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Juger un individu (traces et références, opinions et goûts)

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
11 septembre 2008, 19:53   Juger un individu (traces et références, opinions et goûts)
Depuis que je me sers d'Internet, j'ai remarqué une chose assez troublante : la musique n'est pas (apparemment) —n'est plus, en fait— un critère discriminant. Je m'explique.

Je parle des "profils", qu'on trouve un peu partout sur le Net, lorsqu'un individu, pour une raison ou pour une autre, croit utile de "brosser un portrait de lui", portrait qui consiste en une énumération de "goûts culturels" et d'opinions. Les "biens culturels", qui s'énoncent en autant de goûts, semblent aujourd'hui être essentiellement de trois ordres :

— La "musique"
— La "littérature"
— Le cinéma

Je laisse de côté le cinéma, qui, pour des raisons longues à expliquer, est moins pertinent, a priori, ou plus compliqué à analyser, que les deux autres catégories.

Je suis toujours extrêmement frappé d'une chose, qui est la discrépance invraisemblable entre les goûts et références littéraires et les goûts et références musicaux. S'il est rare de voir un individu qui cite Monteverdi, Brahms, Berg, Schumann, Beethoven et Scarlatti au nombre de ses amours musicales déclarer lire Harry Potter, Madeleine Chapsal, Coelho et la BD, par exemple, il est absolument courant de lire des listes où, en face de Julien Gracq, Stendhal, Faulkner, Balzac, Robbe-Grillet, Calvino, Carpentier, Beckett, Borges, Cortazar, Flaubert, Claudel, et même Dante et Racine, sont alignés des noms de "musiciens" dont vous allez me pardonner de faire l'économie, car à vrai dire j'en connais très peu (mais je suis certain que vous me comprenez). Disons, pour ceux que je peux citer sans aller fouiller sur Internet, les Beatles, les Rolling Stones, la techno, "l'électro", etc.

Comment comprenez-vous cela ?
Utilisateur anonyme
11 septembre 2008, 20:22   Re : Juger un individu (traces et références, opinions et goûts)
Très Cher Boris, ne faites pas semblant de découvrir que ce monde ne signifie plus rien d'un poin t de vue culturel.., au sens où vous l'entendez explicitement.
Il s'agit, j'imagine de goûts auto-déclarés. Dans ce cas peut jouer pour la littérature le phénomène de surévaluation de leurs habitudes culturelles par des gens un peu snobs ou attachés à un certain standing culturel, phénomène bien connu des professionnels des mesures d'audience qui savent que les gens déclarent regarder trois ou quatre fois plus Arte qu'ils ne le font réellement. Dans cette hypothèse, le fait que le phénomène ne joue pas dans le domaine de la musique indiquerait que le processus de déculpabilisation de l'ignorance de la grande culture est achevé dans le domaine de la musique alors qu'il ne l'est pas encore tout à fait dans celui de la littérature.

Cela reflète, je crois, les pratiques culturelles petites-bourgeoises actuelles : à la Fnac, la musique savante occupe désormais un réduit caché au fin fond du magasin alors que la littérature reste bien représentée dans les rayons. Reste à savoir combien de livres de Julien Gracq, Stendhal, Faulkner, Balzac, Robbe-Grillet, Calvino, Carpentier, Beckett, Borges, Cortazar, Flaubert, Claudel, Dante et Racine achetés sont effectivement lus.
Utilisateur anonyme
11 septembre 2008, 20:41   Re : Juger un individu (traces et références, opinions et goûts)
Non, non, je ne fais pas semblant de découvrir la lune, René ! Je cherche à comprendre, même si j'ai ma petite idée, pourquoi la musique n'est pas du tout sur le même plan que la littérature.

Je ne vous avais pas lu, Marcel, quand j'ai répondu à René Urmeau. Ce que vous dites est juste, mais un point me gêne : je ne crois pas qu'il s'agisse uniquement d'une problème d'image, et de goûts auto-déclarés, comme vous le dites. Je crois vraiment que ces gens-là aiment Balzac et Stendhal et ignorent totalement ce qu'est la musique.
Je dois lire de temps en temps des curriculum vitae, et il me semble que cette discrépance, que j'observe aussi, est recherchée consciemment, de façon à montrer un profil mélangé, ouvert. Tactique, sans doute, de séduction multiple. Mais sans doute s'agit-il plutôt de se construire une image que de décrire une personnalité : on cite comme étiquette un auteur dont on a peut-être lu un livre...
Utilisateur anonyme
11 septembre 2008, 20:58   Re : Juger un individu (traces et références, opinions et goûts)
"(...) le processus de déculpabilisation de l'ignorance de la grande culture est achevé dans le domaine de la musique (...)"

Très juste. Reste à savoir pourquoi. A mon avis, c'est que, pour paraphraser Pascal Quignard, les oreilles n'ont pas de paupières et que les moyens de diffuser du son à jet continu ont atteint d'incomparables sommets à l'égard desquels la production de livres, pourtant pléthorique, est vraiment peu de chose. Moins que tout autre art la musique n'était à même de supporter l'absence de rareté.
Utilisateur anonyme
11 septembre 2008, 21:03   Re : Juger un individu (traces et références, opinions et goûts)
Non non non, je ne suis vraiment pas d'accord ! Si ces gens-là cherchaient à donner cette image d'éclectisme, ce foutu éclectisme si ringard, ils mélangeraient leur liste musicale, elle serait mal-adroitement parsemée de Mozart, Sibelius, Rameau, Satie, Bach, Schubert, Cage ! Or, la plupart du temps, rien de rien, sorti de la variété la plus nulle et du turbo-punk serbo-croate. Tenez, sur le site d'un éditeur parisien connu, que je visitais de temps à autre, j'ai créé l'événement (sic) parce que je disais ne pas comprendre comment il se faisait que ces individus aimaient, déclaraient aimer, se flattaient d'aimer, et n'avaient aucune peine à argumenter pour soutenir ce goût, aimaient, donc, Mylène Farmer, en faisaient non seulement "une artiste", mais parmi les plus grandes, les plus littéraires, les plus avant-gardistes !

[je répondais à Bernard]
Utilisateur anonyme
11 septembre 2008, 21:10   Re : Juger un individu (traces et références, opinions et goûts)
Bah Boris, c'est peut-être que la hiérarchie libre de la pensée, des goûts, suit sa propre logique... Pour ma part je n'ai pas d'"homogénéité idéologique" en matière de goûts. Je choisis en tout ce qui me semble le meilleur, malgré ou à cause de l'hétérogénéité de ces meilleurs.

Mais je ne crains de n'avoir pas vraiment répondu à votre question...
Utilisateur anonyme
11 septembre 2008, 21:17   Re : Juger un individu (traces et références, opinions et goûts)
Boris, vous qui semblez davantage "intime" avec M. René, pourriez-vous traduire ce qu'il dit... ?
Utilisateur anonyme
11 septembre 2008, 21:19   Re : Juger un individu (traces et références, opinions et goûts)
Ah non, là j'avoue mon incompétence totale, Pascal. Va falloir vous débrouiller avec les astres et le chiffre.
Utilisateur anonyme
11 septembre 2008, 21:23   Re : Juger un individu (traces et références, opinions et goûts)
Et tous ces mots en italique... qu'est-ce à dire ?
Demandez d'abord, Boris, si ceux qui écoutent Mozart font autre chose en même temps; et à ceux qui lisent Proust s'il ne s'agit pas, tout bêtement, de la quatrième de couverture ? Même en plusieurs volumes, ça fait pas beaucoup.
Le Roi René n'est peut-être qu'un glitch...
Monsieur Boris Joyce, comme toujours, vous mettez le doigt sur une véritable énigme. Effectivement, la mode de l'éclectisme y est peut-être pour quelque chose. Mais peut-être faudrait-il ajouter le fait qu'il n'y a pratiquement pas d'éducation musicale à l'école, et que si les jeunes gens sont "exposés" à Proust ou Stendhal, ils ne le sont jamais ou presque à Cage ou Varese. Des grands classiques, ils n'ont que des versions musac grande surface. Il reste donc le sentiment que Proust, c'est sérieux car on en faisait à l'école, mais Bach ? Cela n'existe même pas comme vague souvenir scolaire.
L'idéal de l'honnête homme reste séduisant. Entre ceux qui ont appris des choses et ceux qui ont appris à apprendre il y a une marge.
Boris, vous vous trompez; les biens culturels, aujourd'hui, ce n'est plus même la musique, la littérature et le cinéma, même avec des guillemets : ce sont les disques, les "bouquins" et les films.
Je serais assez d'accord avec Orimont pour dénoncer le pouvoir de nuisance des moyens de diffusion massive du son dans tous les recoins de la tanière humaine... Et puis, comme disait Renan en parlant de la langue, qu'on ne prétend l'enrichir que lorsqu'on en ignore les trésors, on ne peut faire de Mylène Farmer (?) une "musicienne" littéraire et avant-gardiste que lorsqu'on ignore jusqu'aux plus galvaudées des formes musicales, littéraires et poétiques "en rayon", si je puis dire.
Ce qui n'empêche pas que j'aime les Beatles.
Vous, Boris Joyce, discrepance ?

Je ne peux le croire, m'y résoudre. Discrepancy doit, peut, devrait, offre le choix d'exister en français de mille façons: écart, distorsion, disparité, discordance, dissemblance, et pour vous plus particulièrement: dissonance.

La "discrépance" c'est un peu en logique ce que la "flaveur" est dans le domaine des sens. Il est indispensable de se respecter un peu, Boris, quand on vient brosser par écrit le tableau de ses humeurs, de ses perceptions. Vous ne m'en voudrez pas de vous rappeler.
Utilisateur anonyme
11 septembre 2008, 22:46   Re : Juger un individu (traces et références, opinions et goûts)
"les biens culturels, aujourd'hui, ce n'est plus même la musique, la littérature et le cinéma, même avec des guillemets : ce sont les disques, les "bouquins" et les films."




Et les "expos"...

"S'faire une expo" : expression favorite de ce grand consommateur de culture(s) qu'est l'homme-masse.
Attesté par le dictionnaire de l'Académie, cher Francis, complément de 1852...
Domaine de la pensée, rare. Disconvenance, divergence. La discrépance absolue admise par lui [Kant] entre « l'impératif catégorique » et la « sensibilité » (Traité sociol., 1968, p. 240). (TLFi.)
DISCRÉPANCE, subst. fém.
DISCRÉPANCE, subst. fém.
Domaine de la pensée, rare. Disconvenance, divergence. La discrépance absolue admise par lui [Kant] entre « l'impératif catégorique » et la « sensibilité » (Traité sociol., 1968, p. 240).
Rem. Attesté par le seul Ac. compl. 1842.
Étymol. et Hist. Fin XVe s. « désaccord » (G. CHASTELL., Chron., éd. Kervyn de Lettenhove, IV, 10, 27) 1611, COTGR.; à nouv. 1808 (BOISTE). Empr. au lat. class. discrepantia « désaccord, discordance » de discrepare, v. discrépant. Bbg. QUEM. 2e s. t. 3 1972.
Pardonnez-moi : la source : Le TLF.
Boris Joyce, au secours duquel je vole ici, va encore me dire que je lis et écris d'un oeil distrait...
Je voudrais ajouter, tout à la fois en hommage à Boris, et à la pertinence de son questionnement mais aussi contre lui, que le goût musical est généralement, au commun des mortels, chose fort difficile à argumenter par écrit. Pourquoi aimez vous Balzac ? Pourquoi aimez-vous Varèse, détestez-vous John Cage ?

Comme la plupart d'entre nous, si ma vie en dépend (et c'est le cas pour un c.v. !), je peux argumenter ce soir pour vous tous vingt-cinq pages en réponse à la première question; mais il me sera impossible d'écrire plus de huit lignes en réponse aux deux autres.

Il est extrêmement difficile à chacun, y compris les plus savants, d'exposer les raisons de leurs goût musicaux en rédigeant un texte articulé, savant. La musique savante est doublement savante: outre sa riche et rigoureuse composition, elle impose à ses commentateurs sérieux d'être eux-mêmes savants: son idiome n'est pas linguistique; à la différence de l'idiome stendhalien, balzacien, le commentaire musical requiert une gymnastique particulière qui a trait à la transcription des sensations, celle d'un logos sensuel dans le logos commun. Je n'oserais, pour ma part, vous exposer pourquoi j'admire les motets de Charpentier et moins les oeuvres de Monteverdi qui pourtant leur ressemblent. J'ai peut-être l'ouïe; pour autant je ne possède pas les arts difficultueux et dangereux de vous la transcrire en mots et de vous en convaincre.
Il faut être Rousseau, Quignard ou Millet, ou Nietzsche, ou Jankélévitch... Effectivement, ça ne s'improvise pas...
Il n'empêche que nous savons tous que ce qu'on met sur un CV sous la rubrique "goûts" (si cela existe), ce n'est pas pour argumenter et ne demande aucune justification. C'est pour se faire mousser. Et il ne vient plus à l'esprit de beaucoup que Bartok ou Corelli, ça peut faire aussi chic et cultivé que Balzac.
Cher Brunot Chaouat,

Tout existe dans les dictionnaires. Pour moi, qui suis Français, discrépance n'est pas français. Tout simplement. Comme Kant, admirable auteur, ne l'était point, pas plus du reste que le latin de charcutière (discrepantia) n'est du français. Sur ce plan, celui du sentiment de la langue, le heurt étranger, chez un auteur qui m'est aussi cher que Boris Joyce, m'est insupportable, est inadmissible, n'a rien à fiche entre lui et moi.
Oui, c'est comme les opportunités, mot repris aussi dans les dictionnaires, et avec ce sens. Plus de mot pour la qualité de ce qui est opportun...
Je reconnais, Monsieur Marche, l'inélégance du mot, et qu'il puisse heurter une oreille littéraire. Au demeurant, on doit le trouver bien peu, voire pas du tout, dans l'histoire de la littérature française. Il est effectivement revenu par l'anglais "discrepancy", d'ailleurs guère plus mélodieux.
Moi, je l'entends un peu comme le contraire de "congruence". Y a-t-il un mot qui dise le contraire de ce contraire, dans le même registre, le même niveau de langue ?
Utilisateur anonyme
12 septembre 2008, 01:03   Re : Juger un individu (traces et références, opinions et goûts)
On écoute les Beatles et Mylène Farmer comme on mange des hamburgers. Il y a un plaisir régressif à ces choses-là. On pourrait étendre la question à beaucoup d’autres domaines. Comment peut-on raisonnablement aimer Rousseau et les barres chocolatées Mars ? Est-il acceptable d'écouter Brahms en buvant un Nespresso ? Peut-on lire Renaud Camus puis jouer à la Nintendo Wii ? Plus grave, comment peut-on aimer Huysmans et les chemises à col boutonné ? Passion de la photographie et amour de Photoshop CS3 sont-ils conciliables ?

C’est un champ de l’infini qui s’ouvre devant nous. Je sens qu’on s’y perd déjà.
Ou encore, cher Monsieur Giraud, googler tout en lisant Cioran.
J'en entendu plus d'une fois de grands musiciens faire l'éloge des Beatles. (Était-ce Herreweghe ?)
J'ai moi aussi entendu ce genre d'éloge de la bouche de grands artistes ou penseurs, cher Bernard Lombard ! Cela fait bien sûr plaisir lorsqu'on aime les Beatles (comme c'est mon cas, j'aime à le rappeler ici d'une manière légèrement provocatrice), mais ne légitime (voire n'excuse, pour les plus intolérants) en rien ce goût dans lequel M. Giraud croit déceler un plaisir régressif.
Je pense qu'il ne faut pas oublier l'importance, dans l'établissement de nos dilections personnelles, de ce surmoi qui sans cesse veille en nous, nous intimant de prendre garde à ne pas abuser des barres chocolatées... "On aime ce que l'on s'aime aimant", disait je crois le maître de Plieux.
Discrepat inter scriptores rerum (ce qui signifie, en gros, que les avis divergent; et dix verges, c'est beaucoup, comme disait Pierre Desproges).
Citation
processus de déculpabilisation de l'ignorance de la grande culture est achevé dans le domaine de la musique alors qu'il ne l'est pas encore tout à fait dans celui de la littérature.

Les amis,
Pour moi les choses sont assez simples.

1) L'aversion de la musique classique a commencé au lycée où les cours de musique tournaient presque systématiquement à la grande pantalonnade et où les malheureux profs étaient les souffre-douleurs des élèves, du moins dans les années soixante et soixante-dix.

2) Il ne faut tout de même pas s'illusionner et croire qu'avant (avant l'invention de la radio et du microsillon) la grande musique retenait l'attention de la plèbe. Celle-ci fut toujours le privilège d'une certaine aristocratie resp. bourgoisie à l'exception de l'Italie où l'opéra resta longtemps une grande tradition populaire .

3) Les massmedias jouent un role fondamental dans cette désaffection parce que le rock et la pop-music sont des denrées facilement consommables alors que le classique n'est pas accessible sans efforts personnels.

4) La fréquentation réguliére le dimanche de la messe catholique traditionnelle avec la liturgie tridentine fut jusque dans les années soixante une excellente introduction à la grande musique. Après Vatican II le recul de cette fréquentation a eu certainement une influence négative.

Je suis sidéré de voir des groupes de pop-musique drainer dans des concerts (openair) des foules assez gigantesques (25 à 50 000) alors que les prestations sont nulles ou presque. J'avoue que j'ai été souvent invité dans des concerts de rock et j'ai été presque toujours décu. Récemment un concert de Sir James Paul McCartney m'a laissé une impression de malaise car la nostalgie des Beatles sur laquelle cette tournée était basée était vaine car déjà mille fois ressassée.
Utilisateur anonyme
12 septembre 2008, 10:58   Discrépance
Pour "discrépance", j'avoue un peu de perversion de ma part, mais aussi de la paresse. J'avais été amusé, il y a de cela trente ans, d'avoir entendu Pierre Boulez utiliser ce mot. Il avait l'excuse, lui, de parler l'anglais aussi souvent que le français, et l'on sait que dans ce genre de cas, on ne parvient pas toujours à retrouver les mots qu'il faut. D'un autre côté, je n'arrivais pas à trouver immédiatement un terme équivalent. Mais je suis assez d'accord avec Francis, ce mot ne m'a jamais paru très français.
Citation
Mais je suis assez d'accord avec Francis, ce mot ne m'a jamais paru très français.

En allemand le mot Diskrepanz est couramment employé. Avant de m'installer en Allemagne je n'avais jamais entendu ce mot en francais. J'en tire donc la conclusion que ce mot ne fait pas partie du vocabulaire du francais contemporain.
Boulez affectionnait ce genre de vocable. Il me semble que concrétion, dans sa bouche, en était un autre.
Utilisateur anonyme
12 septembre 2008, 11:25   concrétion
Ah bon ? Jamais entendu. Et dans quel sens ?
Bien cher Boris, tapez "concrétion" et "Boulez" dans Google et vous obtiendrez 250 occurrences au moins.

Pour moi, concrétion désigne en musique composée savante (école de Vienne si vous voulez, par exemple) ce que dans la musique de bal pour bourgade du Tarn-et-Garonne (Lavaur, tenez, par exemple) le samedi soir, l'on appelle communément "les pêches". Qu'est-ce que les pêches me demanderez-vous ? Et bien dans la section des cuivres (d'un sextet, tenez, par exemple) il se trouve toujours quelques bras-cassés de la trompette et du trombone qui rappellent l'orchestre à leur existence par une blanche jetée à plein poumon et à l'unisson là oùsque ça swingue. Vous me suivez ? Cette note, toujours la même, qui marque la mesure, assourdit la mélodie et relance la section rythmique, est ce qu'on appelle dans le jargon de musicos de village, une pêche. "Je joue dans l'orchestre d'Albert Azema. Ah bon? et de quel instrument ? De la trompette, enfin, pour l'instant, je fais les pêches". "Je suis chez Boulez, pour l'instant, je suis encore dans les concrétions, mais je compte progresser à la rentrée".

C'était notre rubrique Musicologie de ce jour.
Utilisateur anonyme
12 septembre 2008, 11:55   Re : Soyons méchant, ça ne coûte rien et ça fait toujours plaisir
J'en apprends tous les jours sur ce forum ! Mais donnez-nous un exemple de concrétion chez Boulez, que je tâte de la chose, moi aussi.

Ah, oui, les pêches, Francis, les pêches, quel mot !!! "Une pêche d'orchestre"… Vous savez qu'il y a un marché de "la pêche d'orchestre" ? Ça se vend, ça s'achète, en sample… J'en connais qui sont devenus riches, à vendre leurs pêches.
Utilisateur anonyme
12 septembre 2008, 15:10   Re : Juger un individu (traces et références, opinions et goûts)
Je vois que René Urmeau est retourné dans l'anonymat ! À l'insu de son plein gré ?


Pour le reste, j'avoue rester sur ma faim. La plupart de ceux qui sont intervenus ici ne prennent pas ma question au sérieux, ou plus exactement, ne prennent pas ceux qui s'auto-croquent, au sérieux. Je crois qu'on doit les prendre au sérieux, que la question est une vraie question, et non une perversion, un des nombreux ratés du système. Ne confondons pas les marges avec le centre, l'exception avec la règle. Vous continuez à raisonner comme s'il était valorisant, pour un individu du XXIe siècle, d'affirmer qu'il lit Proust et Saint-Simon… mais vous savez bien qu'il n'en est rien !


J'entends bien la raison donnée par Marcel Meyer et Bruno Chaouat, je crois, sur la fin du "complexe de l'homme cultivé", qui serait plus avancée dans le domaine de la musique. Mais la question reste entière : pourquoi est-ce dans le domaine de la musique que les choses ont si rapidement perdu leur masque ? Pourquoi la musique est-elle (serait-elle) le domaine où le vrai se révèle ?

Xavier Giraud nous dit qu'il y a un plaisir régressif à ces choses-là : écouter les Beatles et Mylène Farmer (comme on mange des hamburgers). Il y a dans cette affirmation l'aveu de quelque chose de très profond : il est donc admis que le plaisir (même régressif (encore faudrait-il savoir que cela signifie)) est du côté de Mylène Farmer. Mais, Cher Xavier Giraud, si je vous disais que je n'ai strictement aucun plaisir à écouter Mylène Farmer, même un petit plaisir régressif ?! Et qu'en revanche, j'aime les hamburgers…
Utilisateur anonyme
12 septembre 2008, 15:39   Re : Juger un individu (traces et références, opinions et goûts)
Je citais les Beatles et Farmer parce que leurs noms étaient apparus. Mon plaisir régressif à moi, c’est Radiohead. Ensuite, le plaisir peut être du côté de Farmer, j’en conviens, mais je ne l’y cantonne pas. Et j’affirme qu’on peut aimer le Big Mac et détester le Royal Cheese. Mais on tourne en rond, là.
Votre interrogation est certes intéressante mais pas facile.

Vous oubliez certaines pistes évoquées : les habitudes héritées de l'école, le matraquage unuversel par la musiquette. Ce n'est pas à écarter sans réflexion.

Question, pour éclairer le débat : qu'en est-il, dans ces portraits auto-croqués, des goûts en matière de peinture et de sculpture ? Ces arts apparaissent-ils seulement ? Si, comme je le subodore, la réponse est non, j'aurais une théorie à proposer.
Utilisateur anonyme
12 septembre 2008, 15:57   Re : Juger un individu (traces et références, opinions et goûts)
« Vous oubliez certaines pistes évoquées : les habitudes héritées de l'école, le matraquage unuversel par la musiquette. Ce n'est pas à écarter sans réflexion.  »

Non, bien sûr, vous avez raison. Ce sont des raisons que je crois réelles, intéressantes, mais qui ne me semblent pas tenir au fond.

Vous avez encore raison, Marcel, les profils font très rarement mention de la peinture et de la sculpture, de l'architecture. Quasiment jamais, en réalité. Comme le disait je ne sais plus qui (Francmoineau, je crois), ce sont dorénavant les films les bouquins les musiques dont on parle pour se présenter. Et aussi, de plus en plus, la manière d'aborder (je ne sais comment dire) "Internet".
Utilisateur anonyme
12 septembre 2008, 17:24   On n'écrit pas sous la douche...
Cher Boris,

Il ne me semble pas possible de sous-estimer, dans cette question, ce que Marcel appelle le "matraquage universel de la musiquette". Y a-t-il le moindre exemple de comparaison d'un tel phénomène à une autre époque et une chose pareille n'a-t-elle pas eu le pouvoir d'abolir le goût, considérant que le gros de la population (à commencer par moi (bien que mince)), n'est pas doté d'une sensibilité extrême à la musique, ou, plutôt, n'est pas très regardant (si on peut dire) sur la qualité des mélodies qui vont et viennent ? La "musique", au sens très large de l'agencement des sons, a quelque chose de facile, de débraillé, de sympathique, quelque chose qui a fatalement pris le dessus dans des conditions de productions intensives de sons.

Pour les mêmes raisons de saturation par l'image, partout, sous des milliers de formes, la peinture, elle aussi, je veux bien le croire sur parole, a disparu des "goûts" dans les "profils".
Utilisateur anonyme
14 septembre 2008, 11:34   Abolir le goût
Vous avez raison, Orimont, il est possible que je sous-estime ce matraquage, en effet. Ç'a toujours été un réflexe, pour moi, de fermer mes oreilles, quand je me trouvais en présence de musak. Mais j'ai eu la chance de grandir à une époque où la chose pouvait encore être repérée, c'est d'ailleurs la raison de ce mot de "musak" ; aujourd'hui, plus personne ne parle de musak, car la musak est devenue musique. Comment repérer une chose qui se confond avec le décor ? Comme la petite-bourgeoisie prend tout l'espace social et culturel, la néo-musique n'a plus d'autre, ou elle est en passe de n'en plus avoir.
C'est tout de même un formidable renversement, auquel nous assistons ! Mais le processus est toujours le même : on commence par vouloir "dépasser" des cadres "trop étroits", "abolir les frontières" entre les genres, entre les styles, réhabiliter le mineur, augmenter le plaisir, le champ de la sensation, agrandir le public, et ça se termine invariablement par une diminution, par une grisaille uniforme et nauséabonde, qui a égalisé et arasé tout le paysage, l'a rendu maussade et pauvre.

Vous parlez très justement "d'abolir le goût", Orimont. Plutôt qu'anoblir le goût, ce qui est toujours difficile, long, compliqué, on a préféré l'abolir, en effet. La constitution d'un goût, comme le montre bien Renaud Camus, se fait sur plusieurs générations, cela ne pouvait pas satisfaire une époque qui demande des résultats en deux semaines d'Academy. Comme le dit Philippe Sollers, c'est la Guerre du goût. A-t-elle été perdue ?

Ma question reste entière : comment se fait-il que la musique ait été, finalement, le champ d'expérimentation privilégié de l'hyper-démocratie ?
Utilisateur anonyme
14 septembre 2008, 13:27   Re : Abolir le goût
"Ma question reste entière : comment se fait-il que la musique ait été, finalement, le champ d'expérimentation privilégié de l'hyper-démocratie ?"

Parce que l'ouïe est le plus hyper-démocratique des sens.
14 septembre 2008, 14:18   Re : Abolir le goût
Insupportable aussi qu'il n'y ait plus moyen de voir le moindre "documentaire", toutes chaînes confondues, sans un fond de cette espèce d'horrible musique "techno". Or, il viendra forcément un moment où ce ne sera plus de la "techno", mais du rap...
Utilisateur anonyme
14 septembre 2008, 14:33   Re : Abolir le goût
Que vienne le rap !
Utilisateur anonyme
14 septembre 2008, 18:57   Re : Abolir le goût
Orimont, je comprends bien ce que vous voulez dire, à la suite de Quignard, mais il me semble aussi, d'un autre côté, que l'ouïe est le sens le plus raffiné qui soit, le plus incroyablement précis, quand il a été éduqué bien sûr.
Utilisateur anonyme
14 septembre 2008, 19:02   Re : Abolir le goût
L'ouïe c'est l'homme, en somme...
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