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Badiou vu par Etienne Barilier !

Envoyé par Gérard Rogemi 
Extrait des pages 82,83, 84 du livre "Nous autres civilisations" par Etienne Barilier

"Ce texte était achevé quand je suis tombé en stupeur devant un article intitulé Derrière la loi foulardière, la peur, signé du philosophe Alain Badiou (paru dans Le Monde du 22 février 2004), homme considérable, qui a pignon sur la rue d'Ulm. Furieux bloc ici-bas chu d'un désastre obscur, cette philippique en trente-deux points dûment numérotés occupe une page entière du journal Le Monde. Fidèle à son titre, c'est-à-dire de bout en bout méprisante, elle est exemplaire de cette autocritique dévoyée qui rend aveugle à autrui comme à soi-même. Prenons le risque de ramener à deux ses trente-deux points.

Point 1 : le foulard n'a aucunement le sens qu'on prétend lui donner. À vrai dire il n'en a aucun. Le foulard est la «particularité insignifiante» de «quelques filles». Insignifiante est à prendre au sens fort: porter foulard ne change pas plus le rapport à la liberté que «faire des mathématiques en culotte de cheval jaune» ne change la valeur d'un théorème. D'ailleurs, opposer la République au communautarisme est une «foutaise». Les coutûmes, vestimentaires ou non, n'ont aucune importance, aucun poids, aucun sens : «Se prosterner à toute heure devant des dieux fatigués » (car Allah est mort, comme tous les dieux ; il a « de longue date déclaré forfait»), voilà qui n'a ni plus ni moins d'importance que de porter minijupe ou turban, ou s'entre-pho-tographier tout le temps, à la mode japonaise. Et puis, à tout prendre, mieux vaut un « idéalisme, même de pacotille », mieux vaut «l'ascétisme volontaire» du foulard que la misère, la bassesse et la culpabilité occidentales.

Point 2: parlons-en de l'Occidental. S'il prétend interdire le foulard, c'est qu'il se sent coupable d'avoir «renié toute raison révolutionnaire», d'être un jouisseur qui tue les pauvres, et, pour tout dire, un capitaliste pour qui nulle étoffe ne saurait dérober au regard acheteur la marchandise féminine. «La loi sur le foulard est une loi capitaliste pure. » Et sous le capitalisme, la peur. Nous avons peur de l'islam parce que nous ne sommes plus capables de sacrifier notre vie pour une idée, contrairement à des gens comme, par exemple, Ben Laden. Cela dit, ces gens-là commettent l'erreur regrettable de mourir «sous la funèbre invocation de ce qui depuis longtemps n'existe plus» (M. Badiou n'insiste pas sur le fait qu'ils tuent au passage). Allons plus loin : ces gens ont tort ; ils ne sont ni purs ni grands. Un peu pourris, même. Qu'on se rassure, cependant, leur pourriture est notre faute : « On ne redira jamais assez que Ben Laden est une créature des services américains. »

C'est parler d'or: cette vérité chomskyo-canforienne, M. Badiou, assurément, ne la répétera jamais assez. C'est le propre des dénégations que de devoir être sans cesse réitérées si l'on veut espérer s'en convaincre, si l'on veut continuer en dépit du bon sens à cultiver l'ignorance dédaigneuse de l'autre et la haine amoureuse de soi.

Le texte de Badiou est vraiment digne d'éloge: il réussit l'exploit de vomir son mépris et sa haine de l'Occident tout en tenant pour absolument vide et non avenue la religion islamique et la signification qu'elle donne au port du foulard. Les dieux sont «fatigués», Allah est mort, ce que pensent d'eux-mêmes les musulmans n'a donc aucune importance. Voilà qui permet, superbement, de renvoyer tout le monde à sa nullité : ils sont infantiles et nous sommes ignobles.

Quant à la sujétion de la femme: foutaise encore. On ne la fait pas à M. Badiou, qui a lu Foucault, et qui sait que la sexualité est «contrôlée» dans nos sociétés comme partout. Non, pardon: pire que partout: «Le contrôle commercial est plus constant, plus sûr, plus massif que n'a jamais pu l'être le contrôle patriarcal.» Tiens, comme on se retrouve: c'est le fameux schéma du «exactement la même chose, mais en pire», qui fait le bonheur morose de tant de nos flagellants satisfaits. S'il s'agissait seulement, par ce genre de «raisonnement», d'excuser une ignominie par une autre (du style : pourquoi supprimer l'esclavage chez autrui puisque nous avons des esclaves chez nous). Mais c'est plus fort encore: pour mieux se complaire dans la haine de soi, on recourt au plus sinistre jeu de concepts, comme si un «contrôle» diffus, hypothétique, relatif et relâché, sans autre contrôleur que le corps social tout entier, était comparable aux interdits religieux imposés par une caste au pouvoir; comme si, en un mot, démocratie et théocratie n'offraient point de différence. Pourquoi supprimer le travail des esclaves, M. Badiou, puisque chez nous, l'on est esclave du travail

Parti pour défendre le port du foulard, ce factum ahurissant finit par nous expliquer que Ben Laden a raison, et que s'il a tort, c'est dans la seule mesure où il est notre créature. L'islam représente l'ascétisme et l'idéalisme que nous avons perdus ou bafoués - un idéalisme «de pacotille», bien sûr, et dont les signes sont insignifiants. Il est donc à la fois bon et nul; il ne devient mauvais que dans la mesure où il est fils de nos œuvres.

Mais laissons M. Badiou à ses fureurs et ses aigreurs. Jusqu'à plus ample informé, l’islam existe en soi et pour soi, son Dieu n'est pas fatigué du tout, il est dans une forme olympienne, et même davantage, et ses foulards sont puissamment signifiants. Ce n'est pas en déniant ces réalités qu'on va les abolir. De plus, on ne respecte pas autrui en méprisant le cœur même de sa pensée et le sens même qu'il donne à son existence.

Si l'on veut combattre pour l'égalité entre hommes et femmes dans l'islam, il n'y a pas d'autre chemin que de prendre cette religion au sérieux. Et de lire le Coran, et de le soumettre à la critique."

Étienne Balibar a écrit cela ? Où donc est passé le communiste althussérien grand teint, l'auteur, vétilleux, formaliste, coupeur de poils de pattes de mouches en trente-deux, de Lire le Capital ? J'en reste coi. Petit-Détour, à moi, une explication !
Barilier pas Balibar à ce qu'il semble !
Que vient faire Jeanne Balibar là-dedans ?
Ah oui, pardon. Il faut que je change de lunettes. Je me disais aussi...
Étienne Barilier est un écrivain et un traducteur suisse de langue française, né le 11 octobre 1947 à Payerne dans le canton de Vaud. Il est professeur associé à la section de français de la Faculté des lettres de l'Université de Lausanne (UNIL).

Il est aussi connu pour avoir traduit un livre qui était jusque là considéré comme intraduisible:
"Das Mutterrecht: eine Untersuchung über die Gynaikokratie der alten Welt nach ihrer religiösen und rechtlichen Natur", ce qui à mes yeux est un exploit inoui !

BACHOFEN Johann Jakob • LE DROIT MATERNEL, traduit de l'allemand et préfacé par Etienne Barilier et paru à L'Age d'Homme.
Je trouve le texte de Badiou ici Il ne s'agit pas du site du Monde et je ne peux garantir l'exactitude de la copie.
J'ai lu avec beaucoup de plaisir le texte que nous propose l'ami Rogemi. Ce Monsieur Barilier sait ce qu'écrire veut dire.
Un autre extrait du livre de Barilier. Il s’agit de la conclusion du chapitre 6, page 88 dans lequel il traite de la critique du Coran.

Pour trouver l’audace nécessaire, il faut se tourner du côté des romanciers. Ainsi Rachid Boudjedra et sa Prise de Gibraltar. Le héros de ce roman évoque ses souvenirs d'enfance, et notamment son apprentissage du Coran sous la férule d'un maître brutal et cruel, qui le bat sur la plante des pieds au moindre manquement. «Je le haïssais, le maître de la parole coranique. Et [ma mère] me le reprochait, me grondant gentiment, me disant, ne te fâche pas, c'est quand même ton maître, celui qui porte la parole sacrée de Dieu.» Mais voilà que l'enfant doit réciter: «(...) Séparez-vous des femmes pendant les menstrues et n'en approchez qu'elles n'en soient purifiées.» Or il ne peut proférer ce verset, car il refuse d'admettre que sa mère, qu'il adore, soit impure en quelque façon. Son refus lui vaut des corrections qui tournent à la torture, mais il ne cédera pas. «Je n'écrirai jamais une telle obscénité car maman est pure. »
Il y a longtemps que je me demande si un intellectuel, en France, n'est pas quelqu'un qui apprend l'art et la maniere de faire passer pour savante et profonde et n'imorte quelle connerie.
Pas seulement les intellectuels, les artistes aussi...
Ce Badiou est décidément un type extraordinaire: il est pire que Mazarine.
30 mai 2010, 04:54   Alzheimer
Ah lala! Pas Jeanne, Olivier, Etienne! Vous c'est vos lunettes ou vos médicaments que vous avez oubliés ? (préfère pas connaître l'âge moyen des membres de l'In-nocence moi)
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