Une semaine malheureuse et terrible (info # 012904/11) [Analyse]
Par Sami El Soudi © Metula News Agency
Précieuse analyse que celle que Stéphane Juffa a proposée avant-hier, à chaud, dans ces colonnes, au sujet de l’accord entre le Fatah et le Hamas. L’essentiel y figurait : le changement d’alliances, la victoire politique de la "République" Iranienne, l’entrée de la nouvelle Egypte, très islamisée, sur la scène internationale, et son changement de camp.
A mon tour d’ajouter les éléments dont j’ai connaissance. Le plus important d’abord : pour le peuple palestinien, son espoir de fonder un Etat, de mener une vie respectable dans un environnement pluriculturel, le projet de traité du Caire représente un cataclysme, une nouvelle Naqba, un terrible désastre.
Les lecteurs de la Ména doivent également savoir qu’il n’y a pas eu de négociations à proprement parler, cette semaine, dans la capitale égyptienne. Moussa Abou Marzouk, le no. 2 du politburo du Hamas à Damas, flanqué de Mahmoud Al-Zahar, se sont vu resservir par les Egyptiens le contrat qui avait été présenté au Hamas, déjà pré-signé par le Fatah, en octobre 2009.
A cette occasion, les maîtres iraniens et syriens avaient intimé aux chefs de leur milice islamiste palestinienne de s’abstenir de parapher ce texte. Mercredi, pour les raisons que Juffa a exposées, Téhéran et Damas avaient changé d’avis ; aussi, quand le remplaçant d’Omar Suleiman à la tête du renseignement égyptien, Mourad Mouafi, et le ministre des Affaires Etrangères du pays hôte, Nabil Al-Arabi, ont tendu le document aux délégués du Hamas, ceux-ci l’ont endossé sans même le feuilleter.
Et Mahmoud Al-Zahar ment comme un islamiste, quand il affirme que "plusieurs clauses du deal de 2009 ont été amendées, ce qui a permis au Hamas d’y apposer sa griffe". En réalité, à part des points de détails, dénués de la moindre importance, la version de 2009 n’a subi aucune modification.
Mercredi prochain, le Président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, et le chef du politburo du Hamas, Khaled Mashal, signeront officiellement le traité de "réconciliation", sur les rives du Nil.
Sauf retournement ou retour à la raison, en exécution de la nouvelle entente, on devrait assister à la formation d’un cabinet apolitique composé par des "technocrates" à la tête de l’Autorité Palestinienne, ainsi qu’à la mise sur pied d’un "Comité de Défense conjoint", censé prendre le commandement des forces de sécurité palestiniennes.
Première situation délirante : on voudrait faire collaborer des miliciens qui tirent des roquettes sur des civils israéliens à Gaza, avec des policiers, formés et encadrés par les Etats-Unis et les Européens, qui coopèrent sans retenue avec les mêmes Israéliens dans le but de faire prévaloir l’ordre et le calme, et d’empêcher les terroristes islamistes de tuer.
On veut faire collaborer les policiers d’une entité, l’Autorité Palestinienne, ayant officiellement renoncé à la lutte armée, avec des miliciens-terroristes, qui n’ont aucune autre occupation que la lutte armée.
Et dans le gouvernement de "technocrates", auquel le traité confie la préparation des élections générales et présidentielles, on trouvera les représentants de deux mouvements. D’une part, ceux qui cherchent un compromis d’entente avec les Israéliens, qui les rencontrent fréquemment, et qui préparent les infrastructures de l’AP pour la proclamation d’un Etat indépendant, existant au côté de l’Etat hébreu et conservant des contacts étroits avec lui. De l’autre, une organisation dont l’objectif consiste en l’instauration d’un califat islamique, de la mer à la rivière, sur les cendres de l’Etat hébreu, qu’elle s’est statutairement juré d’éliminer physiquement.
Quant à un "gouvernement de technocrates", ceci n’existe pas. Un instrument de gouvernement est un outil strictement politique, dans lequel l’apolitisme est un dangereux mirage. Il n’y aura pas deux entités prenant des décisions collégiales sur pied d’égalité, mais une entité imposant sa volonté et son agenda à l’autre.
Et, bien que selon les provisions du traité de 2009, Mahmoud Abbas conserverait le dernier mot dans les décisions du cabinet intérimaire, et que rien ne l’empêcherait, en théorie, de poursuivre le processus de négociations avec Benyamin Netanyahu, dans les faits, la réalité est nettement moins consensuelle.
Mahmoud Al-Zahar, qui vient de représenter le Hamas à la signature du protocole d’accord, s’est, à ce propos, empressé d’indiquer l’interprétation qu’en retenait son organisation : "le gouvernement intérimaire ne sera pas habilité à participer à des négociations de paix avec Israël".
On le comprend à ces propos, la posture de l’Autorité Palestinienne, patiemment construite par l’actuel 1er ministre Salam Fayyad, sur la base de laquelle il était parvenu à convaincre une centaine d’Etats de soutenir la proclamation de notre indépendance, "parce que nous sommes prêts et capables d’ériger un pays vivant en bonne harmonie avec Israël" a déjà volé en éclats.
Le traité du Caire sauve Benyamin Netanyahu, qui se trouvait dans une situation quasi désespérée, incapable d’expliquer aux chefs d’Etats amis d’Israël pourquoi Jérusalem s’opposait à la création d’un Etat de Palestine qui ne présentait aucun danger perceptible pour la sécurité de l’Etat hébreu.
Depuis hier, le 1er ministre israélien a beau jeu de convaincre les présidents et les 1ers ministres, qu’il serait insensé pour sa nation d’accepter la création d’un Etat, dont la composante est constituée pour moitié par une entité dont la finalité déclarée est la disparition d’Israël.
Et cette remarque s’étend à ce que le 1er ministre israélien a toujours prétendu au sujet de Mahmoud Abbas : il est clair qu’Abbas ne désire pas la paix s’il s’allie avec une organisation prônant l’élimination d’Israël ; il est clair qu’Abbas n’a jamais désiré la paix s’il s’allie aujourd’hui avec le Hamas ; il est clair que Netanyahu avait raison quand il le prétendait, et qu’Obama, Sarkozy et Poutine ne comprenaient rien au Moyen-Orient, quand ils refusaient de se laisser convaincre.
Il ne s’agit pas uniquement d’un bon prétexte pour Netanyahu, mais c’est même une appréciation stratégique absolument authentique. Les leaders d’Etats n’ayant rien contre les Juifs et contre Israël refuseront certainement de plébisciter un Etat palestinien lors des réunions de l’ONU, en septembre, maintenant qu’ils sont conscients qu’une décision dans ce sens obligerait Jérusalem à laisser s’approcher des miliciens génocidaires à moins de dix kilomètres du centre de Tel-Aviv.
Peut-on imaginer un plus beau cadeau à offrir à Benyamin Netanyahu ? Lui qui se voit ainsi étrangement récompensé de ses deux années d’obstructionnisme actif à la paix.
Car, pour le Quartette formé pour les questions du Moyen-Orient, depuis 2003, le Hamas est une organisation terroriste, de même que pour les Etats-Unis et plusieurs autres Etats et instances démocratiques à la surface de la planète. On doit ainsi s’attendre à ce que le Congrès US ordonne de cesser le soutien économique de l’Amérique à l’Autorité Palestinienne à composante terroriste, avec les conséquences dévastatrices dont on peut imaginer la portée et l’effet.
Je dois admettre, en toute honnêteté, qu’à la suite de la péripétie du Caire, je ne pourrais pas blâmer nos voisins de l’ouest, s’ils s’opposent de toutes leurs forces à la création d’une Palestine à moitié dirigée par les islamistes du Hamas.
Sans compter qu’il s’agit d’une situation transitoire dans des conditions extrêmement défavorables, et cela pour deux raisons :
Premièrement, parce que, déjà au sein du "cabinet intérimaire", il ne fait aucun doute que c’est le Hamas qui va rapidement prendre l’ascendant. Parce que sa structure est dictatoriale, que ses objectifs sont plus clairs, ses représentants disciplinés, incapables de s’opposer aux instructions de Mashal et des commanditaires iraniens, et pour la raison que ses structures sont infiniment moins corrompues que celles de l’OLP.
Ensuite, parce que les chances objectives du Hamas de remporter les élections législatives ainsi que la présidence de l’Autorité sont supérieures à celles du Fatah. Pour les mêmes raisons que celles mentionnées ci-dessus, et parce que le Hamas se positionne dans l’élan des "printemps arabes", tandis que le Fatah, séculier, se trouve dans le camp des vaincus, lui qui était l’allié et le protégé de Moubarak et de Suleiman, aujourd’hui jetés à la vindicte populaire de la rue arabe.
Parce que, et quels que soient les vainqueurs de ces consultations, les conseils des ministres devront se tenir à Gaza, et non plus à Ramallah, puisque les Israéliens ne permettront jamais aux ministres du Hamas de traverser leur territoire pour siéger en Cisjordanie. Puisque Gaza n’est pas soumise à la présence israélienne, et que le gouvernement qui y siégera jouira de la "liberté" de prendre ses décisions "hors de la domination étrangère". Et que Gaza, c’est le château fort du Hamas, à l’ombre de l’autorité de la "République" Islamique iranienne et au service de ses vues hégémoniques.
Parce que l’apparence de la cohabitation entre des composantes démocratiques et islamistes ne va pas sans rappeler les éphémères gouvernements de cohabitation entre des éléments démocratiques et les représentants communistes, au temps de la défunte URSS. Et que, lors de chacune de ces expériences, les ministres non communistes furent prestement balayés par les affidés de Moscou, avec recours à des éliminations physiques des ministres séculiers, dès que le besoin s’en faisait sentir, ou même à titre préventif. Les ministres OLP siégeant à Gaza ne seront ainsi jamais libres de leurs décisions.
Voyez l’exemple libanais, où la milice du Hezbollah, dont les sponsors sont les mêmes que ceux du Hamas, et qui représente une obédience de moins de 33% de la population du pays au cèdre, s’est emparé du pouvoir par la violence, l’ingérence étrangère, les livraisons d’armes, les assassinats politiques, les intimidations et les menaces ; alors que ceux qui croient l’alternance encore possible à Beyrouth sont, dans le meilleur des cas, de doux rêveurs.
Il y a un mois, les dirigeants du Fatah s’entretenaient avec les Israéliens pour savoir s’ils allaient participer militairement à la reconquête de Gaza contre la milice islamiste. Mercredi, en paraphant l’accord de cohabitation avec le Hamas, le même Fatah a signé son arrêt de mort.
La bêtise de cet acte se mesure à l’aune de l’interruption du projet de Salam Fayyad, le grand laissé pour compte de ce changement d’alliances. Fayyad, 1er ministre, que l’on n’a pas sérieusement consulté avant d’envoyer Azzam al-Ahmad "négocier" dans la capitale égyptienne.
Salam Fayyad, l’architecte de l’Etat de Palestine indépendant, que la communauté internationale allait reconnaître, d’une manière ou d’une autre, dans seulement cinq mois. L’apôtre du rejet irréversible du recours à la violence, le chef d’orchestre de notre boum économique, qui était le seul garant crédible de notre souveraineté à venir.
Fayyad, celui qui avait su gagner le monde civilisé à la cause palestinienne sans tirer un coup de feu ; celui qui avait placé la coalition Netanyahu-Lieberman au pied du mur, qui avait contraint Israël à faire face à ses obligations à notre endroit.
Eh bien, Salam Fayyad, qui se trouve, depuis deux jours, en compétition à distance avec Ismaïl Hanya pour le fauteuil de 1er ministre de la Palestine, va être le premier sacrifié sur l’autel de l’acte de sabordement du Caire. Je ne vois, en effet, aucune hypothèse envisageable pour qu’il soit reconduit à la tête du gouvernement intérimaire. Car il est le contraire vivant de l’apolitisme et de la technocratie, il était celui grâce auquel la naissance d’un Etat décent et démocratique de Palestine était devenue crédible. Plus que crédible, même, à portée de main.
Mais il est, pour ces raisons, et parce qu’il est un fervent défenseur de la coexistence pacifique avec les Hébreux, et qu’il ne nourrit aucune haine viscérale à l’encontre de l’Occident, des chrétiens et des Juifs, l’ennemi numéro 1 des islamistes, de l’Iran et de la Syrie. Parce que les arafatiens, au sein de l’AP, le rejettent avec autant de vigueur que celle dont font preuve les islamistes.
Avec la disparition programmée de Fayyad, la cause palestinienne fait un bond de vingt ans en arrière et s’éloigne d’autant de son émancipation politique. C’était l’objectif des partisans du tout ou rien de la famille palestinienne, ceux qui nous ont confinés dans toutes les misères que nous connaissons.
S’il est aisé de saisir les motifs ayant poussé Ahmadinejad et Khamenei à accepter de faire des concessions illusoires pour sceller la "réconciliation" palestinienne, des concessions qui seront par la suite effacées par l’usage intempestif de toutes les formes de violence, les mobiles de la décision d’Abbas et de quelques autres barons du Fatah de se saborder sont plus complexes à appréhender.
Mais avant de les évoquer, il est nécessaire de mentionner la réaction officielle de la "République" Islamique à la signature du mémorandum ; le Dr. Ali-Akbar Salehi, le ministre iranien des Affaires Etrangères, résume ainsi les conséquences de l’accord du Caire : "Les deux principes fondamentaux ayant servi de souche à l’accord Fatah-Hamas sont la résistance à Israël et l’unité du peuple". Il y a lieu de le croire, exceptionnellement, sur parole.
Et, dans la droite ligne de l’analyse de Juffa, Salehi mentionne le contenu de la promesse que lui ont faite les Egyptiens en échange de l’acceptation du Hamas d’endosser, à retardement, le texte de 2009 : le ministre de la théocratie chiite "espère maintenant que le passage de Rafah entre Gaza et l’Egypte sera rouvert sous peu au trafic palestinien, et qu’il permettra une libre circulation des marchandises". Pas besoin d’être prophète pour savoir quelle sorte de marchandises intéresse le régime iranien.
Quant à Abbas, les "printemps arabes" le privant de son soutien principal Hosni Moubarak, il s’était vu devenir l’allié objectif et de fait des Etats-Unis, d’Israël et, plus globalement, de l’Occident. Son Autorité Palestinienne était en passe de devenir complètement isolée par son atypicité dans l’univers arabe ; de plus, avec un président faible, instable et inopérant à la Maison Blanche.
Avec ses collègues à la tête de l'entité palestinienne, il a été pris de vertige. Notamment par celui de voir son peuple se détacher de la caravane des nations arabes, et devenir un électron libre très occidentalisé ; mais un minuscule électron, qu’il voyait s’éloigner du convoi avec la crainte de ne pouvoir acquérir une exemplarité viable. Il aura préféré, dans un geste inconsidéré d’une insigne faiblesse, se faire harakiri, ne trouvant, vraisemblablement, pas les ressources et l’énergie nécessaires pour mener une expérience singulière à l’écart du troupeau.
Mais cela suffira-t-il ? Je veux dire, est-il encore temps de rejoindre la caravane après tout le chemin que nous avons parcouru en solitaires ? Rien n’est moins sûr : les contradictions et les points de frottement extrêmes auxquels nous ne pourrons échapper lors du processus de "réconciliation" sont tels, que les chances de réalisation de l’accord du Caire sont maigres. A l’instar de dizaines de tentatives passées de rapprochement, qui n’ont pas résisté à la rencontre des premières rugosités de la réalité, l’avenir de l’acte de reddition de l’Autorité Palestinienne est menacé de toutes parts.
A commencer par nos nombreux compatriotes qui ont cru au projet de Salam Fayyad, en poursuivant par ceux qui sont lassés par les promesses intenables et les souffrances des confrontations perdues d’avance, et pour finir par les voisins israéliens, qui pourraient mettre un terme définitif à l’existence de l’Autorité Palestinienne, s’ils s’aperçoivent qu’elle est en voie de se muer, sous leur nez, en une nouvelle métastase de la "République" Islamique d’Iran.
Etape de vérité relativement aux intentions de Jérusalem, la libération des terroristes du Hamas détenus par l’AP, prévue par le traité du Caire. Questionné par Haaretz à ce sujet, Mahmoud Abbas a esquivé : "l’AP n’emprisonne que ceux qui enfreignent la loi et pas les prisonniers politiques". Nul doute que Khaled Mashal ne se satisfera pas de cette distinction, et qu’elle pourrait, à elle seule, justifier l’explosion de l’accord. Bref, en cette fin de semaine malheureuse et terrible, l’avenir des Palestiniens n’a jamais été aussi incertain.