Ce fil aurait dû être intitulé : un geste inactuel
Quelle explication donner au peu d’effet que cet acte extrême, accompli par un homme qui voulait en faire un acte de combat, a produit sur une opinion publique si avide par ailleurs de sensationnel, et restée là indifférente et insensible.
Pour que « les actualités » si promptes à s’emparer de l’extraordinaire, ne fût-ce que pour un instant, mais en en épuisant voracement toutes les ressources, se soient détournées de ce sacrifice, il faut bien qu’elles n’y aient trouvé aucune actualité
Ce geste est donc aujourd’hui inactuel. Consolons nous, non parce que nous l’aurions manqué de quelques semaines, mais parce que, radicalement, il n’est pas de notre époque.
Notre temps n’a tout simplement plus la possibilité d’accueillir dans son actualité des actes de cette nature, sur lesquels il ne peut appliquer aucune des « grilles de lecture » dont il dispose : ils sont radicalement intempestifs.
Le suicide d’un jeune tunisien révolté et désespéré a soulevé et la vague immense des révoltes arabes et les élans de compassion et d’admiration de nos peuples subjugués. Le suicide d’un officier français révolté et désespéré est tombé dans une mare d’indifférence qu’il n’a agitée que d’un imperceptible clapotis.
Reste à cerner les causes de cette inactualité.
Le tour de la question est vite fait : le geste, l’auteur, la cause, le message. On devine que dans cet inventaire trop d’éléments dérangent et trop de monde ou plutôt tout dérange, l’acte brut excepté, et tout le monde. Nul ne veut être importuné par une aussi incongrue révolte, d’un aussi critiquable héros (un officier, un colonel, pensez, et ancien d’Indochine de surcroit !) pour une aussi contestable cause (les H’mongs, n’auraient-ils pas été nos Harkis d’Asie, collabos, traitres à leurs frères ? Fidèles à la France ? Quelle foutaise : le sommes nous, nous, fidèles ?). Et ce message ! « Gouvernants sans honneur, grands media sans courage, collabos (les vrais) sans vergogne, je vous crache….. mon mépris à la gueule ». La potion était bien trop amère à boire.
A ces tares rédhibitoires le colonel Jambon a eu le tort d’en ajouter une autre : son acte n’a nui qu’à lui seul et n’a provoqué de souffrances qu’à ceux qui l’aimaient. Dans la sphère du sacrifice et du sang versé, se donner, à soi seul, la mort est l’acte le moins nocent qui soit.
Les actualités se seraient repues d’un massacre de masse ou d’un attentat suicide. Robert Jambon est un héros in-nocent. Qu’on se le tienne pour dit : l’époque ne sait qu’en faire.