujours davantage. Le « patient » s’est transformé en « client ». Le bénévole se muera-t-il en denrée rare ? Le fumiste, lui, est omniprésent. Aujourd’hui, la surenchère consumériste est telle que l’on pourra bientôt qualifier de miséreux un homme qui ne dispose pas du strict minimum possessionnel, à savoir non plus l’eau courante et l’électricité, mais la télévision et la voiture.

Tout devient vaseline, toute activité journalière n’est plus qu’acte commercial. A l’extérieur, ce sont les courses – certes indispensables ! – que l’inflation nous contraint si souvent à effectuer à quatre pattes pour dénicher les « premiers prix » (le fauché qui a le tort d’être grand y gagne systématiquement un lumbago… à prix « discount » celui-là). Ce sont également les à-côtés non négligeables : les effets psychologiques et hautement lucratifs du centime, le prix des emballages, les articles vendus par lots ou avec des gadgets pour le petit, le parking ou l’amende, le carburant ou les transports en commun, jusqu’aux sacs des supermarchés devenus payants pour tempérer nos tendances à nous comporter comme des gorets. Tout cela est inéluctable ; producteurs, distributeurs et publicitaires se frottent les mains que nous en soyons les otages. Rentré chez soi, il faut encore trier les factures parmi les nombreuses publicités (certaines reçues chaque jour en plusieurs exemplaires pendant des semaines) qui pullulent dans nos boîtes aux lettres. Puis se ruer sur le téléphone pour répondre à une personne qui, avec un accent du Maghreb ou des pays de l’est (sous-traitance délocalisée oblige), tentera de nous convaincre par tous les moyens que toutes nos fenêtres sont à changer. A peine raccroché, le téléphone sonnera à nouveau pour nous faire participer à une loterie – gagnante à tous les coups – grâce à un monsieur qui aura obtenu notre numéro sur la liste de « couillons » que lui aura vendue la dame des fenêtres. Un petit resto « sympa » le soir ? Oui, mais à la condition d’accepter de plus en plus de devoir payer une fortune pour de la cuisine « française » : un amuse-gueule entouré de quatre haricots et un glaviot de sauce dans le coin d’une grande assiette carrée en guise de plat de résistance. Quelques emplettes le lendemain ? C’est à voir : à la raréfaction des produits de qualité dont nous avons parlé, il convient d’ajouter l’effet nocif des modes imposées à tout le monde et qui gonflent les prix. Ainsi vous en coûtera-t-il, dans tous les sens du terme, pour garnir votre garde-robe d’un simple pantalon en jean usé, délavé et « jaune pisse » qui ne durera pas six mois. Etant donné le monopole de notoriété que quelques marques détiennent sur chaque catégorie d’articles, la politique de la « merde à prix d’or » a malheureusement de beaux jours devant elle !

Sur le plan technologique, la vaseline fait aussi des merveilles. Après être parvenus à faire du téléphone portable l’élément vital de ceux qui comptent ou veulent compter, les fabricants ont réussi le tour de force de pérenniser des catégories de produits tout en veillant à la caducité de leurs modèles. Traduction : un téléphone portable est à présent un objet indispensable qu’il faut réactualiser périodiquement, non comme étant désuet en soi, mais plutôt limité de par ses fonctions essentielles. Ceci peut même être fait directement par téléphone, à condition d’avoir la patience de se laisser guider dans un labyrinthe de touches (procédé désormais rodé qui permet à France Télécom ou ses concurrents de gagner de l’argent au passage). Tout téléphone portable doit dorénavant faire office de dictaphone, de jeu vidéo, de téléviseur, d’appareil photo, de cafetière… Dommage en somme qu’il ne permette pas de réparer une voiture. Car s’il est un domaine où il est traditionnel de tendre généreusement l’arrière-train – que l’on me passe l’expression – c’est bien l’entretien automobile. De plus en plus grosses, de plus en plus tape-à-l’œil, de plus en plus bardées d’électronique donc de moins en moins fiables et de plus en plus difficiles à assurer, nos voitures sont le reflet d’un esclavage non moins que d’une condition. Tout y est conçu pour ne pas durer, tout est calculé pour astreindre le client à de nombreuses visites hors de prix, des petites pannes régulières sur des véhicules ni faits ni à faire aux simples vidanges qui demandent maintenant un diplôme de polytechnicien. Devant la surabondance des gimmicks électroniques, le cambouis sur les mains du chef d’atelier n’est même plus gage de compétence et de sérieux.

Néanmoins, l’escalade marchande des dernières technologies a semblé récemment marquer le pas. Effet boomerang ! Voyez plutôt… L’informatique domestique est encore le secteur économique le mieux géré. Le progrès y est bien cadencé mais reste parcimonieux pour ménager les envies. L’ordinateur constitue pour ainsi dire le seul achat qui, sitôt passé le seuil du magasin pour profiter de l’objet, sera irrémédiablement obsolète, ce quel qu’en soit le prix. Toutefois, en accédant au multimédia et à Internet, l’utilisateur pourra très facilement, mais frauduleusement, bénéficier d’une pléthore d’articles par le biais de ce que l’on nomme « téléchargement ». Ainsi, après de nombreuses années à avoir subi les abus et une forme de chantage culturel orchestré par des producteurs et des distributeurs sur le dos des artistes, la démocratisation technologique aura-t-elle permis de renverser la vapeur en mettant gratuitement à la disposition des foyers les plus malicieux l’intégralité du patrimoine musical et cinématographique. Si de tels desseins restent effectivement condamnables, Sony BMG, Vivendi Universal et consorts sont mauvais perdants : ils ne récoltent aujourd’hui que les fruits d’une logique commerciale honteusement prédominante que leurs clients ont finalement très vite assimilée.
De plus, en ayant d’une part institué arbitrairement une protection économique par zones sur chaque DVD, d’autre part soumis nombre de films en noir et blanc (pour ne citer qu’eux) à l’ostracisme du goût du jour, les grands distributeurs ont légitimé de facto le téléchargement sauvage. Comment des milliers de cinéphiles peuvent-ils accepter de se voir interdire tout un pan culturel à des seules fins mercantiles ? Quelle est réellement la limite imposée à la diffusion culturelle ? Est-elle de l’ordre de la morale ou plus simplement de celle d’une économie débridée adossée aux inepties législatives ? En attendant, tant que les œuvres les plus rares de Griffith, Curtiz, Gance, Eisenstein, Tourneur, Walsh, Capra, Pabst, Duvivier, Renoir et bien d’autres ne seront disponibles en toutes langues en France que sur certains sites de passionnés, on aura bien du mal à combattre sérieusement ce piratage. Ces quelques réalisateurs, où qu’ils soient à ce jour, accorderont sans peine leur pardon aux resquilleurs tant que ceux-ci demeureront les seuls à faire vivre leurs œuvres, ce qui est primordial, on en conviendra.

Pour en finir avec ceci, je voudrais insister sur le devenir du cinéma, cet art majeur pour lequel je nourris la plus grande passion et le plus profond respect depuis ma tendre enfance. Je tiens surtout ici à mettre la France face à ses contradictions et ses hypocrisies. Personne n’est sans savoir que les Américains tiennent chaque film pour un simple produit et qu’ils ne s’en cachent pas. Les Français, railleurs, se targuent quant à eux de considérer chacun de leurs films comme une œuvre à part entière. En France, le cinéma est un art, pas une industrie. Tiens donc… Entre octobre 2003 et juin 2005, le long-métrage de Jean-Pierre Jeunet intitulé Un long dimanche de fiançailles s’est vu refuser la nationalité française. Pourtant, ce film a été réalisé par un Français, interprété par des dizaines d’acteurs français (à l’exception de Jodie Foster, actrice américaine qui parle français mieux que certains d’entre nous), mis en œuvre par des centaines de techniciens français, tourné en français à Locronan, petite ville bretonne, donc française, d’après un roman de Sébastien Japrisot, écrivain français décédé quelques mois plus tôt. Le film traite de l’histoire française (avec quelques erreurs, ce qui est un autre débat), il a bénéficié de la participation des régions Bretagne et Poitou-Charentes et paraît en outre avoir évité la faillite à la société française d’effets spéciaux Dubois. Mais voilà : cette œuvre cinématographique a été financée par une société de production française appartenant pour un tiers à Warner Bros., l’une des grandes majors américaines. Il n’en fallait pas davantage pour la considérer comme un produit d’outre-Atlantique et lui refuser toute subvention du CNC, sous l’injonction, entre autres, de l’Association des Producteurs Indépendants. Cette dernière regroupe Pathé, Gaumont, MK2 et UGC qui, pour la plupart, n’hésitent pas à financer de leur côté des productions anglo-saxonnes. N’est-il pas tentant, de ce point de vue, de penser que les mécènes nationaux du septième art ont pour le moins une notion toute particulière de la culture française ? N’est-ce pas déjà appréhender avant tout celle-ci comme une vulgaire affaire de gros sous ? Car quel était en réalité le plus important : empêcher la Warner de gagner de l’argent ou encourager les investissements étrangers dans l’expression de la culture 100% hexagonale ?

Comme tout le reste, l’exception française ne me semble donc plus « culturelle », mais d’abord et plus que jamais « économique ».
Oh oh ! ça n'a pas duré longtemps...

Fort heureusement, j'ai pu de pas dépasser la première phrase : "Ce qui me semble a priori irréfutable, c’est que nous avons tous en tête une liste instinctive de jalons matériels", butant d'emblée sur une idée que je me permets de trouver très réfutable, au moins dans mon cas.
Ah bon ? Vous vivez comme Diogène, à poil dans un tonneau ? Respect !
Et bla et bla et bla ..
.
10 mai 2010, 18:57   Crisco Revolution
Bien cher Gilgamesh,


Permettez-moi de vous remercier d'introduire un débat sur la méconnue vaseline, et ainsi de permettre d'élargir le cercle un peu étroit de nos conversations habituelles.

On n'ose pas commander ce produit en pharmacie (dit "vaseline Cooper"), et on a bien tort. Voici quelques unes de ses applications :

- en cas de petites blessures buccales (style "Je me suis mordu la lèvre"), l'application de vaseline soulage énormément ;

- la peau desséchée l'apprécie ;

- en cas de coups (si vous pratiquez le full-contact, par exemple), la vaseline limite la propagation et arrête les saignements superficiels.
10 mai 2010, 19:04   Re : Crisco Revolution
Et, de même, depuis Coluche, on n'ose plus demander du Charentes-Poitou à sa crémière !
L'époque a l'esprit bien mal tourné, que voulez-vous que je vous dise !
10 mai 2010, 19:11   Charentes-Poitou
Dali aurait appelé cela "Prémonition de Ségolène". Par ailleurs, que voulez-vous bien faire à une époque qui nous tourne le dos ?
10 mai 2010, 19:13   Re : Charentes-Poitou
Lui botter le cul.
Dali aurait appelé cela "Prémonition de Ségolène".

Je dois dire que quand vous vous y mettez, cher Jean-Marc, vous êtes à mourir de rire.
Comment se fait-il qu'à chaque fois que l'on remet Madame Ostinato à sa place, en un langage châtié, le message disparaît comme par magie ?
Utilisateur anonyme
11 mai 2010, 07:53   Re : Un changement d'auxiliaire
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Vrai ? Je peux ?
Et "bla bla bla..." ce n'est pas grossier ?
Dois-je lui servir du "Majesté" ?
Utilisateur anonyme
11 mai 2010, 08:21   Re : Un changement d'auxiliaire
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Eh bien désolé d'être "pénible"...
J'ai seulement remarqué que depuis une semaine, certain(e)s n'ont pas cessé de me prêter des idées "nauséabondes". Il est des choses dont on ne peut débattre, j'ai très bien compris la leçon. Je passe du temps à répondre à chacun, à tenter de construire du sens et de la syntaxe, alors se voir opposer en définitive du "blablabla", scolaire pour le coup, sans avoir au moins la possibilité de dire tout le bien que l'on pense de ce genre de repartie, je trouve ça un peu dommage.
Allons, allons, cher Gilgamesh, ne faites pas l'enfant !

Ne comprenez-vous pas ce qui vous est vraiment "reproché" ?

Peut-être devriez-vous parler (écrire) moins et écouter (lire) beaucoup plus. Dans un premier temps au moins.

Voyez-vous, c'est ce que je répète à longueur de journée... à mon fils de trois ans et demi (avec tout le respect que je vous dois et sans vouloir vous offenser de la comparaison)
Allez, bon vent.
Utilisateur anonyme
11 mai 2010, 11:27   Re : Un changement d'auxiliaire
(Message supprimé à la demande de son auteur)
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