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Egypte : ras le bol des simplistes

Envoyé par Gérard Rogemi 
à lire

 Egypte : ras le bol des simplistes (info # 013101/11) [Analyse]

Par Stéphane Juffa © Metula News Agency

Il n’y a que les gens superficiels qui n’ont de cesse de répéter les mêmes inepties en faisant l’économie d’aller puiser dans leur mémoire ou dans l’histoire pour s’apercevoir qu’ils disent n’importe quoi.

Je pense à ceux qui suivent l’actualité le nez collé sur Aljazeera, en s’efforçant de ne pas se rappeler que cette chaîne fonctionne pour diffuser la pensée de l’émir du Qatar – stéréotype parfait du démocrate éclairé -, de modifier la réalité afin qu’elle lui donne raison, et de répandre sa parole parmi les téléspectateurs afin qu’ils s’identifient à elle.

A ceux qui n’ont pas encore réalisé que le terme "révolution" se borne à définir un changement brutal de régime politique, sans pour cela établir que le pouvoir à venir sera meilleur que celui qu’il a renversé. Eh oui ! il n’y a pas que des gens animés d’intentions louables qui font la révolution, particulièrement dans la partie du monde que j’habite, et particulièrement durant la période actuelle.

Il faut vraiment avoir la mémoire courte pour avoir déjà oublié que le gouvernement imposé par le Hezbollah, les Iraniens et les Syriens au Liban ne représente aucune avancée démocratique remarquable en comparaison de la coalition pro-occidentale qu’il vient d’écarter. Il s’agit bien entendu d’un euphémisme de ma part, courroucée par le simplisme ambiant.

La situation en Iran, depuis l’avènement de la "Révolution khomeyniste", est-elle plus favorable aux libertés fondamentales de l’individu que celle qui prévalait sous le règne de Reza Pahlavi ?

La "République" Islamique, qui pend, en moyenne quotidienne, à la flèche des grues deux personnes ayant participé aux protestations contre les élections truquées ? Et qui invite, dans le même temps, Hosni Moubarak à "suivre la volonté du peuple" ?

Et surtout, qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas écrit : je suis un adepte inconditionnel de la démocratie, au point d’être persuadé que si ce système prévalait partout, même appliqué de manière imparfaite, les conflits entre nations n’existeraient plus.

Je rêve d’un monde sans dictateurs, sans religions et même sans rois, dans lequel le bienêtre de l’individu, à commencer par le respect de ses libertés fondamentales, relèverait de la préoccupation principale de ceux qui le dirigent.

Mais je sais quand je rêve et quand je suis en veille, et je prends le plus grand soin à ne pas mélanger les deux états ; je ne peux que proposer cette hygiène indispensable de l’esprit à nombre de mes confrères journalistes qui en ont besoin.

Car quand je vois sur mon écran une Belphégor égyptienne, dont on ne distingue pas même les yeux dans la seule fente de quatre centimètres qui lui sert à communiquer avec les autres, expliquer qu’elle désire la liberté, la démocratie et la chute de Moubarak, je songe instantanément aux grues de Téhéran.

Certes, les gens qui affrontent le système archi-corrompu sur le pont du Six Octobre enjambant le Nil, ne sont pas tous des fondamentalistes occupés à islamiser l’Egypte, loin s’en faut. Et je me place, sans la moindre hésitation, du côté de ces manifestants intelligents et laïques, qui exposent, de façon très structurée et authentique, toutes les bonnes raisons qui les font aspirer à autre chose qu’à la copinocratie, oligarchique, médiocre et coercitive, qu’ils subissent au quotidien.

Lorsqu’ils clament "Moubarak dégage !", je vous assure que je les comprends ; mais je me souviens, dans le même temps, que ça n’est pas ceux qui battent le pavé, dans les révolutions, au risque d’y laisser leur peau, qui déterminent d’habitude les choix de ceux auxquels leur action aménage un accès aux affaires. Que ça n’est pas, d’ordinaire, le modèle de gouvernance qu’ils prônent, qui s’installe à la fin de l’orage.

Hosni Moubarak ne va pas tarder à s’en aller, pour une retraite en exil ou pour tirer sa dernière révérence. Le raïs est très malade, son visage émacié, lors de sa conférence de presse en témoigne. Et s’il ne se montre pas plus énergique dans ses efforts destinés à mettre au pas ses détracteurs, c’est tout simplement qu’il n’en a plus la force physique.

C’est comme à la chasse, quand la meute sent que le gibier se trouve au bord de l’épuisement, elle redouble d’énergie. Et plus personne, de ceux qui disposent de leur libre arbitre, que ce soit au pays ou à l’étranger, ne va plus miser sur un vieux cheval affaibli, qui ne retrouvera plus jamais la vigueur nécessaire pour imposer son train.

C’est peut-être ici l’endroit de mentionner, dans cet article, que l’on ne peut pas parler, en Egypte, d’un retour à la démocratie, puisqu’elle n’en a jamais connue, mais de son instauration. Depuis le roi Farouk, elle n’a vu défiler que des "raïs", tous issus de l’armée, que ce fut Gamal Abdel Nasser ou Anouar El Sadate, qui ont dirigé le pays exactement de la même manière que Moubarak l’a fait.

On peut, à ce propos, évoquer Sadate, sympathique et courageux aux yeux de tous les démocrates, Prix Nobel de la Paix, pour rappeler qu’en 1969, après le décès de Nasser, il recueillit 90% des suffrages au référendum qui l’intronisa président, tandis qu’il était le candidat unique, désigné par le parti unique – l’Union Socialiste Arabe – à se présenter à cette consultation.

Si le chef du seul système qu’ait connu l’Egypte n’est plus capable de se maintenir, c’est assurément parce que son état physique l’a privé de la poigne nécessaire à gouverner dans ce genre d’environnement.

La révolution – momentanément interrompue – que connaît la Tunisie a certes agi comme déclencheur, comme signal Yes you can !, sur le peuple du Nil, mais la révolte aurait été mâtée dans l’œuf, ou elle n’aurait peut-être même pas mis le pied dehors, si le raïs actuel n’était pas à ce point diminué.

Mais, plus encore qu’en Tunisie, le pouvoir est avant tout le pré carré de l’Armée, qui, dans les deux cas d’ailleurs, est loin d’avoir cédé ses énormes privilèges.

On me traitera de pessimiste, on dira qu’il faut donner une chance au peuple d’accéder à la démocratie, je veux bien. J’avoue toutefois que je considère que l’islam, dans sa formule ascharite, qu’on impose à l’Université Al Azhar, phare mondial du sunnisme et des Frères Musulmans, incompatible avec le principe fondamental de la démocratie : le libre arbitre.

Car si tout est décidé en-haut, que la Charia est la seule loi que l’on peut envisager en pays islamique, et que, comme l’a prescrit le guide Ibn Hanbal, "tous ceux qui se livrent à des raisonnements par analogie et à des opinions personnelles sont des hérétiques (...). Acceptez seulement, sans demander pourquoi et sans faire de comparaisons, Dieu a dit tout ce que l'homme devait savoir ; il n'y a plus, désormais, qu'à imiter et à se soumettre", je ne vois pas du tout où les hommes du pont du 6 Octobre auraient leur mot à dire.

Ca n’est pas le moment, je l’admets, de nous engloutir dans une réflexion théologique approfondie, c’est pourquoi je n’apporterai qu’un seul exemple en soutien de mon affirmation : l’islam interdit catégoriquement la contraception, qu’il considère comme un crime. Conséquemment, un million d’Egyptiens voient le jour chaque année ; lors, quelqu’un de mieux instruit que moi pourrait-il nous expliquer par quel prodige le raïs Moubarak, ou n’importe quel autre, de même que n’importe quel régime de la planète, pourrait créer des emplois et des sources de richesse pour autant d’individus ?

C’est, bien sûr, totalement impossible. Faute de limitation des naissances, dans l’incapacité objective de nourrir correctement autant de nouvelles bouches, on condamne indéfiniment la société égyptienne à la misère, ainsi qu’à ses corollaires, le malheur et le mécontentement.

Démocratie ? Il faudrait, pour qu’elle ait un sens, une chance, attribuer un minimum de ressources de vie égales aux quatre-vingts millions d’Egyptiens, ce qui est matériellement infaisable : on ne peut guère partager ce que l’on ne possède pas.

Alors, on distribue, sans se soucier de la justice dans la répartition, un gâteau bien trop petit entre beaucoup trop d’individus. Et ceux qui réussissent à s’en procurer une part n’ont toujours pas de quoi manger à leur faim, et c’est la porte ouverte à la triche, à la magouille, à la violence et à toutes les corruptions. Et le portail fermé devant la démocratie.

Ceux qui ne saisissent pas pourquoi les policiers – au nombre de trois cent cinquante mille – ne sont pas parvenus à circonscrire les manifestants, devraient se demander qu’elle motivation l’on peut avoir à prendre des coups lorsqu’on ramène à la maison un salaire mensuel d’une trentaine d’euros. Ceux qui ne comprennent toujours pas cela devraient essayer !

On est naturellement plus tenté, lorsque l’occasion se présente, quand on n’a rien à perdre, de tomber son uniforme, de prendre son arme et d’aller participer aux pillages.

Nous avons eu maintes fois l’occasion de rapporter, dans ces colonnes, que l’immense armée du pays des pyramides se montre incapable, en dépit des ordres qu’elle reçoit et du soutien technologique des pays étrangers, d’enrayer la contrebande avec le Califat de Gaza, sur une frontière de onze kilomètres à peine. Comment voulez-vous, dans ces conditions, que les mêmes forces de l’ordre affrontent avec succès des centaines de milliers de protestataires et de pillards ?

La solution ? Je ne la possède pas ; loin de moi l’idée de suggérer aux Egyptiens d’abandonner la religion mahométane : je suis analyste stratégique, pas Jésus ni Moïse, pharaon d’Egypte !

Sûr que des élections générales libres et la sélection démocratique d’un nouveau président n’apporteront aucune solution – mais que c’est dur à exprimer pour un démocrate !

Dans le registre des moins mauvais emplâtres possibles, on ne peut que se réjouir de la nomination d’Omar Suleiman au poste de vice-président. Suleiman, le chef légendaire des "services" égyptiens, celui qui a su sauvegarder une certaine cohésion du système, tant que cela était possible, est un homme de bien, dont nous suivons l’itinéraire depuis longtemps.

C’est un patriote droit et incorruptible, véritable perle rare dans cet environnement dévoyant. Il a une connaissance parfaite des problèmes et des personnages clés dans la région ; il est ouvert, pragmatique, dénué de préjugés, et parle directement, sans mâcher ses mots. Suleiman a réussi l’exploit de devenir un interlocuteur apprécié et écouté, à la fois à Jérusalem et dans l’Autorité Palestinienne. Il est à la tête, dans son pays, de la résistance contre l’islamisme, le Hamas, le Hezbollah et l’Iran.

Sa nomination, avant-hier, par Hosni Moubarak, à la vice-présidence, n’est pas sans rappeler celle d’Anouar El Sadate, par Nasser, peu avant sa mort. Elle marque aussi la fin des espoirs dynastiques de Moubarak, car, en cas de vacance du pouvoir, c’est le vice-président qui prend les rênes ; ce ne sera donc pas le fils du président-dictateur, Gamal, qui a préféré se mettre à l’abri des émeutes, avec sa famille, sur les bords de la Tamise. Quand on vise un destin national, il est des poltronneries qu’il vaut mieux éviter. Il est vrai que, comme me l’a rappelé le spécialiste de l’Egypte à la Ména, Masri Feki, l’Egypte n’est pas une épicerie qui se transmet de père en fils ; perspective qui mettait les Cairotes hors d’eux.

Soyons aussi francs et directs qu’Omar Suleiman : dans les conditions qui prévalent en Egypte, si l’armée perdait la main, tous les indices montrent que le nouveau régime serait encore moins démocratique et plus répressif que celui de Moubarak. Avec, en prime, un risque important de voir les Frères Musulmans – principale force organisée en dehors de l’armée -, s’approcher du trône pour ne plus le lâcher.

Hormis la Tunisie, à l’avenir incertain, la tendance dans le monde arabo-musulman, en dépit des apparences, n’indique pas une propension des régimes à migrer de la dictature à la démocratie (il n’existe aucune démocratie dans cette sphère), mais de la dictature non islamiste et non panarabiste, à une dictature intégriste, dans laquelle l’arabité et le rejet des valeurs et des alliances occidentales constituent des objectifs déclarés.

Le risque stratégique majeur, dans cette transhumance, consiste, dans les mois à venir, à voir l’Egypte rallier le camp irano-syro-gazaoui-libanais. Pour Israël, l’Occident, les minorités ethniques et religieuses du monde arabo-musulman, et particulièrement les coptes d’Egypte, c’est le scénario catastrophe.

C’est encore sans parler des aspirations légitimes des démocrates vivant sous les autocraties dans cette partie du monde. Ils devraient mettre leur espoir en glaciation pour plusieurs décennies supplémentaires ; les scènes de rues observées ces jours derniers ne fournissant strictement aucune assurance quant à l’avenir des populations concernées.

Pour Israël, la perspective d’une rupture des relations diplomatiques avec le Caire et d’un retour à une dynamique de confrontation militaire serait carrément dévastatrice. Sans comparaison possible avec les dangers guettant l’Etat hébreu sur son flanc septentrional ! La signature de l’accord de paix avec El Sadate avait permis de réduire de deux tiers la taille de Tsahal. Lors, face à une éventuelle menace égyptienne – avec son armée de 500 000 hommes, dotés de chars Abrams et de F-16 par les Américains, quelle que soit leur efficacité guerrière -, il faudrait repenser les effectifs à la hausse et, probablement, dire shalom à l’extraordinaire croissance économique qu’Israël a connue depuis 1978.

Nous n’en sommes pas là, mais les événements sont très volatiles et le pire pourrait survenir de façon rapide et relativement inattendue. Parmi les facteurs stabilisants, on peut envisager qu’un nouveau régime au Caire réfléchirait plusieurs fois avant de défaire ses liens diplomatiques et de dénoncer l’accord de paix avec l’Etat hébreu. D’abord, parce qu’il perdrait ainsi le bénéfice de l’aide américaine, qui seul permet à l’Egypte de surnager quelque peu ; ensuite, parce qu’un réchauffement du front augmenterait considérablement le problème financier des riverains du Nil, et que l’Union Soviétique n’existe plus pour lui fournir du matériel militaire à crédit, avec échéances de remboursement aux calendes grecques.                    

Dans cette atmosphère peu engageante, la moins mauvaise des options possibles, pour tous les authentiques démocrates, d’Egypte, de la région et dans le reste de l’univers, procéderait d’un remplacement en douceur de Moubarak par Omar Suleiman, puis d’une pluralisation graduelle (mais réelle !) de la vie politique en Egypte, doublée d’un combat actif contre la corruption et les privilèges indus, ce qui est compliqué mais parfaitement faisable.

Il serait toutefois catégoriquement nécessaire d’empêcher la participation des entités islamistes dans le débat politique. Mais le fait de tenir des organisations à caractère religieux éloignées de la vie publique ne relève pas d’une mesure dictatoriale, tant on a vu, ailleurs, des pays éclairés adopter les mêmes décisions. La démarche consistant à barrer le chemin du pouvoir à une entité menaçant – dans sa doctrine, ses statuts et ses déclarations – la démocratie, est un procédé de préservation en tous points légitime.

Quant à ceux qui s’imaginent qu’il suffit de changer de raïs, de prononcer le mot "démocratie" et d’organiser des élections ouvertes, quand bien même il n’existe ni débat politique licite, ni candidats connus, pas plus que des partis d’opposition autorisées pour tout solutionner, j’ai une suggestion à leur faire : se munir d’une baguette magique et se repasser la Belle au bois dormant et Cendrillon. Question efficacité, c’est kifkif.             

 
Utilisateur anonyme
06 février 2011, 12:31   Re : Egypte : ras le bol des simplistes
Citation
Rogemi
à lire

 Egypte : ras le bol des simplistes (info # 013101/11) [Analyse]


Comme l’a prescrit le guide Ibn Hanbal, "tous ceux qui se livrent à des raisonnements par analogie et à des opinions personnelles sont des hérétiques (...).
 


Article où se mêlent les lieux communs européocentristes et une manifeste connaissance du pays. Le but de ce texte, quel était-il finalement ? Préserver le confort intellectuel (relire Marcel Aymé) des Occidentaux ou que l'Egypte trouve, enfin, son harmonie ?

La citation d'Ibn Hanbal est la bien venue, nous avons-là la théologie dogmatique la plus obtuse, contre laquelle Ghazzali (1058-1111), qui n'était pas un modéré, avait lutté. Ghazzali, en homme de raison et de doute (lire son beau "Erreur et Délivrance", était, justement, l'homme de l'analogie, du "qiyâs" et c'est ce qui le rend humain, la parenté avec Descartes et surtout Pascal est flagrante. Ghazzali est la voie moyenne (asharisme-shafi'isme), elle permettrait à l'Islam de connaître le doute qui est le début d'une pensée libre, d'une société libre.
J'ai observé avec un certain plaisir que les ouvrages de Ghazzali (traduits ou non) sont republiés récemment, à grands tirages, et très lus, si les néo-hanbalites que sont les wahhabites et les salafistes pouvaient refluer, les pays musulmans sunnites pourraient retrouver un peu de sérénité.
Magnifique analyse que celle de l'article proposée par Rogemi. D'ailleurs cette révolution n'est-elle pas plutôt une contre-révolution vis à vis de celle, nationaliste, de Nasser ?
Oui : Analyse très pertinente.
Utilisateur anonyme
06 février 2011, 18:48   Re : Egypte : ras le bol des simplistes
Citation
Cassandre
Oui : Analyse très pertinente.

Oui, mais, n'avez-vous pas le sentiment de "déjà lu" ? Nous empruntons trop les idées, l'inconscient de l'idéologie régnante. Il faudrait pouvoir rompre avec des débats et des enjeux qui ne sont pas les notres.
Ce n'est pas un communiqué du PI, mais une analyse. Pas d'orientation sans analyse d'abord.
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