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Le Roi des jeux est mort

Envoyé par Quentin Dolet 
27 mars 2011, 11:11   Le Roi des jeux est mort
Un événement récent dans le monde des échecs démontre parfaitement, à mon sens, que tout usage immodéré d'une technique puissante aboutit à la destruction ou à la corruption d'une valeur.

Les faits ne sont pas prouvés, mais ils le seront probablement. Trois grands maitres s'unissent et mettent en oeuvre une ingénieuse tricherie, à la hauteur de leurs compétences : le joueur A est à l'échiquier. Le joueur B est dans la salle de jeu. Le joueur C est chez lui, devant l'internet, et regarde la retransmission de la partie. Une fois la partie engagée, C fait analyser la position par un moteur d'analyse puissant, qui propose des coups puissants (un humain pourrait bien sûr trouver certains d'entre eux par lui-même, mais il est très rarement capable de les trouver tous dans une même partie, en temps limité), puis il envoie le verdict de l'ordinateur par SMS, en message codé, à B. Celui-ci lit le message sur son téléphone portable et, en fonction du coup suggéré, occupe une place dans la salle, dans le champ de vision de A, qui est informé par ce stratagème du coup qu'il doit jouer sur l'échiquier. Bene trovato.

Les tricheurs ont pleinement exploité les possibilités offertes par les "nouvelles technologies". Dans quelques années, il ne sera plus du tout possible de savoir si l'on joue contre un homme ou un ordinateur; et bien sûr, il est vain d'appeler à l'éthique et à l'esprit sportif : un jour ou l'autre ils sont dominés par la tentation d'utiliser les potentialités de la machine (une règle que l'on peut vérifier pour toutes les innovations techniques). On dit dans le monde échiquéen que cette affaire sera "un tournant" dans l'histoire du jeu; mais il était attendu depuis l'application des micro-processeurs à l'analyse (les "moteurs"). Il était alors facile de prévoir que ces cerveaux mécaniques finiraient par corrompre les compétitions (à peu près comme le dopage a jeté un discrédit fatal sur le cyclisme).
Utilisateur anonyme
27 mars 2011, 12:06   Re : Le Roi des jeux est mort
C'est en effet la première fois que des joueurs de haut niveau sont convaincus de tricherie. Ce sont des Français qui ont le triste honneur d'être ces initiateurs, en particulier le grand-maître Feller, qui était sélectionné en équipe de France, et le capitaine et sélectionneur de notre équipe, le grand-maître Hauchard, qui aurait été son complice chargé de recevoir les coups à jouer sur son téléphone portable.

Les programmes ont atteint un tel niveau qu'une aide informatique rend une partie totalement inéquitable, même au niveau des champions du monde.

Cependant, pour tout poison il y a un contre-poison. En l'occurrence, des portillons de détection de métaux à l'entrée des aires de jeux ou des brouilleurs offriraient, sans doute provisoirement, des conditions de jeu équitables aux compétiteurs. Mais le problème est évidemment financier. Les échecs sont un milieu pauvre et les budgets des tournois sont dérisoires en regard des grandes manifestation sportives.
Les compétitions de bridge ont été depuis longtemps entachées de tricherie, non à l'ordinateur, mais par la mise au point de codes de communication entre partenaires. Le résultat est que durant ces compétitions les joueurs sont invisibles, cachés derrière des paravents : seuls sont visibles les cartons avec lesquels on fait les enchères (pour éviter les intonations de voix) et les cartes elles-mêmes, jetées sur la tables par-dessous le paravent. Quelle ambiance !
François, êtes-vous "pousseur de bois" ?

Nous retombons sur l'écueil du remède technique à la technique. Les salles de tournoi équipées de portillons, quelle misère ! En outre, quel serait l'objectif ? Détecter la présence de portables et obliger tout le monde à s'en défaire à l'entrée (car un visiteur peut bien fournir un joueur dans la salle) ? Imaginez un peu. Personne ne voudra plus jamais organiser de tournoi dans ces conditions. De toutes façons, comme vous le dites, l'obstacle financier rend cette solution impossible; et puis il est fort improbable qu'un détecteur de métaux suffise à contrecarrer les techniques futures.
Utilisateur anonyme
27 mars 2011, 14:04   Re : Le Roi des jeux est mort
Oui, je pousse du bois comme vous dites. Et vous ?

Les tournois de très haut niveau à budget conséquent appliquent dores et déjà ces méthodes. D'autant plus que les meilleurs tournois regroupent généralement un nombre réduit de joueurs, souvent une dizaine. C'est gérable.

Mais le tournoi auquel vous faites référence était les olympiades : toutes les nations du monde envoient une équipe de quatre joueurs, ce qui en fait des centaines au total. La salle de jeu est forcément grande dans ce cas, disons de la taille d'un hangar. Idem pour les tournois de niveau moyen où les professionnels côtoient les amateurs. Contrôler des centaines de personnes, tous les accès, les toilettes, etc. pose évidemment des problèmes logistiques considérables. Votre titre "Le Roi des jeux est mort" est un peu pessimiste mais pas tout à fait faux, hélas. C'est un fait que la grande majorité des tournois d'échecs se jouent dans des conditions où la triche est aisée.
Je l'ai été furieusement pendant quelques années, mais par bonheur les limites de mon talent m'ont remis sur la voie d'une vie normale.

Le fait qu'une telle surveillance soit devenue indispensable est quoiqu'il en soit déjà un... échec. Le Roi des jeux, certes, n'est pas si mort que ça; et il faut bien reconnaître que la tricherie dans le monde de Caïssa reste exceptionnelle - tant il est jouissif de gagner une partie par ses propres moyens. De plus, elle n'est pas nouvelle. Feller a déjà été accusé d'utiliser un ordinateur pendant ses parties sur l'internet. Il y a au moins dix ans que le jeu par correspondance est pourri par l'usage des moteurs d'analyse (je me souviens en avoir les frais lors d'un tournoi par email, l'un des premiers organisés par l'AJEC).

Mais ce n'est pas vraiment le lieu pour de longues discussions sur ce sujet. C'était une récréation dominicale.
Utilisateur anonyme
27 mars 2011, 14:30   Re : Le Roi des jeux est mort
Le lieu est accueillant et nous n'y dénigrons pas la ligne du parti.

Les limites de mon talent m'ont conduit à la même voie que vous. Mais le peu de limite à ma présomption m'a fait différer longtemps cette sage décision.

Par internet, on s'en fiche un peu, ça revient à tricher en partie amicale, ce qui est ridicule mais sans conséquence.

Et par correspondance, c'est autorisé, je présume. Vous confirmez ?
Le lieu est accueillant, mais le sujet n'est pas universel.

Pour ce qui est de la présomption, la mienne a bien duré sept ans.

L'usage de l'ordinateur est bien sûr proscrit de toutes les compétitions, y compris les tournois par correspondance (sauf cas particuliers où les joueurs s'entendent sur ce point); mais il est tellement répandu, il est devenu tellement évident pour tous (bien qu'inavoué), que plus personne ne se lancerait dans une telle épreuve sans assistance informatique, à part les naifs - dont je faisais partie.
Au temps de l'URSS, une autre triche existait. Pendant la finale du championnat du monde, l'équipe soviétique analysait toute la nuit les meilleurs coups pour la partie du lendemain. Ainsi, l'adversaire se retrouvait avec un handicap supplémentaire : ils étaient plusieurs joueurs à avoir étudié sa façon de jouer, indiquant ainsi la meilleure stratégie à appliquer pour la nouvelle partie. D'où cette célèbre phrase de Bobby Fischer : "Les Russes trichent. Ils ont sclérosé le monde des Echecs. Je refuse cette formule du championnat du monde qui permet aux russes de jouer en équipe. Je ne participerai plus jamais à un tournoi des Candidats". Plus tard, il inventa les "échecs aléatoires Fischer" (en anglais, Fischer Random Chess ou Chess 960). Je pense qu'en faisant preuve de la même créativité, il serait simple de contrer l'influence de l'ordinateur (ex : la partie se déroule dans une salle close, elle est diffusée au public qui est dans une autre salle).
Pour les échecs par correspondance, on pourrait dire que la triche a toujours existé (avant les ordinateurs, on pouvait demander à d'autres joueurs plus expérimentés leurs conseils). Je pense que ce mode de jeu à une utilité principalement formatrice (en fait, on ne joue quasiment plus ainsi, car on apprend plus à jouer, on joue tout de suite !).
Le back-gamon me parait plus "complet" que n'importe quel jeu, disons plus proche de ce qu'est la vie, le jeu de la vie. Qu'en est-il de la présence de l'informatique dans la pratique de ce jeu ?
Utilisateur anonyme
27 mars 2011, 22:31   Re : Le Roi des jeux est mort
Je reste perplexe quant à certains interdits liés au jeu d'échecs. Je n'ai jamais entendu parler d'une interdiction de faire analyser ses parties par correspondance par l'ordinateur. De quel ordre serait cet interdit ? Moral ? légal ? Du reste, quel sens aurait un interdit que nul n'a le moindre pouvoir de faire respecter ? Mais il est vrai que je n'ai jamais joué par correspondance, je ne connais pas les règlements.

Mon point de vue est le même sur ce dont parle Pyrrhon. En effet, jusqu'à il y a vingt ans, les parties d'échecs connaissaient l'ajournement. C'est-à-dire qu'elles étaient interrompues au bout d'un certain nombre de coups et reprises le lendemain. En compétitions internationales, les Soviétiques étaient connus pour mettre leurs équipes au travail, souvent durant toute la nuit. Cette tâche d'analyse en collaboration offrait bien sûr un avantage considérable sur le joueur qui se serait contenté de travailler tout seul ou n'aurait pas travaillé du tout. Mais là encore, je ne vois pas où réside le péché.

Pour prendre un exemple dans un autre domaine, il y a-t-il triche si un élève s'accorde, pour un devoir à faire à la maison, des droits qu'il ne s'octroie pas lorsque le devoir est à faire en classe ? Et où commence la triche ? Consultation de livres ? aide extérieure ?

Pour moi, tout cela est licite et moral. Sauf interdiction explicite par le règlement du tournoi d'échecs ou le professeur.

Quant aux accusations de triche portées par Fischer contre les Soviétiques, elles ne portaient pas sur le travail nocturne des Russes. Il eût été un peu gonflé (Gonflé ? il doit y avoir un mot plus convenable mais je ne le trouve pas) de reprocher de tels griefs à ses adversaires car lui-même disposait d'une équipe de secondants dans les grandes occasions. En revanche, il accusa à de nombreuses reprises les joueurs de l'est de collusion. Selon lui, les parties de ses adversaires étaient pre-arranged, c'était-à-dire que leur déroulement et leur résultat était décidé avant que les joueurs ne commencent à jouer. Dans ce cas, il y aurait eu, j'en conviens, grave violation de l'éthique et des règlements.

Pour reprendre mon analogie avec le travail scolaire, ce dernier cas correspond à celui de l'élève qui vole le sujet d'un devoir en classe et répond aux questions avant que le sujet ne lui soit formellement distribué. Ce sont deux choses très différentes.
Je ne comprends pas bien votre étonnement.

Considérez ceci : dès lors qu'il y a "de l'argent à faire", il y a de la tricherie.

C'est vieux comme le monde.
Je ne sais pas si l'utilisation de tout procédé permettant de trouver un coup sans réflexion personnelle est immorale, mais elle est totalement contraire à l'esprit du jeu, cela j'en suis certain.
D'ailleurs, je ne pense pas que l'usage des moteurs d'analyse soit autorisé par les règlements officiels des compétitions par correspondance, même s'il a été en fait complètement banalisé. Pour moi le joueur d'échecs doit mettre un point d'honneur à trouver tous ses coups par lui-même, du premier au dernier.

Jean-Marc, il n'y a sans doute pas lieu de s'étonner, mais la tricherie à ce niveau est un scandale.
Que ce soit un scandale, c'est exact. Mais le scandale n'est pas là où on le dit, il n'est pas dans la tricherie, il est dans le fait qu'on a laissé l'argent s'emparer de ce domaine.
Je crois même que la véritable source du problème est la professionnalisation du monde des échecs, qui amène les plus forts joueurs, très logiquement, à vouloir vivre du jeu - comme ceux qui écrivent souhaitent vivre de leur plume. Les mieux lotis plafonnent à 1500 euros par mois en donnant des cours, en jouant pour un club ou en participant à des manifestations rémunérées (simultanées par exemple). Dans ces conditions, il est tentant de tricher pour empocher les prix les plus intéressants du circuit. C'est un cercle vicieux, car les organisateurs de tournoi savent que sans prix, leur compétition sera boudée des maitres aux noms prestigieux.
Olivier, c'est exactement cela, et c'est la même chose dans tous les sports professionnels.

Voyaient actuellement les affaires natatoires dont la radio nous abreuve.
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