Jean-Marc, un jeune homme vient d'être abattu chez lui, dans le 9-3, devant ses parents, froidement, de balles tirées à bout portant dans la tête et le thorax, par des hommes qui s'étaient introduits chez lui. "Règlement de compte" dit la presse, et je crois, la police. Sans doute une balance. Et vous voudriez que notre Haroun, tout fanfaron au sortir de son coma, déclare qu'il connaît ses tourmenteurs et ses assassins et qu'il va de ce pas, parce qu'il fait confiance en la justice, en le droit, en la pureté de l'âme humaine, en Rousseau, en Saint Augustin et en Guy Mocquet, les balancer aux keufs, et réclamer que la loi de la République s'applique à leur encontre ?
Haroun, comme tout un chacun, tremble comme une feuille, envoie des sourires, par journalistes interposés, aux "grands frères" de la cité, qui signifient des pardons longs comme le bras, des mamours, des signaux d'allégeance, de complicité, de soumission à l'adresse de ses bourreaux. Pas de "symptômes de Stockholm" à chercher ici non plus: seulement la trouille des représailles, l'omerta, le classique circulez-à-rien-à-voir adressé à lui-même pour commencer.
Vous devriez lire
Le Maître de Milan, roman de Jacques Audiberti: on y voit un personnage à Milan, un petit cordonnier qui, après avoir épousé une jeune pauvresse du Sud, se voit fait prisonnier chez lui, à Milan, par le gang des oncles et des cousins de la jeune fille, qui sont monté le voir, une grosse douzaine d'entre eux. Ils le coincent chez lui. Ils jouent de l'accordéon sombrement et boivent lentement, et tout aussi sombrement, son vin. Ils lui exposent la situation, laconiques: "Demain on t'achète la boutique. Ouais. Avecque ton n'argente. Ouais. On t'accompagne à la banque le matin..... " Là, un coup de coupe-cuir dans la joue, qui commence à pisser le sang. Et on joue de l'accordéon en accompagnement, et on boit. "Et que tu nous le remet ici. L'argente. Et une heure après...." Tchack, second coup de coupe-cuir, dans l'autre joue "... une heure après, on t'accompagneux chez le notaireux, pour te le rendre devant lui, quand tu auras signé... comme ça, ça reste dans la famille..." Re-tchak, voilà le nez du cordonnier fendu à son tour. Force sons d'accordéon. Sang partout.
Le tintamarre accordéoneux est devenu gênant, voilà les voisins qui s'en émeuvent, vu qu'il est bien minuit. Un voisin frappe au volet. Les oncles et cousins au cordonnier: "Va z'ouvrir !"
Le cordonnier se rend à la fenêtre qu'il ouvre. Les voisins le voient ensanglanté. S'émeuvent encore plus: "Mais qu'est-ce qui vous arrive donc, vous avez été attaqué M. Le Cordonnier ? Vous voulez que nous appelions la police ?"
Lui, sans se retourner vers ses bourreaux qui "lui font confiance", qui "savent qu'il tiendra": "Mais non mais non voyons. Rien de cela. On a fait une petite fête en famille voyez-vous et on a un peu forcé sur la grappa et comme ça, c'est bête mais je suis tombé sur un verre brisé qui m'a un peu égratigné au visage."
Voilà votre Haroun, Jean-Marc, en cordonnier milanais.