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Redeker et la mort !

Envoyé par Gérard Rogemi 
12 octobre 2010, 12:14   Redeker et la mort !
Remarquable entretien avec Robert Redeker dans le dernier numéro de la revue Catholica. Un court extrait:

Comment se posent dès lors les grands problèmes spirituels et moraux ?

Il suit de cette substitution du corps technique au corps hérité et de ce rabattement de tout l'être humain sur ce nouveau corps un profond remodelage de la morale, une redistribution des catégories de bien et de mal. Le bien et le mal sont désormais perçus non plus en eux-mêmes mais par rapport au bien-être et au mal-être de ce corps. Cette nouvelle morale (terme abusif, on le verra un peu plus loin, pour ce qui n'est qu'une pseudo-morale pragmatique) ne demande plus de combattre le corps, ni de le mettre à distance, mais de le servir. Elle n'exige plus l'effort de détachement. Le mal n'est plus une faute contre l'esprit, mais un tort fait au corps. Son programme n'est plus : sauvez des âmes ; mais : sauvez des corps, prolongez le plus longtemps qu'il est possible leur existence. Son horizon n'est plus la survie heureuse de l'âme dans l'au-delà, mais l'interminable survie agréable du corps dans l'ici-bas. Cette morale se confond avec l'idéologie de la santé à tout prix. Par suite, surgissent de nouveaux aspects du mal : la cigarette, l'alcool, l'obésité, non parce qu'ils témoigneraient d'un manque de modération, d'une difficulté à surmonter ses désirs, à faire des efforts valables en eux-mêmes, mais parce qu'ils rendent malades les corps, qu'ils portent atteinte à l'intégrité des corps. Mais surtout, ils sont présentés comme les nouveaux péchés capitaux parce qu'ils raccourcissent la durée de la vie, mettant en échec l'utopie immortaliste immanente aux discours d'Egobody. Au contraire, la cupidité, l'infidélité amoureuse, l'envie, la goujaterie dans les rapports entre les sexes, traditionnellement tenus pour des maux, des péchés et des fautes, passent aux yeux de nos contemporains pour des vertus dans la mesure où elles permettent l'épanouissement. Il suffit de prêter attention à la publicité (pour la cupidité et l'envie) ou de lire les magazines féminins (pour la goujaterie) pour s'en rendre compte. Quant au bien, il s'identifie avec tout ce qui tourne autour du sain, du ménagement de ce corps (le sport etc.), de sa longévité. Le bien et le mal viennent, dans les cinquante dernières années, de perdre toute consistance, toute teneur ontologique. Le bien et le mal ne sont plus des concepts moraux mais l'expression de rapports au corps.
Utilisateur anonyme
12 octobre 2010, 12:24   Re : Redeker et la mort !
Merci, cher Rogémi. Ce que vous soulignez, le paradoxe qu'il y ait de mauvaises raisons d'arrêter de fumer, éclaire remarquablement la controverse d'un fil récent.
Rogemi,

Il est pourtant certain que l'Eglise a toujours condamné la gloutonnerie, qui apparaît sous le vocable "gourmandise" dans les pêchés capitaux. Ce qui est en jeu, dans la "gourmandise", ce n'est point tant le plaisir que la démesure et le fait qu'on devienne esclave de quelque chose. Dans ce sens, s'empiffrer, fumer comme un pompier, boire comme un trou sont bien des pêchés capitaux.
12 octobre 2010, 14:37   Re : Redeker et la mort !
"le dernier homme vit le plus longtemps."Nietzsche
L'horizon de notre humanité post moderne c'est la retraite, c'est à dire le temps, non perturbé par le travail, ni par l'otium, mais totalement orienté vers la consommation. Le chrétien allait à l'église ou faisait un pélerinage pour se préparer à la mort, le retraité démocratique va avec la mème obstination au supermarché ou dans un village vacance pour repousser, pour oublier la mort: "n'oubliez pas ma mort, ne l'oubliez pas "T. Bernhard
Utilisateur anonyme
12 octobre 2010, 14:51   Re : Redeker et la mort !
Cher Jean-Marc,
je ne comprends pas votre "pourtant" :

Il est pourtant certain que l'Eglise a toujours condamné la gloutonnerie, qui apparaît sous le vocable "gourmandise" dans les pêchés capitaux. Ce qui est en jeu, dans la "gourmandise", ce n'est point tant le plaisir que la démesure et le fait qu'on devienne esclave de quelque chose.

Le texte de Robert Redecker a justement cette réserve, soulignée par Rogemi et qui est justement ce sur quoi l'auteur s'appuie pour dénoncer la morale nouvelle :
non parce qu'ils témoigneraient d'un manque de modération, d'une difficulté à surmonter ses désirs, à faire des efforts valables en eux-mêmes

Rien que de très Catholica - d'où vient cette objection ?
Guillaume,

C'est une question de tempérance, qui est une vertu cardinale. Bien manger est une chose, manger à s'en rendre obèse en est une autre. Boire un peu de vin le dimanche est une chose, être ivre tous les jours en est une autre. Fumer un cigare un soir après un dîner est une chose, griller cigarette sur cigarette après huit heures du matin en est une autre.

C'est en fait ce que Paul nous dit magistralement :

Votre corps est le temple de l’Esprit Saint, qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu ; vous ne vous appartenez plus à vous-mêmes.

Commettant excès sur excès, on profane le temple de l'Eternel.

Le vin, le porc sont licites pour le chrétien, en fait toute nourriture est licite. L'abus qu'on en fait est, lui, critiquable.
Ne quid nimis, quoi, BCJM.
C'est cela même, Francmoineau, gardons-nous des extrêmes, et vive le juste milieu.
Utilisateur anonyme
12 octobre 2010, 20:40   Re : Redeker et la mort !
(Message supprimé à la demande de son auteur)
12 octobre 2010, 23:15   Re : Redeker et la mort !
Mais en fait, ce n'est pas la morale du corps en soi qui gêne, car après tout il n'a jamais manqué de vitalistes convaincus, de diététiciens-philosophes, de thuriféraires d'une active réincorporation absolument nécessaire, et parmi les penseurs les plus réputés, oh non ; mais c'est la diffusion de telles tendances parmi ceux que Valéry appela "les pauvres d'esprit" qui alarme, faussant complètement la donne :

« Ce n'est pas l'homme qui a le moins d'esprit qui vit le moins par l'esprit.
Le pauvre d'esprit créa l'Esprit, création des pauvres d'esprits.
Et ce furent des "spirituels" qui créèrent ce qu'ils nommèrent la Chair... »

Choses tues
13 octobre 2010, 12:05   Re : Redeker et la mort !
Le point de vue de Robert Redeker est intéressant mais, contrairement à lui, je ne rattacherais pas cette morale de la santé à tout prix à une idéologie au service du corps, mais plutôt à un mouvement plus vaste que l'on voit en Occident depuis quelques années, et bien illustrée par les bobos, à savoir celui qui veut que, dans notre quotidien, nous soyons attentifs non pas tant à notre bien être personnel qu'à celui de notre environnement : économiser les ressources énergétiques, consommer équitable, recycler ses déchets, etc.

Aucun secteur d'activité n'y échappe (on parle même de "tourisme équitable"), tout comme aucune parcelle de notre quotidien ne peut s'y soustraire : consommation de CO2 dans les publicités automobiles, étiquetages énergétiques sur les produits d'électro-ménager, "mangez cinq fruits et légumes par jour" sur les affiches et parfois même les emballages, etc. J'ai même eu l'occasion de constater un "respecte les stocks de pêche" (ou quelque chose du genre) sur une boîte de poisson surgelé.

Certes, la préservation de l'environnement et de la santé sont des choses utiles et plus que jamais nécessaires. Mais ce matraquage systématique et insidieux qui s'infiltre partout a ceci de nouveau qu'il se répand dans une société démocratique comme le ferait une propagande totalitaire, avec cette différence que, comme il se revendique comme étant du Bien, il compte ainsi se soustraire totalement à une quelconque remise en cause. Il compte ainsi, progressivement, changer l'Homme par la rééducation idéologique, tout comme les régimes totalitaires comptaient créer un Homme nouveau, et on retrouve bien là l'idée du progrès envisagé comme un mouvement dans un sens unique que l'on doit atteindre à tout prix et pour lequel la fin justifie les moyens.
La principale nouveauté est qu'il n'y a pas de coercition physique ou légale à l'égard de l'individu : ce n'est plus le système qui doit imposer par des mesures contraignantes, mais c'est l'individu lui-même qui doit faire le choix de se comporter différemment : le ressort n'est plus la peur de la punition mais celui de la culpabilité : si je consomme trop d'énergie, j'agis mal car je mets la planète en péril ; si je fume, j'aurais un cancer, etc. C'est, en fin de compte, le même état d'esprit qui anime les Ami du Désastre défenseurs des clandestins, des mal logés, etc., du type : "si on les renvoie dans leur pays, ils ne pourront pas être soignés , ils auront des conditions de vie difficile, et donc nous somme des monstres si nous faisons cela."

Le problème est donc de trouver un équilibre entre des comportements qu'il convient parfois de changer (ne serait-ce que pour éviter une catastrophe écologique) et une propagande de plus en plus oppressante. On pourrait aussi s'interroger sur le caractère typiquement occidental de toute cette démarche : de toutes les civilisations, l'Occident est la seule à se soucier à ce point d'autrui, du monde qui l'entoure et se son respect. Je me demande s'il ne faudrait pas y voir là un legs du christianisme qui a, d'une part, toujours voulu mettre l'Homme au centre du système (contrairement aux autres civilisations dans lesquelles l'individu n'était qu'un maillon de la chaîne) et, d'autre part, a aussi institué cette idée de péché et de rédemption, tout comme il a voulu que l'on fasse toujours passer l'autre avant soi, parfois jusqu'à l'extrême ("si on te frappe sur une joue, tends l'autre joue, etc.").
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