Cher Francis Marche.
Le pape tient son rôle et nous sommes dans le nôtre en ne l'écoutant pas. Quelle terrible défaite: une Église irresponsable et gâteuse à force d'être confinée au service d'une illusoire vie privée. On est en droit d'attendre de l'Église la vérité qui commence par savoir faire le départ entre les différents types de réalité. Demander l'asile et envahir ; comment peut-on confondre deux entreprises si distinctes?
Il y a une définition de la laïcité: la séparation des institutions. Cela suppose qu'il y ait deux institutions: chacun appartient, à la fois, à l'Église, plus ou moins ultramontaine, et à l'État.
Dans cette configuration, l'Église revendique la primauté. Elle dit ce qu'est un homme (ontologie), et ce qu'exige ce genre d'être de ceux qui le sont (axiologie). De proche en proche, nécessairement, elle a son mot à dire sur tout, y compris sur les « invasions civiles ». Seulement, cette institution là a fait le pari de régner sans ces facilités que sont les armées, les bourreaux, les prisons et l'amende, bref sans s'en prendre à ce talon d'Achille: les corps mortels et sensibles.
Cette double appartenance, la démocratie ne l'a pas supportée. Elle ne pouvait se contenter du second rôle. Elle revendique aussi la première place. Car la démocratie est bien plus qu'un mode de gouvernement. Elle organise une institution, l'État qui, par nécessité interne, tend comme toute institution à se mêler de tout. Une fois assuré de sa puissance, l'État finit par dire, lui aussi, ce qu'est un homme, et ce qu'exige ce genre d'être de ceux qui le sont. Pour dire cela, il adopta la voix démocratique.
Une autre définition de la laïcité s'imposa: vie privée et vie publique. (On en vient aujourd'hui à défendre DSK au nom de la laïcité.) Bien sûr, l'État se réserva la vie publique. Une institution pour la vie privée est contradictoire. L'Église disparut et la vie privée se conforma à l'ontologie et à l'axiomatique publiques, celles de l'Etat démocratique.
Conclusion et fourre-tout,
1. Sommes-nous en théocratie? Non, en démocratie, mais ça y ressemble.
2. La laïcité tenait à l'abandon de la force par la première des institutions, ce qui permettait à la seconde de se maintenir. Quand la seconde se voulut première, elle comprit vite ce qu'elle pouvait faire de ses armes.
3. Au delà de ces questions d'institutions et, du point de vue des institutions, d'illusoire distinction entre vie publique et privée, se pose la question de la « laïcité » ou, au contraire, du « totalitarisme » ontologique de la civilisation: le Christianisme est, ontologiquement, « laïc » puisqu'il distingue fondamentalement deux modes d'être: la vie immanente et le monde transcendant. Par contre, le « Meilleur des Mondes », que nous propose la démocratie est strictement « totalitaire ».
4. Le libéralisme, en créant une société libre, des poches collectives qui préservent la vie privée de la surpuissante institution armée, est une solution là où il n'y a plus d'Église à côté de l'État.