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L'orthographe et l'éducation par Marcel de Corte

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
14 juin 2011, 21:34   L'orthographe et l'éducation par Marcel de Corte
[users.skynet.be]

La fin de l'été., la prochaine rentrée des classes et je ne sais quelle nostalgie de l'enfance m'incitent à réfléchir sur le problème de l'orthographe. C'est un fait que l'orthographe disparaît: elle meurt comme les saisons. Malheureusement elle ne ressuscite pas comme elles, J'appartiens encore à l'une de ces générations qui ont connu l'apogée de l'écriture impeccable. Une lumière drue, pareille à celle d'un soleil d'août, tombait sur les pages que nous écrivions. Chaque ligne, chaque mot, chaque syllabe brillait, éclatante et pure, glorieusement dressée sur sa tige grammaticale, comme la promesse d'un beau fruit. Nos instituteurs n'étaient sans doute ni meilleurs ni pires que ceux d'aujourd'hui. Ils n'étaient peut-être même pas plus soigneux, plus dévoués. Mais ils ne transigeaient pas sur ce point: l'analyse et la dictée quotidiennes. Une faute de notre part, c'était le coup de tonnerre et la foudre s'abattant du poing de ces Jupiters vénérables sur nos esprits envahis de torpides nuées.! Je conserve encore précieusement la honte d'un accord oublié avec le sujet le plus proche, notifiée avec un mépris fracassant pour l'enfant sans mémoire que nous étions parfois...


Aujourd'hui l'orthographe meurt,étouffée par la luxuriante ivraie d'une « pédagogie » dite nouvelle que nos ministres de l'Instruction publique ont laissée germer, ont cultivée, ont prescrite. Quels sors les enfants qui sortent de l'école primaire, armés pour la vie de cette droiture de l'écriture qui est le signe de la droiture de la pensée, sinon même de l'àme ? Les meilleurs traînent encore à travers toutes les classes du collège ou de l'athénée une déficience mortelle. Et il n'est pas rare de rencontrer sur les bancs de l'Université des élèves, moyens et bons, affligés d'une carence congénitale qui les rend boiteux en matière d'orthographe jusqu'à la fin, de leurs jours.


De l'orthographe à la politique et à la sociologie, la distance n'est pas grande. La propreté de l'écriture, la netteté du langage, la probité de l'esprit, le réalisme d'une intelligence qui adhère aux choses telles qu'elles sont et qui se refuse à les transformer selon les démons de ses rêves, sont liés intimement entre eux. Il n'est pas exagéré de prétendre que toucher au langage et à ces merveilleuses articulations logiques que les siècles ont patiemment agencées et codifiées dans la grammaire, c'est toucher à la nature humaine. Si cet « honneur des hommes », le " saint langage ", comme dit le poète, est perverti, maculé, déhanché, s'il court, de bouche en bouche, de plume en plume, négligé. loqueteux, comment croire qu'il corresponde encore aux choses?: Et si cette harmonie entre les mots et la réalité se dissout en discordances, comment les hommes pourraient-ils encore communiquer effectivement entre eux ?
L'incorrection de l'orthographe qui accompagne nécessairement l'altération du langage, est l'indubitable signe que le sens du réel et de ses jointures se perd en l'homme. Toute une « politique », si l'on peut encore employer ici ce beau mot, y pousse avec ardeur, qui déracine le citoyen et le hisse dans des régions lunaires et songères où les vents de l'électoralisme le manoeuvrent comme une feuille morte. Cette prodigieuse diversité qu'offre l'univers, où chaque partie se noue pourtant à l'ensemble, si l'égoïsme d'un moi férocement avide le rompt et si le collectivisme en nivelle la hiérarchie sous sa férule, elle explosera fatalement en fausse notes dans la langue et dans l'écriture ! Là où les lois politiques et sociales sont violées, il faut s'attendre à ce que soient à leur tour honnies les lois de l'orthographe (...)


En second lieu, le pédagogue a introduit dans l'école primaire! « l'étude du milieu ». Cela s'appelle « la mésologie ». C'est comme je vous le dis. Le « milieu » est l'alpha et l'oméga de l'enseignement actuel. Il est le vide-poche où tout se déverse : décamètres et la conjugaisons; histoire et problèmes; vocabulaire et « exercices d'observation », etc... Tout est désormais dans tout, Non seulement il n'y a plus de hiérarchie dans les disciplines enseignées, mais les matières sont chaotiquement mélangées: double et parfaite image de la société contemporaine. Armé d'un crayon et d'une feuille blanche, l'enfant part à la découverte du « milieu », comme un reporter ou un explorateur, au lieu de le sentir de toute son âme comme nous le faisions jadis à la manière du grand Meaulne. Alors qu'il tirait jadis sagement la langue sous la lampe studieuse, en analysant quelques beaux textes, et que les mécanismes bien montés, bien huilés par l'instituteur pendant la classe se déclenchaient silencieusement, il assaille son père et sa mère de questions sournoises sur le " milieu " Le résultat de cette belle Innovation est connu de tous les parents: ce sont eux qui font maintenant les devoirs de leurs enfants; ce sont eux qui recherchent les images du « milieu » qu'il faut coller dans un cahier spécial; ce sont eux qui doivent tant bien que mal remonter les mécanismes élémentaires que le pédagogue laisse rouiller comme des pièces de rebut pendant les heures de classe. Mais le pédagogue se frotte les mains ; il règne sur l'instituteur, il règne sur l'enfant, il règne sur les parents, il se voit régnant sur le monde entier.
On me dira une fois de plus « réactionnaire », « ennemi du progrès », « conservateur de la routine », etc... Je m'en moque et j'en tiens mordicus à ces vieilles méthodes qui ont fait leurs preuves et qui avaient l'avantage de ne pas embêter les parents tout en assurant de solides bases à l'instruction des enfants.


Marcel DE CORTE.
Professeur à l'Université de Liège.- La libre Belgique- 1 septembre 1952
Alors là, n'est-ce pas, nous avons deux possibilités : Soit nous disons "vous voyez, ça ne date pas d'hier, il y a des années (des décennies, des siècles, au choix) que ça dure, ça prouve bien qu'il y a toujours eu des pleureuses et que tout ça ne signifie rien du tout" — soit nous disons "vous voyez, ça ne date pas d'hier, il y a des années (des décennies, des siècles, au choix) que ça dure, ça prouve bien qu'il y a toujours eu des gens qui faisaient preuve d'acuité et de lucidité et que leur constat n'a fait que s'avérer au fil du temps"...
Utilisateur anonyme
14 juin 2011, 23:35   Re : L'orthographe et l'éducation par Marcel de Corte
Le pédagogisme a sévi en force aux Etats-Unis dès les années 1920. Il n'est donc pas exclu qu'il ait fait des émules en France dès les années 1950.
On pourrait dépasser l'opposition proposée par Francmoineau et évoquer une accélération du processus ces trente dernières années, ce qui a permis, nous y sommes déjà, l'effondrement attesté du système scolaire. Et comme facteurs aggravants, l'immigration de masse et l'abandon de toute sélection "au mérite" (les deux combinés formant un cocktail des plus explosifs...)
"Jadis les analphabètes étaient ceux qui n'allaient pas à l'école; aujourd'hui ce sont ceux qui y vont."
Paul Guth
Lire aussi Lettre ouverte aux futurs illettrés qui date de 1979.
Utilisateur anonyme
15 juin 2011, 07:36   Re : L'orthographe et l'éducation par Marcel de Corte
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Je rappelle que le pédagogisme avait déjà montré ses effets désastreux aux Etats-Unis, puisque Hannah Arendt, dans "La crise de la culture", paru dans les année 1950, rappelle que la question que tout le monde se pose est : "Pourquoi le petit John ne sait-il pas lire ?"
Dire qu'il nous a fallu 60 ans pour rattraper notre retard, cela me fait froid dans le dos.
Utilisateur anonyme
15 juin 2011, 11:00   Re : L'orthographe et l'éducation par Marcel de Corte
Je ne pense pas que nous l'ayons vraiment rattrapé, notre retard.
(Message déjà proposé)

Voici ce que je lis dans les premières pages de Hygiène et éducation des idiots, publié en 1843 par Edouard Séguin, "ex-instituteur des idiots à l'hospice des incurables - actuellement chargé des mêmes fonctions à Bicêtre" :

"En attendant que la médecine guérisse les idiots, j'ai entrepris de les faire participer aux bienfaits de l'éducation.
Est-il besoin de dire qu'il ne s'agit pas pour eux de l'éducation classique, qui repose sur la mémoire, et se sert des facultés intellectuelles sans s'occuper de leur rectitude et de leur portée plus ou moins problématique.
(...)
Pour entreprendre l'éducation d'un enfant idiot, ou simplement arriéré, il faut posséder une méthode qui tienne compte des anomalies physiologiques et psychologiques, une méthode qui, pour chaque enfant, parte du connu et du possible, si bas qu'il soit dans l'échelle des fonctions, pour l'amener graduellement et sans lacune au connu et au possible de tout le monde. Il faut une méthode qui ne laisse rien au hazard et à la routine, il faut enfin une méthode positive"

Croirait-on pas jetées là les bases les plus assises de l'idéologie Meirieutique telle que le rejet de toute mnémotechnie, l'"individualisation" des parcours, le dogme de "partir du connu et du possible" ?

(Ajoutons qu' Edouard Séguin, peu satisfait de ses succès en France, émigre en 1850 aux Etats-Unis où l'attend une vraie consécration.)
Le niveau des écoles, lycées et universités est beaucoup plus différencié aux États-Unis que chez nous (je commence à ressentir quelque réticence à employer cette expression, chez nous, cela a-t-il encore un sens ?). Nous n'avons peut-être pas encore tout à fait rattrapé le niveau des écoles, mettons, tout à fait au hasard, fréquentées presque exclusivement par la pléthorique marmaille de femmes noires ou "latinos" célibataires ou abandonnées et vivant de prestations sociales, mais il y a des filières d'excellence, notamment dans les matières scientifiques, qui mènent de l'école maternelle aux très grandes institutions d'enseignement et de recherche, les meilleures du monde (Harvard, MIT, etc.).
Orimont, je trouve votre hypothèse un peu douteuse.
Edouard Séguin fut spécialiste des enfants handicapés mentaux (idiots ou arriérés, à l'époque) et tenta de trouver une méthode particulière pour leur éducation. Il est impossible de comparer ce type d'éducation spécialisée au pédagogisme ultérieur visant la masse, et je ne pense pas que ce dernier s'en soit inspiré.
Aujourd'hui encore, le seul moyen de prendre en charge les enfants autistes, par exemple, est bel et bien le suivi individualisé à partir d'un profil développemental déterminé. Une des dérives actuelles est d'ailleurs de vouloir, à tout prix et au plus vite, les scolariser "normalement" avant que l'enfant ne soit prêt.
Les universités américaines réputées excellentes ne le sont que grâce à des professeurs étrangers en majorité et à des étudiants (à partir de la maîtrise) qui furent formés à l'étranger et qu'attirent la réputation de l'institution et le montant de la bourse promise. Une amie qui enseigna un an à Yale me raconta que le niveau de ses étudiants de BA (Bachelor of Arts) était calamiteux, que ceux-ci pleuraient quand elle avait le malheur de leur donner un mauvaise note (méritée), ce que ses collègues ne faisaient plus guère. A partir du master, me dit-elle, l'écrasante majorité des étudiants sont étrangers ! Cela signifie que même les filières d'excellence sont assez moyennes. Reste toujours la petite proportion d'éléments brillants, mais ils sont brillants quel que soit le système, en dépit du système, par leur intelligence propre : ces étudiants sont la caution de tous les systèmes alors qu'ils sont souvent brillants contre lui.
Le système américain a deux choses que nous n'avons pas ou plus : de l'argent et une réputation. Nous avions la réputation, mais nous l'avons en grande partie perdue à force de ringardiser, d'enlaidir les locaux, de sacrifier le vrai savoir sur l'autel des fausses théories pseudo-révolutionnaires.
Quand je lis qu'on regrette que Derrida n'ait pas enseigné au Collège de France (voir l'article : [bibliobs.nouvelobs.com]), je m'interroge. Entre Derrida et Bergson, il y a une abîme. Le premier est un farceur intelligent qui se cache sous le jargon bien souvent, le second un esprit sérieux et honnête. Pour Tiercelin au Collège de France, il faut bien reconnaître que c'est un sixième couteau de la philosophie analytique, laquelle est une machine à émasculer la philosophie face aux sciences dites dures. Christiane Chauviré est une philosophe d'un autre calibre que Mme Tiercelin ou son mari, Pascal Engel. Ce sont des fonctionnaires de la propagande de la pensée estampillée "US".
Nous eûmes des gens sérieux et brillants. Nous avons désormais le choix entre les farceurs (Foucault, Derrida....) et les comptables.
Utilisateur anonyme
15 juin 2011, 14:04   Re : L'orthographe et l'éducation par Marcel de Corte
Citation
Virgil
Christiane Chauviré est une philosophe d'un autre calibre que Mme Tiercelin ou son mari, Pascal Engel.

Que n'aura-t-on pas entendu ! Combien de fois, lorsque j'étais étudiant à l'Université Paris I, ai-je dû reprendre madame Chauviré lorsqu'elle tentait vainement d'illustrer son catéchisme wittgensteinnien par des éléments de logique formelle, fussent-ils des plus basiques (i.e. des éléments de logique propositionnelle) ? Mme. Chauviré se dit "spécialiste de Wittgenstein" sans maîtriser les éléments de base de la logique formelle : autant se dire spécialiste de Platon sans lire le grec.

Mme. Chauviré, d'un autre calibre que monsieur Engel ? Hum... Lorsque, par simple curiosité, j'allais assister aux cours de monsieur Engel, j'étais autrement intéressé ; et, quoiqu'il fît preuve d'un fruste didactisme frisant parfois le ridicule, il maîtrisait toujours son sujet. Son ouvrage majeur, La Norme du vrai, philosophie de la logique (1989), est un essai de qualité : non verbeux, bien découpé, assez complet (pour l'époque) et intelligent.

D'autres professeurs de talent, véritables spécialistes de philosophie analytique, en particulier monsieur Rivenc — dont je fus l'élève et qui dirigea mon mémoire sur l'autoréférence et les paradoxes logiques et mathématiques —, monsieur de Rouilhan — dont j'admire l'élégance, me souvenant, non sans quelque nostalgie, de la touchante gratitude qu'il eut envers moi — et monsieur Dubucs — très compétent, malgré qu'il soit un peu sec — devraient plutôt être cités.
Entre les livres de Christiane Chauviré (que je n'idolâtre nullement) et ceux du couple Engel-Tiercelin, la différence est notable, à l'avantage de la première. J'ai suivi les cours de M. Engel, c'était d'une intense médiocrité et d'un ennui achevé. Il nous assommait de tableaux et de typologies et ne traitait guère de questions.
Pour Rivenc et Rouilhan, je suis en plein accord avec vous. Ils sont plusieurs coudées au-dessus des trois cités. Je ne citais Chauviré que parce que l'article d'Aude Ancelin y faisait référence. Pour la philosophie analytique un Stéphane Ferret est aussi très intéressant. Quentin Meillassoux cité dans l'article est aussi un professeur et un auteur passionnant.
Tiens, tiens, j'y ai fait un tour, dans ma jeunesse, à Paris-I ; je suivais un cours de philosophie en "option". Ce n'était quand même pas vous, le barbu qui faisait le lourd avec ses questions interminables et verbeuses, entouré de sa petite clique admirative ? La philosophie analytique était en effet un peu la marotte des professeurs de l'endroit, comme la philosophie de Rawls est celle de Paris-IV...
Utilisateur anonyme
15 juin 2011, 15:11   Re : L'orthographe et l'éducation par Marcel de Corte
Oh, Stéphane, c'était dans les années 2003 à 2005 si je me souviens bien... Barbu, dites-vous ? Hum... Une légère barbe peut-être. Mes interventions étaient assez courtes et portaient généralement sur un point précis. Disons que j'étais excessivement pointilleux en cette discipline. Ma "petite clique admirative" n'était alors constituée que d'une charmante étudiante qui, faisant à l'époque un travail de sociologie des sciences, s'était éprise de moi et ne me lâchait pas d'un pied, sans que ce ne fût désagréable.
2003 ? A peine avais-je quitté Paris-I que vous arriviez, alors.
Rawls était la marotte d'Alain Renaut, l'ancien camarade de plume de Luc Ferry. Ensemble, ils commirent le simpliste "La Pensée 68" où ils confondaient tout.
Utilisateur anonyme
16 juin 2011, 03:28   Re : L'orthographe et l'éducation par Marcel de Corte
Alain Renaut a tout de même produit une traduction de la Critique de la raison pure. Qu'il confondît tout dans l'un de ses ouvrages, cela me semble bien vite jugé. Certains penseurs de gauche ont la tête bien faite, ne point le reconnaitre serait malhonnête et inique.

Même Nietzsche, voyez, reconnaissait une noblesse d'âme chez certains de ses adversaires :

« Les deux types d'hommes les plus nobles que j'aie jamais rencontrés personnellement sont le parfait chrétien — je tiens à l'honneur de descendre d'une race qui a toujours pris son christianisme au sérieux, dans tous les sens — et le parfait artiste romantique, qui m'a semblé fort au-dessous du niveau du chrétien. » (1885-86)
Vous allez finir par nous dégoûter et de Nietzsche, et des citations, cher ami... (Dieu sait pourtant si j'apprécie l'un et l'autre.)
Alain Renaut, que j'ai eu comme professeur, a peut-être des opinions politiques différentes des miennes (des nôtres), mais c'est effectivement un très brillant professeur, un homme d'une très grande rigueur philosophique (cf. sa Doctrine du droit sur Fichte), et dont le "système" (il n'aimerait pas ce mot-là) est des plus cohérent. C'est certainement le plus grand professeur que j'aie eu.
Pardonnez-moi de n'être pas d'accord, mais son livre sur Fichte est d'une grande fausseté. Il tient pour thèse des énoncés que Fitchte met entre parenthèses. J'ai suivi son cours sur l'auteur et j'ai lu en détail son livre. On y trouve ses propres marottes (le primat du politique, notamment), mais il ne se signale pas par sa rigueur et son honnêteté philologique. Son rapport à Heidegger est aussi tout à fait douteux : il en traduit les énoncés avec une malhonnêteté achevée, quand il traduit "das Selbe" (le Même) par "la même chose, du pareil au même". A propos de l'agriculture industriel, aux abattoirs de Chicago comparés aux camps de la mort, cela revient à faire de Heidegger un quasi-négationiste ou un révisionniste, alors qu'il livre une clef d'intelligibilité de la figure de la figure de l'histoire de l'être qui rend tout cela possible et pensable.
Sa traduction de Kant n'est pas sans reproche non plus.
Utilisateur anonyme
16 juin 2011, 09:58   Re : L'orthographe et l'éducation par Marcel de Corte
(Message supprimé à la demande de son auteur)
Oui, merci Virgil, j'avais oublié son livre sur Heidegger, que j'ai lu pourtant, et que j'avais trouvé décevant, très mauvais et idéologique. Pour ce qui est de Kant, certes, on peut lui reprocher beaucoup de choses, et en particulier de l'avoir tiré en direction du droit et de ne l'avoir pas suffisamment creusé en direction de la religion. Cependant sa lecture de Kant (dans Kant aujourd'hui notamment, dont on peut refuser les ultimes conclusions) frappe par sa cohérence. Sa lecture même de l'histoire de la philosophie du sujet, même orientée et parachevée pour tout dire par le criticisme, s'était en cours révélée assez magistrale, concédons-le.

J'avoue avoir tout de même du mal à cracher dans la soupe, après avoir suivi les cours de cet homme pendant plusieurs années, et quand bien même aujourd'hui tout me séparerait de sa philosophie, je continuerai à lui vouer une certaine reconnaissance.
Cher Stéphane Bily,
A mes yeux, rien n'est plus louable que la reconnaissance de l'ancien élève, y compris et surtout lorsque l'élève a suffisamment cheminé pour s'apercevoir des limites du maître - car ce cheminement, il ne doit pas oublier que c'est le maître qui l'en a rendu capable lors des premiers pas au moins.
J'ai suivi moi aussi les cours d'Alain Renaut, sur Rawls, sur Fichte, sur Kant, etc. Je n'ai jamais aimé sa manière de tordre les auteurs vers ses marottes - ce que les vrais lecteurs des amphithéâtres ne tardaient pas à découvrir. Ses derniers livres sont assez consternants, car ils suivent les modes intellectuelles du moment, comme Rantanplan suit les Daltons : l'autorité, le régionalisme, le républicanisme... tout cela sans conviction et sans grand cohérence d'ensemble.
Les livres qu'il écrivit avec Ferry sur la philosophie politique (je ne parle pas du mauvais pamphlet sur mai 68, lequel protégea cependant longtemps les acteurs intellectuels du mouvement de mai 68, de toute vraie critique, car ils pouvaient renvoyer n'importe quel contradicteur dans les cordes comme épigone de ces deux auteurs) ne sont pas vraiment brillants non plus. Evidemment, M. Renaut n'a jamais suivi la pente médiatique de son ancien ami, à écrire de la philosophie allégée, mais il s'est rendu coupable d'une chose avec lui : une réforme calamiteuse des programmes de philosophie de terminale, lesquels se retrouvaient frappés de tous les maux du temps, chronocentrisme, moraline, etc. Ces programmes étaient obsédés par la question de la démocratie. 80% de professeurs de philosophie se prononcèrent contre leur réforme, ils la passèrent en force. Preuve que la démocratie s'applique à tous sauf à soi : attitude très courante chez ceux qui nous dirigent, politiquement, médiatiquement et institutionnellement (je pense à l'université).
Utilisateur anonyme
16 juin 2011, 10:31   Re : L'orthographe et l'éducation par Marcel de Corte
(Message supprimé à la demande de son auteur)
D'une manière générale, très peu nombreux étaient les élèves que séduisaient en elles-mêmes les idées politiques de Renaut qui filtraient à travers ses cours ; en revanche chacun s'accordait pour reconnaître que c'était un grand professeur (de la méthode et une grande clarté). Je n'ai pas lu ses derniers essais sur le multicuturalisme, car j'estime, les ayant un peu feuilletés, que ce serait une perte de temps. Tout bien considéré, je préfère me réserver pour le prochain Journal de Renaud Camus et deux ou trois livres de Lévi-Strauss (dont il a fallu qu'il meure pour que je commence à le lire...) que je projette de lire dans les prochaines semaines. Et peut-être aussi Kolakowski, Dieu ne nous doit rien, que je vois en haut de sa pile, à portée de bras.
Utilisateur anonyme
16 juin 2011, 13:43   Re : L'orthographe et l'éducation par Marcel de Corte
Citation
Virgil
Sa traduction de Kant [celle d'Alain Renaut] n'est pas sans reproche non plus.

Mais enfin ! Quelle outrecuidance ! Parlez-vous l'allemand aussi bien que M. Renaut ? Un peu plus de respect de la verticalité déjà moribonde eût été de mise... Critiquez-le sur ses idées, non sur ses compétences, enfin !

Si vous me répondez que toute traduction comporte quelque défaut, je vous rétorquerai qu'il est inutile d'affirmer de si triviales tautologies.
Citation
Henri Lesquis
Mais enfin ! Quelle outrecuidance ! Parlez-vous l'allemand aussi bien que M. Renaut ? Un peu plus de respect de la verticalité déjà moribonde eût été de mise... Critiquez le sur ses idées, non sur ses compétences, enfin !

Mais enfin, quel non-respect élémentaire d'in-nocence ! Que savez-vous de Virgil pour vous permettre pareil jugement ? N'avez-vous pas d'arguments plus sérieux à apporter ?
Utilisateur anonyme
16 juin 2011, 14:18   Re : L'orthographe et l'éducation par Marcel de Corte
L'in-nocence eût été de justifier ce qu'il dit. Je ne juge jamais un homme sur un sujet donné si mes compétences en ce sujet ne valent pas les siennes.

Ces jugements à l'emporte-pièce me semblent bien douteux, notamment parce que je sais — et je peux le prouver — que le troisième est terriblement faux et que le premier est tout simplement ridicule :

Citation
Virgil
Entre Derrida et Bergson, il y a une abîme. Le premier est un farceur intelligent qui se cache sous le jargon bien souvent...
[…] Pour Tiercelin au Collège de France, il faut bien reconnaître que c'est un sixième couteau de la philosophie analytique.
[...] Christiane Chauviré est une philosophe d'un autre calibre que Mme Tiercelin ou son mari, Pascal Engel.
[...] son [A. Renaut] livre sur Fichte est d'une grande fausseté. Il tient pour thèse des énoncés que Fitchte met entre parenthèses.
Ce qu'on vous reproche, cher Henri Lesquis, c'est (comment dire ?) un certain manque de douceur avec vos interlocuteurs ; le caractère souvent péremptoire de certains de vos jugements obscurcit leur caractère de vérité.
Mais je vous en prie : prouvez donc. Risquez votre parole, engagez le débat, étayez vos propos. Questionnez, peut-être... Pardonnez-moi d'insister mais vos dernières contributions montrent que vous êtes dans la simple réaction (dans le sens péjoratif du terme).

Réagir empêche la pensée, et par conséquent toute possibilité de dialogue véritable.
Citation
Didier Bourjon
"A mes yeux, rien n'est plus louable que la reconnaissance de l'ancien élève, y compris et surtout lorsque l'élève a suffisamment cheminé pour s'apercevoir des limites du maître - car ce cheminement, il ne doit pas oublier que c'est le maître qui l'en a rendu capable lors des premiers pas au moins." : belle disposition.

Vous avez raison... je crois me souvenir qu'il y a une scène nommée "The wise always remain humble", où jouait le Gérard de Nerval des films de Kung Fu.




Utilisateur anonyme
16 juin 2011, 14:51   Re : L'orthographe et l'éducation par Marcel de Corte
Certes, cher Stéphane, vous avez entièrement raison. Sachez que vous êtes un de ceux dont je trouve les interventions toujours admirables.

Citation
Phénarète
Réagir empêche la pensée, et par conséquent toute possibilité de dialogue véritable.

Je pense au contraire que la réaction est chose des plus saines dans un monde révoltant.
La traduction d'Alain Renaut présente un certain nombre de défauts qui la rendent très inférieure, à mes yeux, à celle de la Pleiade. L'un de ses défauts est purement philologique : on ne sait pas quelle édition (quel établissement du texte, pas quelle version) il traduit. Or, certaines phrases comportent "mein" dans une édition là où d'autres disent "kein", ce qui n'est pas vraiment la même chose pour le sens. Renaut traduit sans indiquer qu'il y a des difficultés d'établissement du texte, et donc du sens.
Je me souviens avec émotion de sa traduction malhonnête de Heidegger où il confondait sciemment "das Selbe" (le Même) et "dasselbe" (du pareil au même). Peu (ou pas) de germanistes dans la salle pour le contredire, et personne avec le texte sous les yeux, puisqu'il s'agissait d'une incise purement calomnieuse ! Et le téméraire qui aurait osé le contredire aurait vite compris qu'entre l'homme qui est professeur des Universités et l'étudiant en philosophie, l'assemblée n'hésiterait pas - nous n'étions pas, de toute façon, sur l'Agora. La vérité n'y aurait rien gagné de toute manière.
"Je pense au contraire que la réaction est chose des plus saines dans un monde révoltant."

Certes. C'est d'ailleurs pourquoi j'ai précisé entre parenthèses : "au sens péjoratif du terme", exprimant par-là même la possibilité d'un réagir sain, comme vous le dites.

Il ne faut donc pas confondre "réaction" au sens du sursaut permettant la pause réflexive, et "réaction" au sens de l'agir immédiat. Agir qui, s'il ne repose sur aucune pensée, produit rarement autre chose que du désastre.

Mais je me retire du débat pour ne pas compromettre le dialogue avec Virgil et désordonner ce fil intéressant.
Cher Mathieu,

Vous écrivez :

"Edouard Séguin fut spécialiste des enfants handicapés mentaux (idiots ou arriérés, à l'époque) et tenta de trouver une méthode particulière pour leur éducation. Il est impossible de comparer ce type d'éducation spécialisée au pédagogisme ultérieur visant la masse, et je ne pense pas que ce dernier s'en soit inspiré."

Pourtant, on lit dans la biographie d'Edouard Séguin qu'en 1873 il était "délégué des Etats-Unis à l'Exposition internationlae de Vienne et c'est à cette occasion qu'il rédige un long rapport sur l'éducation des enfants normaux et anormaux dont il donne une seconde édition en 1880."

Plus loin : "Mais l'une des actions en faveur de Séguin qui eut le plus d'importance est la transmission de son héritage à la grande pédagogue italienne Maria Montessori." Celle-ci écrira qu'elle trouve "pour la première fois que la méthode physiologique, ayant pour base l'étude individuelle de l'élève et employant comme procédé d'éducation l'analyse des phénomènes physiologiques et psychiques, devait s'appliquer aussi aux enfants normaux (...) La voix de Séguin me sembla dès lors celle du précurseur qui criait dans le désert."

Cela parait bien montrer que notre pédagogue, parti de l'étude d'une méthode pour les "idiots" - très certainement novatrice et utile dans ce cadre-là- en est venu à s'intéresser aux enfants ordinaires, avant que d'autres pédagogues des plus influents n'emboîtent encore plus franchement le pas. C'est d'ailleurs, à mon avis, la pente naturelle - et très fâcheuse - qu'a suivie le "pédagogisme", comme si l'enfant était une sorte de malade qu'il appartenait aux "éducateurs" de soigner, en expérimentant sur lui toute sorte de "méthodes". La passion de la pédagogie est une des plus féconde en illuminés et quand elle parvient à remplir des bibliothèques entières, ce n'est pas très bon signe. J'aurais tendance à appliquer à notre société, cette observation d'Ernst Von Salomon qui, à propos de son grand-père, écrit dans Le questionnaire" : "Il débordait de principes pédagogiques comme tous ceux qui n'ont pas atteint les vrais buts de leur vie."

Vulgairement parlant, les "pédagogues" professionnels ont bien souvent pris les enfants pour des idiots - et leurs parents avec.
Utilisateur anonyme
17 juin 2011, 04:05   Re : L'orthographe et l'éducation par Marcel de Corte
Variation sur un thème d'Orimont Bolacre :

Si l'adulte est un enfant — voir à ce sujet Philosophie des âges de la vie de P.-H. Tavoillot et E. Deschavanne — il devient logique que les enfants soient (pris pour) des idiots.

Après Les Trois Âges de la vie (Klimt) : l'enfance, l'âge adulte puis la vieillesse, voici Les Deux Âges de la vie : l'idiotie puis l'enfance.

(Lévi-Strauss, déjà, dans un long entretien visible sur le site de l'ina, déplorait « l'infantilisation croissante » de notre civilisation.)
L'infantilisation, un processus qui est en train de remodeler jusqu'aux moindres aspects de nos sociétés et qui, on peut le craindre, est loin d'être achevé, est la conséquence directe de l'effacement du père : une fois encore est mis en lumière le rôle central de la mort du père — qui est à la fin du patriarcat ce que l'hyperdémocratie est à la démocratie — dans l'effondrement civilisationnel que nous vivons.
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