"Avant 1939, tout homme d'âge mobilisable qui quittait sa commune de résidence était tenu d'avoir sur lui son livret militaire, preuve que la tracasserie bureaucratique était déjà bien ancrée."
C'est vrai. Encore plus loin dans le temps, on peut citer ( ce que j'ai déjà fait il y a longtemps sur ce forum), ce genre de "tracasseries" :
"Au moment de partir, nous voyons arriver un commissaire orné de deux gendarmes qui nous dit :
- Vos papiers ?
Nous répétons ce que nous avions déjà dit.
- Eh bien, messieurs, dit ce fonctionnaire, vous êtes en état d'arrestation.
Mon ami le Breton fronçait le sourcil, ce qui aggravait notre situation.
Je lui ai dit :
- Calme-toi. Je suis presque un diplomate... J'ai vu de près, à l'étranger, des rois, des pachas et même des padis-pachas, et je sais comment on parle aux autorités. - Monsieur le commissaire, dis-je alors (parce qu'il faut toujours donner leurs titres aux personnes), j'ai fait trois voyages en Angleterre, et l'on ne m'a jamais demandé de passe-port que pour obtenir le droit de sortir de France... Je reviens d'Allemagne, où j'ai traversé dix pays souverains, y compris la Hesse; on ne m'a pas même demandé mon passe-port en Prusse.
- Eh bien, je vous le demande en France.
- Vous savez que les malfaiteurs ont toujours des papiers en règle...
- Pas toujours.
Je m'inclinai.
- J'ai vécu sept ans dans ce pays; j'y ai même quelques restes de propriétés...
- Mais vous n'avez pas de papiers ?
- C'est juste... Croyez-vous maintenant que des gens suspects iraient prendre un bol de punch dans un café où les gendarmes font leur partie le soir ?
- Cela pourrait être un moyen de se déguiser mieux.
Je vis que j'avais affaire à un homme d'esprit.
- Eh bien, monsieur le commissaire, ajoutai-je, je suis tout bonnement un écrivain; je fais des recherches sur la famille des Bucquoy, et je veux préciser la place où retrouver les ruines des châteaux qu'ils possédaient dans la province.
Le front du commissaire s'éclaircit tout à coup :
- Ah ! vous vous occupez de littérature ?... Et moi aussi, monsieur ! J'ai fait des vers dans ma jeunesse... une tragédie...
Un péril succédait à un autre (...) il fallut prétexter des affaires à Paris pour être autorisés à monter dans la voiture de Chantilly, dont le départ était suspendu par notre arrestation."
Gérard de Nerval.
Les faux saulniers (circa 1850)
[On peut observer, dans cette anecdote, que le gendarme, tout en faisant exécuter la loi de façon tatillonne, ne met en revanche pas un instant en doute la qualité d'écrivain, excipée par Nerval. Autrement dit, il ne
peut pas imaginer le moindre mensonge sur un tel thème.]
Or donc, tracasseries il y eut. Il n'empêche qu'aujourd'hui est devenu pratiquement impossible de s'engager sur sa parole d'honneur au moment, par exemple, de louer un appartement (à propos, j'espère, cher Jean-Marc, que vous n'avez pas renoncé à nous faire part de vos lumières sur la loi SRU et, plus généralement, sur celle du logement, sachez que cela m'intéresse beaucoup et je ne dois pas être le seul), d'exécuter un travail ou de contracter la moindre dette, sans s'entourer de prétendues "garanties" (qui, de surcroit, ne garantissent rien du tout ou presque (les fameux "devis" en sont l'illustration caricaturale et sont finalement bien peu de choses en regard du "cochon qui s'en dédit" de nos ancêtres.)