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Critique des nuisances contemporaines. 2, La tyrannie de l'innovation

Envoyé par Quentin Dolet 
"Ce n'est pas la nouveauté qui nous désenchante, c'est au contraire le règne fastidieux de l'innovation, de la confusion incessamment renouvelée, c'est ce kaléidoscope tournant d'instantanéités universelles qui nous fait vivre sans perspectives de temps ou d'espace comme dans les rêves; c'est l'autoritarisme du changement qui s'étonne de nous voir encore attachés à la nouveauté qu'il recommandait hier, quand il en a une autre à nous imposer et qui empile à la va-vite ses progrès techniques les uns sur les autres sans faire attention que nous sommes là-dessous.

De ces marchandises il n'est pas entendu qu'elles puissent vieillir, ce qui marque la camelote; elles doivent être neuves puis disparaître sous peine de se métamorphoser en encombrants et ridicules détritus. Tout doit être si bien récent et provisoire qu'on ne puisse concevoir un après, à ce qui est ainsi dépourvu de maintenant. Ce sont dans ce chaos les objets inexplicablement épargnés, les fermes attachements, tel usage ou manière tout simplement laissés à eux-mêmes et vivants, des répits imprévus, le coassement des grenouilles, qui font figure insolite de nouveauté.

On parle alors de la capacité d'adaptation des hommes, de leur plasticité, que ce sont des créatures culturelles et raisonnantes, pleines de ressources: que les survivants d'un tremblement de terre s'acclimatent rapidement à la vie au grand air et au camping, que les déportés s'adaptaient aussi très vite, si on ne les enfournait dès la descente du train, à ces camps d'esclavage qu'on aurait dits extraterrestres et à quoi rien ne les avait préparés. Je ne vois pas ce que cela prouve en faveur du progrès.

S'il n'y avait pas eu en elle cet effectif mélange de vouloir exister à tout prix et d'ingéniosité, ce n'est pas que l'humanité aurait succombé aux malices de la nature, c'est qu'elle n'en serait pas sortie. L'homme certainement est coriace, quoique au large encore sur cette Terre il va s'installer dans les régions les moins probables: glaces arctiques, jungles inextricables, déserts brûlants.

Et donc, oui, pourquoi pas aujourd'hui dans ce cloaque de brume photochimique et d'électricité statique, de promiscuité haineuse, de décibels vaso-constricteurs; pourquoi ne vivrait-il pas au douzième étage avec la moquette en nylon, l'interphone et les doubles vitrages ?

Un auteur que j'estime pour ce qu'il ne laisse jamais son humeur noire dégénérer en nihilisme résume sobrement l'affaire: «A partir d'un certain degré d'inhumanité, dont nous sommes assez proches, rien ne pourra plus arriver qui concerne l'homme. Le non-homme qui pourrait, peut-être, résister à ces excès d'inhumain n'intéresse pas l'homme que nous sommes encore. »

A ce propos je me souviens d'avoir lu dans une revue scientifique l'exposé de chercheurs se flattant d'avoir prouvé la préférence des volailles pour les cages étroites et les mangeoires automatiques, plutôt que pour une basse-cour ensoleillée. Ce genre de trouvailles ne prêteraient qu'à rire si elles restaient confinées aux stations d'essais et aux revues spécialisées de ces aliénés. Mais la sollicitude du rationalisme n'est pas moindre à l'égard de son bétail humain qu'à celui des poulets dont il le nourrit.

N'est-il pas pratiqué aussi pour celui-là un tri sélectif empirique sur des critères d'adaptabilité aux coercitions et de résistance aux polluants, de préférence pour la vie troglodyte et la lumière artificielle, d'appétit pour l'internement social et la vie mimétique; en attendant que les ordinateurs compilent la carte génétique idéale de cette volaille humaine.

D'ailleurs les autres tendent à s'éliminer d'eux-mêmes, soit qu'ils n'arrivent pas à suivre et tombent malades ou sombrent dans la dépression, soit qu'ils ne se reproduisent pas ou deviennent fous, ou végètent en prison, ou se suicident.

Voici encore ce que j'ai noté: s'agissant des innovations, Bacon voulait en conclusion que toute nouveauté, sans être repoussée, soit tenue néanmoins en suspecte, et, comme dit l'Ecriture: "Qu'on fasse une pause sur la vieille route et qu'on regarde autour de soi pour discerner quelle est la bonne et juste voie, pour s'y engager." Trouver aujourd'hui une vieille route suppose de s'écarter considérablement du torrent de la circulation, voire d'abandonner son véhicule et de poursuivre à pied. Mais on la trouvera et probablement on y croisera des randonneurs vêtus de ces tenues multicolores qui sont l'uniforme amusant de la servitude volontaire. "

Baudoin de Bodinat, La Vie sur terre. L'encyclopédie des Nuisances, 1996
Bien cher Olivier,

Le problème, avec ce genre d'article, c'est qu'on généralise : on met au même niveau la pénicilline et la machine à pain, toutes deux des nouveautés lorsqu'elles apparurent. Or, si la seconde a pour principal effet d'encombrer, la première vaut tout de même mieux que les sinapismes pour les pneumonies.
Par ailleurs, je vois très bien le sieur de Bodinat prôner un retour aux vieilles valeurs qui firent tant pour le renom de la France, celles des toilettes à la turque au fond du jardin avec un clou auquel était suspendus des carrés de journaux. J'image la grand'mère dudit Baudouin découpant, dans "La Croix", seul journal qu'elle lisait, justement la croix, afin d'éviter qu'on ne se torchât avec, à la suite de quoi le facétieux Baudouin lui demandait : "Mais, ma tante, s'il y a la photographie du Pape, que dois-je faire ?".
Donc, selon vous, Cher Jean-Marc, une invention bienheureuse dans le domaine médical justifie l'ensemble des innovations techniques ?
Non, bien cher Olivier, je dis simplement qu'il ne faut pas généraliser.

Il y a des innovations qui apportent des choses, et des pseudo-innovations qui sont le fruit dangereux du marketing.

Il appartient à chacun de se comporter en personne raisonnable et de faire la part des choses.

Une innovation n'est pas forcément suspecte : elle peut être inquiétante, c'est à nous de la maîtriser et c'est à nous de ne pas nous laisser régenter par elle.
L'imitation est le mot clef. Je crois qu'on ne peut apporter quelque chose de nouveau, d'utile, de positif, si on n'a, d'abord, la modestie d'imiter nos prédécesseurs en quelque matière que ce soit.
Mais Jean-Marc, je ne crois pas du tout que Bodinat récuse toute innovation, en tant qu'innovation. Il évoque précisément la déraison qui consiste à ne faire aucun tri, aucune sélection parmi les ces innovations. Elles se multiplient et s'accumulent sans qu'aucune attitude "raisonnable" ne vienne jamais les remettre en cause. Ne parlons même pas d'un éventuel retour en arrière : on n'imagine pas reculer d'un an ou deux dans la course aux gadgets. La blague du retour à la bougie jette le discrédit sur la moindre critique, alors qu'on s'en prend - timidement - à quelque invention ridicule et profondément nuisible des années 90 ou 2000.
Bien cher Olivier,

Vous noterez tout de même que ce monsieur nous écrit :

Voici encore ce que j'ai noté: s'agissant des innovations, Bacon voulait en conclusion que toute nouveauté, sans être repoussée, soit tenue néanmoins en suspecte, et, comme dit l'Ecriture: "Qu'on fasse une pause sur la vieille route et qu'on regarde autour de soi pour discerner quelle est la bonne et juste voie, pour s'y engager."
Vous jugez peut-être que cette suspicion n'a pas lieu d'être; moi je pense qu'elle devrait être érigée en principe. Elle nous aurait peut-être évité le modulaire (l'emblème, selon moi, du regrès civilisationnel).
A quoi faites-vous allusion ? je ne vois pas ce que vous voulez dire par "le modulaire".
Je voulais dire "cellulaire", excusez-moi (il existe aujourd'hui des téléphones dits modulaires, mais ils désignent une technique spécifique intégrée aux portables - je m'y perds un peu).
« que toute nouveauté, sans être repoussée, soit tenue néanmoins en suspecte, et, comme dit l'Ecriture: "Qu'on fasse une pause sur la vieille route et qu'on regarde autour de soi pour discerner quelle est la bonne et juste voie, pour s'y engager." »

Voilà qui serait un principe de précaution réellement sage et utile. Et cela ne devrait pas seulement concerner la technique mais aussi, notamment, la loi, à laquelle on ne devrait "toucher qu'en tremblant". Il n'y aurait là rien de fondamentalement hostile au progrès et au changement mais un refus de les considérer comme souhaitables en soi, a priori.

[[i]Tenue en suspecte[/i], c'est correct ça ? J'aurais écrit tenue en suspicion, considérée comme suspecte ou peut-être tenue pour suspecte.]
C'est que la technique à la vie dure, cette vidéo en dit plus qu'un long discours.
Aïe !



Le modèle de l'innovation technique et technologique, venu d'outre-Atlantique, est un modèle darwinien fantasmatique, ou si l'on préfère, celui de la frayère: produire, "développer" (c.-à-d. "mettre au point") des milliers et des dizaines de milliers de procédés, gadgets et autres protocoles et leurs variantes simplement parce qu'on le peut, pour ensuite voir si le marché en veut, comment et combien il en veut, et enfin laisser le marché - et les forces du marketing - décider pour les hommes ceux parmi ces procédés, gadgets et protocoles qui "prendront". Les poissons dans les frayères - l'innovation, à propos, a pour hotbeds des pouponnières d'entreprises - agissent ainsi: ils libèrent leurs oeufs par millions dans le milieu, qui les fécondera ou non, et qui aura soin de décider de l'existence de la génération suivante, et de ses modalités.

La sagesse des hommes et leur discernement, dans un tel paradigme, est bien évidemment une dimension hors sujet: seule est maîtresse la force brute du "je le fais parce que je peux le faire et le fruit de mon innovation connaîtra un destin que lui dictera, darwiniennement, le marché". Comme on le voit, rien n'a bougé depuis les années 1880 sur ce plan. Il n'y a eu, dans la démarche des hommes en matière d'innovation technique, strictement aucune innovation, jamais aucune depuis l'invention du paradigme industriel moderne. L'innovation restera un impensé tant que les hommes ne seront pas sortis de ce crible artificiel, et fortement artificialisé et manipulé, de la frayère, du gruyère à hublots, du piège à rat dans lequel le rat entre à reculons et les yeux grand fermés sur son avenir.
Citation
Marcel Meyer
« comme dit l'Ecriture: "Qu'on fasse une pause sur la vieille route et qu'on regarde autour de soi pour discerner quelle est la bonne et juste voie, pour s'y engager." » ...

Tenue en suspecte, c'est correct ça ? J'aurais écrit tenue en suspicion, considérée comme suspecte ou peut-être tenue pour suspecte.

De plus, j'aimerais savoir où l'Écriture dit cela. Montaigne a bien une source antique sur cette question, mais la Bible donne-t-elle des leçons de conservatisme et d'amour des vieilles outres ?
Pour les vieilles outres, j'ai des sources précises, Henri, mais votre message me laisse penser que vous vous y êtes aussi abreuvé.
Le désir d'innovation n'est somme toute pas une si grande surprise, et prend même place dans un "ordre des choses" que définit parfaitement le mode projectif de l'existence humaine : c'est en quelque sorte une adaptation et une application de la technique à une inclination veille comme le monde, de désirer le nouveau par dynamique protractile perpétuelle, pour lui-même et sans aucune autre contrepartie réelle que celle d'être dans le mouvement imparable vers l'avant.
C'est presque fatal, on n'y peut strictement rien.
Ou bien essayer de faire miroiter aux foules ce que pourrait bien être l'éternité :

« Quand on est déçu par un plaisir qu'on attendait et qui vient, la cause de la déception, c'est qu'on attendait de l'avenir. Et une fois qu'il est là, c'est du présent. Il faudrait que l'avenir fût là sans cesser d'être l'avenir. Absurdité dont seule l'éternité guérit. »

Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce
C'est pourquoi il faut se tourner vers le passé : pas de danger qu'il devienne du présent, celui-là...
(Je plaisante, mais c'est une très belle citation que vous nous livrez là, cher Alain Eytan - me donne envie de rouvrir ces pages.)
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Puisque nous nous penchons sur notre passé, nous nous rappellerons ce que nous dit le Tantum ergo :

Et antiquum documentum
Novo cedat ritui
Pour moi, en l'absence constitutive et définitive donc d'instances capables de juger de la valeur des innovations à la place de leurs utilisateurs, il me paraît clair justement que le marché est un excellent (et l'unique) moyen de parvenir à une évaluation objective et en outre opérationnelle. C'est même la fonction du marché.
Merci pour cette belle citation Cher Alain. Le non-mouvement éternel est inconcevable, et il est absolument dans la nature de l'homme d'inventer, d'aller en avant; mais il n'est pas condamné à toujours plus d'avancées techniques insensées. Il peut marcher, au lieu de courir; monter, au lieu de s'étendre. Il y a bien des façons de progresser, et dans ce domaine il y a matière à innover, ne pensez-vous pas ?

Chère Ostinato, que nous apprend le marché sinon la capacité d'une innovation à asservir les masses ?
Allons, c'est l'été, mais ne nous laissons pas aller à la culture des marronniers, tels que les hommes et la technique, le marché et ses bienfaits ou sa nuisance.... On va s'enferrer.
Je voulais simplement savoir quelle idée vous aviez exactement derrière votre affirmation que le marché est "un excellent (et l'unique) moyen de parvenir à une évaluation objective et en outre opérationnelle" d'une innovation, mais il est clair que ce genre de discussion n'est pas propice à la détente estivale...
Le marché, c'est l'actuel, il est étranger au passé et le futur, qui l'intéresse pourtant, il le voudrait manipuler pour servir les intérêts du présent -- c'est le fameux "marché des futures" (marchés à terme). Le marché est aussi sot, aveugle sur l'avenir, exempt de passé, et surtout impérieux, qu'un enfant de cinq ans. Il en a aussi toute la gigantesque force de nuisance, ou disons même, force tout court.
Les innovations étant le plus souvent des réalités concrètes concernant des objets concrets qui s'achètent, le marché est juge de leur utilité. Pourquoi iriez-vous acheter quelque chose qui ne sert pour ainsi dire à rien, et pourquoi vous priveriez vous des satisfactions qui s'attacheraient à une innovation donnée si vous en avez les moyens. Le marché n'est qu'un référendum permanent sur les objets proposés à l'achat. La publicité peut retarder, mais non annuler le vote final.
Bien chère Ostinato,


Il faudra que vous fouilliez les placards de vos amis, vous y trouverez bon nombre de "trastes", c'est à dire en occitan de choses inutiles et encombrantes.
C'est la théorie classique du marché, lequel est comme un petit enfant qui dévore l'univers de son présent, de son immanence. Le résultat, la trace de tout cela, c'est la grande décharge d'Ensérune, vous qui êtes Marseillaise, vous savez de quoi je parle chère Ostinato. Le passé du marché: une montagne de détritus.
Bien sûr, des modèles de choses "dépassées" par les innovations (vieille télé, vieil ordinateur, portable de génération antérieure, assiettes et couverts dépareillés...) ou les innovations ratées que vous avez testées en jouant les pionniers (la machine à pain qui n'a jamais pu servir, le robot mixeur plus encombrant qu'utile et qui vous servait 2 fois l'an, le grill à viande qui ne cuit pas vraiment les biftecks afin de ne pas vous intoxiquer et vous fournit des tranches encore toutes roses), et aussi les vieux souvenirs familiaux qu'on ne regarde que par hasard en montant au grenier pour y faire le vide, mais qui vous culpabilisent et refusent obstinément d'être livrés à une entreprise de débarras....
Je crois aussi, bien chère Ostinato, qu'il faut compter sur la fièvre du jetable.

Au temps de ma grand'mère, on achetait des choses qui "durent". J'ai gardé ce principe pour mes chaussures, je paie assez cher et je fais ressemeler (une chaussure de qualité fait beaucoup de profit et, surtout, on n'a pas mal aux pieds).

Les meubles de ma chambre sont ceux de ma mère, achetés par mes grands-parents en 1932 (la date de fabrication est derrière l'armoire). Je n'ai aucune raison de les changer.

De même, mon téléphone portable (cellulaire, me dit-on) a pour fonction principale de téléphoner et non de prendre des photos, jouer de la musique ou Dieu sait quoi. En revanche, il a une double carte (France Telecom et SFR) ce qui assure qu'avec les réseaux partenaires on est joignable à peu près partout. Il fonctionne sous toutes les latitudes.
Si la fièvre du jetable était si importante les greniers ne seraient pas encombrés !...

Je veux bien garder les choses anciennes encore faut-il qu'elles soient à mon goût pour continuer à vivre auprès de moi. Ma mère avait une "superbe" armoire en acajou massif des années et de style "art-déco" (500 kgs peut-être), meuble que j'ai toujours détesté pour son encombrement, sa couleur, et son apparence massive. Ma mère l'a vendue et je n'ai rien regretté (au contraire).
Pour ma part, je trouve ce genre de meuble rassurant (venez chez moi, on dirait que le temps s'est arrêté lorsque les Allemands sont arrivés en 1942).
Un endroit idéal pour un feuilleton télé en somme. N'avez-vous pas l'impression de jouer dans quelque production cinématographique, les sujets sur cette époque étant fort prisés.
J'ai l'impression que ce genre d'intérieur est très inquiétant pour les personnes qui n'y sont pas habituées...

Il y a un an, j'ai fait intervenir un installateur, pour une question de télévision (le poste est dans une autre pièce). Le travail fait, il a fallu régler les questions administratives, et j'ai donc signé ces divers papiers dans mon salon, à la lueur des deux appliques. J'ai vu que mon interlocuteur n'était pas à son aise, que pouvait-être cette pièce avec ses lourds meubles, ses deux bibliothèques, son absence d'électronique, ses tentures, ses théories de bibelots ?

Cela aurait pu faire "chez Michou", sauf que ce monsieur était tombé dix minutes avant à la fois sur le râtelier à fusils, dans le placard qui contient le tableau électrique...
Cher Francis Marche , vous vouliez parler de la décharge d' Entressen je crois ! L'oppidum d' Ensérune près de Béziers n'est pas une décharge ( pas encore ) .
La Mode semble illustrer l'idée de nouveauté mais regardez l'histoire du costume qui est un éternel recommencement. Pour ce qui est des meubles, je suis comme Jean Marc, ces meubles de famille que j'ai toujours vus me servent de repères.
Seigneur JCNS! Je sentais bien que quelque chose m'échappait quand j'écrivais "Ensérune"... Mettez ça sur le compte de la distance, de l'exil et de la moiteur débilitante des tropiques qui fond tous les noms ressemblants en un plasma où l'inconscient échoue à les recomposer. A moins que ce ne soit le début d'une tumeur au cerveau, caractérisée, dans ses premiers stades, par le symptôme du "mot pour un autre" .. et deux petites taches de sang sur l'oreiller, le matin au lever.

Cela dit, le marché fera que les générations futures verront dans la décharge d'Entressen, notre Ensérune, Notre-sens.

Le déchet, le rebut, l'objet échoué, l'objet-échec propulse la société de consommation comme le kérosène l'engin à réaction.
Cela me rappelle le Miramas des Météores de Michel Tournier.
Et que feraient les Roms sans eux.
Donne-moi ton horloge, j'te donnerai l'heure !
Un dernier mot sur le rebut: la vision darwinienne du monde est bâtie sur une vision anthropique de la décharge. Or il n'est point de décharge naturelle; j'entends que les couches de fossiles ne montrent aucun être raté aucun être-rebut, tous les êtres fossiles sont accomplis: aucune population ratée d'oiseaux à quatre pattes ou de moutons à huit oreilles dans les shistes de Burgess.

Cependant, la théorie darwinienne, qui alimente la décharge éternelle de l'innovation, ne conçoit point le monde naturel autrement que comme cela, autrement que sous cette forme où il n'existe pas: la méthode d'essais et erreurs contre l'environnement qui produirait des décharges fossiles de hopeful monsters et qui, comme toutes les fouilles le révèlent depuis douze décennies, ne se trouvent, ces décharges de fossiles ratés, nulle part.

Darwin et ses délires sont nés à l'époque où naissaient les premières décharges industrielles d'Occident: il est grand temps que l'on comprenne que cette théorie, grossière et naïve, en fut à la fois le reflet et l'expression.

Le marché, la "survie du plus apte" et l'alimentation des décharges, mènent le monde et continuent, à New York, à Entressen ou à Delhi, sans un degré de déviation dans leur orientation, depuis cent quarante ans. L'innovation, depuis le premier grand essor industriel, est morte, et ses "essais et erreurs" laisseront aux générations futures un monde-décharge où leurs savants désespérés constateront la piètre civilisation que nous avons été.
Une civilisation tâtonnante (méthode essais-et-erreurs, décharges, invendus, rebuts, rejets, émissions toxiques, reprises, rapiéçages, repentirs coûteux, coulures, bavures, réhabilitations, faux-départs, traces et friches ineffaçables de l'erreur, constructions qui n'en sont point, dont personne ne voulut jamais et dont la destruction même imposerait des sacrifices, etc. ) est une civilisation qui ne vaut rien, qui n'est pas présentable aux générations futures, à l'homme à naître. Aucune civilisation ancienne qui se montre à nos yeux, n'offre un spectacle d'elle-même aussi pitoyable. Dans ses traces à venir, cette civilisation soulève le coeur, appelle, de toute éternité, et donc dès à présent, l'éclat de rire.
Le sculpteur Paul Landowski, interrogé sur le béton dans l'architecture, dit qu'il n'en veut à aucun prix, parce que cela fait de vilaines ruines.
Ce que ne dit pas le Figaro c'est que l'horloge est entièrement de fabrication française (reportage vu, de mes yeux vu, à la télévision française) !

.[islamenfrance.20minutes-blogs.fr]
Francis a pleinement raison : une des grandes réussites du modèle américain, ce n'est pas tant de nous avoir imposé sa langue (et ses consultants, n'est-ce pas, Orimont ?), c'est d'avoir fait basculer le modèle traditionnel des vieilles civilisations du "geste artisanal parfait" vers le produit de masse ajusté par approximations successives, en quelque sorte la doctrine du "do and dare".
Sur le lien que vous donnez, Chère Ostinato, une femme se voile avec le drapeau français: je trouve cela insupportable. Ces gens nous prennent pour des imbéciles.
" Ces gens nous prennent pour des imbéciles " : et pour cause , nous le sommes !
À propos de Darwin, il me semble que les inadaptés de demain sont majoritairement les adaptés d'aujourd'hui, dans un environnement changeant, et ils auront vécu pleinement en phase avec leur milieu entre-temps. De toute façon un dinosaure moyen est trop grand pour entrer dans un sac à ordures.
Mais votre théorie a une allure telle, cher Francis, que sa stricte conformité à celle darwinienne selon mon point de vue est vraiment secondaire.

(Cependant, un irrésistible grain de subversion m'incline à voir dans tout manqué un poing dressé à la face du monde, qu'il ait définitivement trouvé ses marques ou pas.)
C'est un darwinisme phantasmé, dans lequel Charles Darwin ne se reconnaîtrait vraisemblablement pas -- un darwinisme pour étudiant d'école de commerce : le milieu (le marché) trie sélectivement (comme nous le faisons aujourd'hui avec peine dans nos ordures) et décharge dans l'arrière-cour de la civilisation les rebuts, c'est ainsi que, comme l'avion à réaction, la "civilisation" avance; on la donne ainsi s'avançant dans l'avenir comme ces néo-darwiniens pensent que la nature évolue. Or il n'en est rien: le modèle anthropique sélection-décharge-avancée dans l'histoire est étranger à l'histoire naturelle. La preuve ? Les gisements fossiles ne ressemblent en rien à nos décharges: ils sont sans déchet ni êtres inaccomplis. Le modèle dix-neuviémiste de l'innovation qui a voulu et veut encore emprunter à l'histoire naturelle de cette époque est nul -- nul en ce sens qu'il est faux, illusoire et de toute façon caduc, inopérant, arrêté, embourbé le nez dans ses décharges qu'il a désormais devant lui.
Pour renchérir sur ce que nous dit Francis, la question se pose, au delà du contenu, sur les façons de faire.

Prenons l'exemple de la SNCF. Les trains, même s'ils roulent plus vite dans certains cas, sont restés assez semblables à eux-mêmes. Or, le billet de train, lui, a changé.

Le tarif n'est plus kilométrique mais régi par le "Revenue Management", qui est tout simplement l'adaptation du tarif en temps réel pour tenir compte de l'occupation des trains. Cela étant, la SNCF étant encore engoncée dans ses vieilles traditions, elle n'a pas encore tout-à-fait franchi le pas, et dans les trains de nuit survivants, nous voyons les wagons-couchette bondés suivis par des wagons vides fermés à clé.

C'est aussi ce que font les génies du marketing d'Auchan ou de Casino, qui vous sortent au moment où vous payez un document électronique du style "5 € de réduction si vous venez jeudi entre 9h35 et 10h43" ou "9€ de réduction sur les produits halal et les pyjamas si vous achetez pour plus de 50 €". A ce propos, si vous avez une carte de fidélité, sachez que les ordinateurs du commerçant connaissent votre profil d'achat (je prends plaisir à perturber cet ordinateur en achetant par exemple des merguez halal et un saucisson).
Par ailleurs, bien cher Orimont, je tiens à vous signaler qu'une des merveilles de l'anthropocène tardif est l'apparition d'une nouvelle forme de consultance, celle liée aux déchets. Elle est basée sur une science (?) spécifique, qui se nomme la rudologie.
L'histoire de l'innovation technique n'est, selon moi, que celle d'un désir d'oisiveté contredit, mal assumé. Peut-on citer une seule innovation technique, depuis le néolithique jusqu'à nos jours, qui n'ait eu pour objectif de faciliter un geste, d'en rendre l'exécution moins douloureuse et moins nécessaire l'apparition de la biblique sueur ? Mais aussitôt cet objectif atteint, l'homme s'empresse de créer de nouvelles contraintes, des pesanteurs, des souffrances, à partir de cette innovation. Puis, à nouveau, son génie lutte contre elles et ainsi de suite. Telle est la "marche en avant". On ne se donne pas le droit de se servir.
Peut-on citer une seule innovation technique, depuis le néolithique jusqu'à nos jours, qui n'ait eu pour objectif de faciliter un geste, d'en rendre l'exécution moins douloureuse et moins nécessaire l'apparition de la biblique sueur ?

... jusqu'à l'invention qui boucle la boucle ouverte au néolithique: la machine à faire suer ! qui trône comme une guillotine dans la salle de fitness.
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