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"le vivre ensemble"

Envoyé par Virgil Waldburg 
18 septembre 2010, 09:28   "le vivre ensemble"
Quelle tristesse !
Alain Finkielkraut se met lui aussi à parler la langue laide et idiote du temps qui ne veut plus rien analyser : "la crise du vivre ensemble" répète-t-il ce matin.
Comment nommait-on ce qu'on veut cacher sous cette expression très laide avant qu'elle ne fleurisse partout ?
18 septembre 2010, 09:55   Re : "le vivre ensemble"
"la socialité" (générique et éternel jusqu'à l'effondrement récent du référent)
"vivre en bonne entente" (années 50 du siècle dernier)
"la tolérance réciproque" (fin des années 60 et première années de la décennie 70)
"l'acceptation de l'Autre" (à partir de la décennie 80 et jusqu'à l'apparition du "vivre ensemble")

"vivre ensemble" révèle évidemment une disjonction; quand la "communauté nationale" existait encore, il n'était pas besoin d'enjoindre aux communautés et autres tribus (qui vous tuent de leurs mains nues quand vous empiétez sur leur territoire, comme il est récemment arrivé à un jeune lycéen qui se trouvait dans le "mauvais" arrondissement parisien) de vivre ensemble par la répétition médiatique incantatoire de ce terme. "Crise du vivre ensemble" est un pléonasme quand on a ainsi constaté que la domination de ce terme dans la doxa médiatico-politique signale déjà cette crise de la socialité.
18 septembre 2010, 10:54   Re : "le vivre ensemble"
Cher Francis,
Il me semble qu'il s'agit de l'une de ces nombreuses nominalisations d'une expression verbale, sur le modèle anglais. Avant, nous aurions sans doute dit " une harmonieuse promiscuité" ou "un voisinage pacifique".
En fait l'expression ne dit rien de la manière dont les choses doivent se passer. "Vivre ensemble" c'est un pur fait, et en même temps une injonction qu'on nous adresse. Les gens sont là, donc nous vivons ensemble de fait. Mais l'injonction nous commande d'accepter tout de ceux qui ne respectent pas nos traditions et nos règles.
Je crois, en fait, qu'on parlait avant de "porte ouverte", tout simplement.
18 septembre 2010, 11:54   Re : "le vivre ensemble"
"Harmonieuse promiscuité"...

On dirait le nom d'un bordel de Macao...
20 septembre 2010, 22:39   Re : "le vivre ensemble"
"Je suis hôte unique dans une vaste auberge et je retrouve pendant les repas cette intense conversation avec soi-même dont j'avais perdu le fil. Entretien assez vide, je n'ai jamais su conduire mes méditations. Heureusement, j'ai le goût de l'archéologie, de l'histoire des religions et de celles des hommes ; je transporte avec moi de gros ouvrages que je n'ai jamais fini de lire. J'en suis resté à un chapitre d'une histoire des Français qui va me tenir compagnie, car il fait réfléchir ; c'est la peinture de l'honnête homme au XVIIème siècle, du moins l'image avantageuse que l'on a composée depuis. De grands individus, sortis de la Fronde à demi sauvages, ont appris à vivre et à parler ensemble. Je ne vois pas d'éducation plus haute que celle qu'ils ont reçue pour vivre ensemble, ce qui est le principal quand on fait partie d'une société humaine."

Jacques Chardonne - Vivre à Madère (1953) (Très beau roman, à la construction étrange et envoûtante, dont je me permets de recommander la lecture ou relecture.)
20 septembre 2010, 22:59   Re : "le vivre ensemble"
"
L'invitation au voyage

Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l'âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde ;
C'est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu'ils viennent du bout du monde.
- Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D'hyacinthe et d'or ;
Le monde s'endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté."

Charles Baudelaire
21 septembre 2010, 07:07   Re : "le vivre ensemble"
J'ai toujours trouvé extraordinaire que Baudelaire, homme qui aimait les tropiques (et les fleurs tropicales comme Jeanne Duval) ait écrit un si beau poème à propos de la... Hollande.
21 septembre 2010, 09:32   Re : "le vivre ensemble"
Avez-vous vu, cher Jean Marc, le film Rembrandt fecit 1669 ?

une idée
21 septembre 2010, 09:33   Re : "le vivre ensemble"
Non, je ne l'ai pas vu...
21 septembre 2010, 09:34   Re : "le vivre ensemble"
C'est un voyage dans le temps, magnifique.
21 septembre 2010, 09:37   Re : "le vivre ensemble"
Je vais voir si je peux le commander (ce forum me cause de grands problèmes de rangement de livres, je dis cela incidemment).
21 septembre 2010, 10:01   Re : "le vivre ensemble"
Le poème est ironique, cependant. D'une part nous faire rêver avec... la Hollande, ce qui n'est ni exotique, ni lointain - premier effet comique, mais qui n'apparaît que graduellement, car le poème commence par les clichés des invitations au voyage. D'autre part, si vous récitez le poème en le disant comme il faut, c'est-à-dire en disant le bon nombre de pieds : il faut dire "LuxEuh, calme et volupté" et non "lux' calme et volupté", comme on dit souvent (d'une manière fausse, mais poétique). Baudelaire fait exprès : il se moque de ce que le lecteur croit être poétique, y compris dans le rythme. Enfin, le mètre choisi pour le refrain (et une partie des couplets), de sept pieds, est le mètre qu'on trouve souvent dans la poésie ironique : "... le contraste entre ses deux mesures sans cesse inégales lui donne une allure sautillante et saccadée, qui convient parfaitement à certaines poésies légères, surtout à celle dont le ton est badin ou ironique." La satire a souvent recours à l'heptasyllabe.
Il y a de bonnes chances d'ailleurs que Baudelaire se contente ici de décrire un tableau, comme il le fait souvent.
Probable donc que Baudelaire se moque de nous. Graham Robb a souvent analysé la manière dont Baudelaire tournait en dérision et en ridicule les poncifs romantiques. Nous le voyons tant comme le poète souvent que nous avons du mal à le lire comme un auteur comique et ironique.
21 septembre 2010, 10:10   Re : "le vivre ensemble"
Cher Virgil,

Tout d'abord, je vous remercie pour vos conseils : "si vous récitez le poème en le disant comme il faut", je n'y aurais pas pensé.

J'abandonne donc les vers pour la prose, qui ne demande pas de lecture spécifique, et je vous présente ceci :


"Puisque tu aimes tant le repos, avec le spectacle du mouvement, veux-tu venir habiter la Hollande, cette terre béatifiante? Peut-être te divertiras-tu dans cette contrée dont tu as souvent admiré l'image dans les musées. Que penserais-tu de Rotterdam, toi qui aimes les forêts de mâts, et les navires amarrés au pied des maisons?"
Mon âme reste muette.
"Batavia te sourirait peut-être davantage? Nous y trouverions d'ailleurs l'esprit de l'Europe marié à la beauté tropicale."
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