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Tous réacs ?

Envoyé par Gérard Rogemi 
10 octobre 2010, 09:42   Tous réacs ?
Paru dans l'Opinion Indépendante

Tous réacs ?

Longtemps vilipendés, les réactionnaires semblent reprendre du poil de la bête. Ils n’ont plus honte, affichent fièrement leur opposition à la modernité et au progressisme. Tremblez braves gens !

A l’automne 2002, un opuscule signé par l’ancien trotskiste Daniel Lindenberg dénonçait la dérive ultra droitière d’une partie de l’intelligentsia française. Sous le vocable de «nouveaux réactionnaires», notre homme ramassait dans son vaste filet aux mailles serrées Alain Finkielkraut, Marc-Edouard Nabe, Maurice G. Dantec, Paul Yonnet, Marcel Gauchet, Michel Houellebecq, Pierre Manent, Renaud Camus, André Glucksmann, Philippe Muray et d’autres encore au plumage aussi varié que le ramage. La formule «nouveaux réactionnaires» eut un vif succès médiatique et le procureur Lindenberg s’attendit aux félicitations du jury, mais l’arroseur se retrouva copieusement arrosé. Même Le Monde d’Edwy Plenel fut gêné aux entournures par les amalgames de ce confus libelle. Pire : la plupart des «réacs» revendiquèrent haut et fort les mauvaises pensées dont les accusait Lindenberg. Dans un texte aussi drôle qu’intelligent, Philippe Muray en 2002, Michel Houellebecq se félicitait de se trouver en si bonne compagnie et s’adressait aux «aimables réactionnaires classiques, nobles gardiens de la maison ancienne» pour leur proposer d’accueillir dans le camp de la réaction les petits «nouveaux» : «Nous saurons conserver le meilleur de votre tradition ; nous maintiendrons. Nous saurons, aussi, procéder aux ajustements indispensables à l’entrée dans le troisième millénaire. Détendez-vous, kids, on prend l’affaire en main ; vous apercevez le bout du tunnel.»

Huit ans après, la réaction semble ne s’être jamais mieux portée. Michel Houellebecq – grand pourfendeur de mai 68, des intellectuels de gauche et de «la racaille gauchiste» (sic) – est l’écrivain français le plus populaire et le plus médiatique. Eric Zemmour est devenu une vedette de la télévision et place ses livres en tête des ventes tandis que d’autres affichent fièrement (voir interviews) leur tempérament réactionnaire, c’est-à-dire leur rejet d’une modernité carnassière et dévastatrice. Même Philippe Muray, génial imprécateur des temps présents réservé à quelques initiés de son vivant, est adulé par les «bobos» et Libération depuis que Fabrice Luchini lit ses textes sur scène… Sur le site réac causeur.fr, Bruno Maillé attirait ces jours-ci l’attention sur le stupéfiant «coming-out» de Daniel Lindenberg lors d’une émission de France Culture consacrée à Muray. L’ancien chasseur de réacs confessait avoir découvert chez cet écrivain qu’il lisait «avec beaucoup de plaisir» un personnage plus complexe qu’il ne le pensait. Et notre homme de lâcher : «ce n’est pas un mal d’être réactionnaire». Fouchtra ! Lindenberg et les belles âmes du progressisme n’en sont pas encore à juger qu’il est «bien» d’être réactionnaire, mais méfiance. Car ce jour-là signifiera que la réaction est devenue un nouveau prêt-à-penser et les esprits libres devront quitter ses rivages trop et mal fréquentés.

Eric Brunet : autoportrait d’un réac

Journaliste et essayiste, Eric Brunet vient de publier Dans la tête d’un réac, manière d’autoportrait à travers lequel l’auteur livre sa panoplie réactionnaire.

Dans votre Panthéon personnel, vous placez à la fois Thatcher et Houellebecq, Reagan et Roger Nimier, les intellectuels dégagés et Finkielkraut, Bastien-Thiry et de Gaulle…


Je précise toutefois que cet héritage est foutraque. Il n’y a pas de cohérence politique ou esthétique. Je cite également Maurice Ronet, mais tous ces personnages font partie d’un territoire, d’une sensibilité même si tout cela peut sembler discordant. Cette discordance est d’ailleurs l’une des caractéristiques de la réaction.

«La diabolisation du libéralisme est une obsession quasi névrotique chez les gens de gauche», écrivez-vous. En même temps, on retrouve chez vous un déchirement propre à certains gens de droite qui s’accommodent économiquement du capitalisme tout en déplorant la sous culture et l’esthétique qu’il engendre…

C’est vrai. Avant la crise, j’ai eu la faiblesse de soutenir l’économie de marché avec ferveur et je m’en explique dans le livre. Il y a en effet un déchirement intérieur chez bien des gens de droite vis-à-vis de ce marché qu’il est stupide de diaboliser, mais qui fait n’importe quoi tout en générant une culture qui ne nous ressemble absolument pas. On imagine ce qu’auraient dit Churchill ou de Gaulle devant les débordements délirants du marché. C’est une souffrance qui fait partie de l’ADN de l’homme de droite.

Selon vous, «La droite est devenue un IUFM qui néologise comme un prof de gauche, un phalanstère consensuel» peuplé de «petits machiavel moderno-progressistes», elle a perdu «son doux substrat conservateur».

La droite moderne s’est «tonyblairisée». La droite des années trente tentait de ne pas succomber à la tentation fasciste, celle d’aujourd’hui tente de ne pas succomber à la tentation moderno-progressiste, c’est-à-dire la tentation d’être de gauche. A la sortie d’un précédent livre, j’avais fait une conférence devant des jeunes militants de l’UMP, au siège du parti, sur le thème «Etre de droite en milieu hostile». Tous essayaient de me démontrer que sur les grands sujets de société ils avaient des brevets de pensée correcte et qu’ils étaient finalement de gauche. La droite a fait siens tous les sujets que l’on croise dans «Le Grand Journal» de Denisot sur Canal pour montrer qu’elle est moderne… Le type de droite qui n’est pas de cette chapelle est alors qualifié de réac ou d’extrême droite.

Vous saluez en Nicolas Sarkozy un «réac au sourire si doux». Est-il réactionnaire à vos yeux ? N’est-il pas l’incarnation de cette droite furieusement moderne qui veut tourner le dos à tous les conservatismes ?

Il est paradoxal, je ne suis pas convaincu qu’il ait une ligne très claire, mais j’ai plutôt envie de lui venir en aide. Si je n’ai pas voté en 2007, il m’est plutôt sympathique maintenant car ce «Tout sauf Sarkozy» convulsif et compulsif qui va du Parti communiste au Front national me met mal à l’aise, même si c’est un rituel que doit affronter chaque président. S’il décrétait demain matin une augmentation de 1000 euros de tous les salariés, il subirait encore des critiques des leaders syndicaux… Pour ma part, je pense qu’il y a du réac en lui. Il se dit de droite sans s’en excuser et il y a dans son approche de l’équation républicaine des données réactionnaires.

Voici quelques années, une polémique avait épinglé les «nouveaux réactionnaires». Or, les «accusés» n’avaient pas abdiqué et le procureur avait même été lâché en rase campagne par le politiquement correct. Les réacs ont-ils le vent en poupe ?

Non, je ne crois pas. Ils sont régulièrement convoqués au tribunal de la bien-pensance. Cela dit, la conjoncture française et internationale favorise en ce moment la réaction comme jamais auparavant. Il y a dans l’opinion un courant de pensée nostalgique qui ne relève pas que d’un «C’était mieux avant» de principe. Pour ma part, j’aurais pu être, dans d’autres circonstances, l’un de ces moderno-progressistes que je fustige, mais, aujourd’hui, en 2010, on voit bien que Jacques Brel et Georges Brassens étaient mieux que Matthieu Chedid et Bénabar… Qu’il s’agisse du contrat social, de la culture, de l’enseignement, des bistrots, des rues, des plages : tout est moins agréable que cela l’était avant. Peut-être que les choses iront mieux demain, mais pour l’instant je préfère vivre en regardant dans mon rétroviseur qu’en regardant autour de moi.

Vous revendiquez l’héritage d’Audiard, des hussards ou de Bernanos. Le réac n’est-il pas un anar de droite ?

Il est un peu anar de droite, un peu poujadiste, un peu beauf, un peu intellectuel à contre-courant, dans des proportions qui restent à définir. Il y a des réacs de droite avec qui je n’aimerais pas voisiner. Anarchiste de droite : cela me va très bien. Il y a incontestablement chez le réac la récusation épidermique de la société dans laquelle il vit.

Article paru dans l'édition du Vendredi 01 Octobre 2010
10 octobre 2010, 09:46   Re : Tous réacs ?
Eric Brunet vendredi dernier sur RMC



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