A chacun d'entre nous, il est arrivé (et il arrive quotidiennement) de noter dans la langue parlée et écrite par les journalistes des impropriétés, des constructions syntaxiques absurdes, des phrases qui disent explicitement le contraire de ce que leur auteur voudrait faire entendre, etc.
Pourtant, il est, dans le discours des journalistes, des habitudes ou tics de langage qui trahissent des structures mentales singulières qui ne font pas honneur à la profession - Bourdieu dirait des habitus verbaux ; en fait, il ne le dirait pas ou il n'aurait pas osé le dire, parce que l'habitus renvoie à des réalités permanentes, stables, qui esquissent une essence - et qui consistent ou à énoncer, mais sans le dire, une condamnation, ou à gommer la réalité des choses. Deux exemples.
Il y a deux jours, toutes les heures, sur Europe 1, les auditeurs ont entendu le même "titre", répété pendant plus de vingt-quatre heures, à savoir "les deux policiers impliqués dans la mort des deux jeunes de Clichy sous Bois, Zyed et Bouna (ou Bounia)...", et qui laissait entendre que ces deux policiers avaient participé, d'une manière ou d'une autre, à la mise à mort ou devaient en porter la responsabilité. Or, ces deux policiers ne sont impliqués dans rien - et surtout pas dans la mort accidentelle de ces deux jeunes gens. Certains essaient, pour des raisons idéologiques ou politiques (policiers par essence racistes, etc...) de les mettre en cause pour "non assistance à personne en danger" (à chaque minute, il y a des millions d'hommes ou de femmes ou d'enfants qui meurent dans le monde et nous ne faisons rien pour empêcher qu'ils meurent). Ce qui est tout à fait différent.
Aujourd'hui, au sujet de l'attentat de Marrakech, les auditeurs de la 5 ont eu droit à une annonce de "débat", répétée deux ou trois fois : un attentant qui vise le Maroc et le tourisme ou un attentat dont les cibles sont le Maroc et le tourisme. Or, cet attentat a tué des hommes et des femmes. Etaient visées des personnes, et non un pays et une abstraction économique. Ce café de la place historique de Marrakech est fréquenté à 90% par des étrangers. Les personnes qui étaient visées sont des personnes, et si elles sont visées, c'est parce qu'elles ne sont pas marocaines ou que, par leur seule présence, elles altèrent les lieux qu'elles fréquentent.
Autrement dit, et ce ne sont que de "petits" exemples entendus "par hasard" à la radio ou à la télévision, les journalistes (qui n'ont que présumé ou présomption aux lèvres) ont condamné, par la seule énonciation fausse d'un fait, deux innocents, et ils ont déformé, avec cinq ou six mots et une petite phrase, la réalité d'un événement, essayant d'imprimer dans l'esprit de milliers d'auditeurs bienveillants et peu méfiants cette déformation du réel.