Le point de vue de Robert Redeker est intéressant mais, contrairement à lui, je ne rattacherais pas cette morale de la santé à tout prix à une idéologie au service du corps, mais plutôt à un mouvement plus vaste que l'on voit en Occident depuis quelques années, et bien illustrée par les bobos, à savoir celui qui veut que, dans notre quotidien, nous soyons attentifs non pas tant à notre bien être personnel qu'à celui de notre environnement : économiser les ressources énergétiques, consommer équitable, recycler ses déchets, etc.
Aucun secteur d'activité n'y échappe (on parle même de "tourisme équitable"), tout comme aucune parcelle de notre quotidien ne peut s'y soustraire : consommation de CO
2 dans les publicités automobiles, étiquetages énergétiques sur les produits d'électro-ménager,
"mangez cinq fruits et légumes par jour" sur les affiches et parfois même les emballages, etc. J'ai même eu l'occasion de constater un
"respecte les stocks de pêche" (ou quelque chose du genre) sur une boîte de poisson surgelé.
Certes, la préservation de l'environnement et de la santé sont des choses utiles et plus que jamais nécessaires. Mais ce matraquage systématique et insidieux qui s'infiltre partout a ceci de nouveau qu'il se répand dans une société démocratique comme le ferait une propagande totalitaire, avec cette différence que, comme il se revendique comme étant du Bien, il compte ainsi se soustraire totalement à une quelconque remise en cause. Il compte ainsi, progressivement, changer l'Homme par la rééducation idéologique, tout comme les régimes totalitaires comptaient créer un Homme nouveau, et on retrouve bien là l'idée du progrès envisagé comme un mouvement dans un sens unique que l'on doit atteindre à tout prix et pour lequel la fin justifie les moyens.
La principale nouveauté est qu'il n'y a pas de coercition physique ou légale à l'égard de l'individu : ce n'est plus le système qui doit imposer par des mesures contraignantes, mais c'est l'individu lui-même qui doit faire le choix de se comporter différemment : le ressort n'est plus la peur de la punition mais celui de la culpabilité : si je consomme trop d'énergie, j'agis mal car je mets la planète en péril ; si je fume, j'aurais un cancer, etc. C'est, en fin de compte, le même état d'esprit qui anime les Ami du Désastre défenseurs des clandestins, des mal logés, etc., du type : "si on les renvoie dans leur pays, ils ne pourront pas être soignés , ils auront des conditions de vie difficile, et donc nous somme des monstres si nous faisons cela."
Le problème est donc de trouver un équilibre entre des comportements qu'il convient parfois de changer (ne serait-ce que pour éviter une catastrophe écologique) et une propagande de plus en plus oppressante. On pourrait aussi s'interroger sur le caractère typiquement occidental de toute cette démarche : de toutes les civilisations, l'Occident est la seule à se soucier à ce point d'autrui, du monde qui l'entoure et se son respect. Je me demande s'il ne faudrait pas y voir là un legs du christianisme qui a, d'une part, toujours voulu mettre l'Homme au centre du système (contrairement aux autres civilisations dans lesquelles l'individu n'était qu'un maillon de la chaîne) et, d'autre part, a aussi institué cette idée de péché et de rédemption, tout comme il a voulu que l'on fasse toujours passer l'autre avant soi, parfois jusqu'à l'extrême ("si on te frappe sur une joue, tends l'autre joue, etc.").