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Jeanne, Eva et Ella

Envoyé par Gérard Rogemi 
14 janvier 2012, 09:04   Jeanne, Eva et Ella
C'est toujours un plaisir de fin gourmet de lire les éditoriaux de Christan Authier.

Jeanne, Eva et Ella

Fallait-il que Nicolas Sarkozy rende hommage à Jeanne d’Arc ? Pour Eva Joly, le geste était déplacé. Explications.

L’hommage rendu par le Président de la République, le 6 janvier à Domrémy, à l’occasion du 600ème anniversaire de «la Pucelle d’Orléans», a suscité quelques énervements. Pas vraiment du côté du PS, mais à l’extrême droite où les Pen, père et fille, ont hurlé à la captation d’héritage. En effet, depuis le 1er mai 1988, le Front national avait pris l’habitude d’honorer la mémoire de la sainte. Une manière de ne pas se plier au rituel de «la fête du travail» et de saluer celle qui réussit à «bouter les Anglais hors de France». Evidemment, ce n’étaient plus aux Anglais que le FN rêvait symboliquement de faire subir le même sort.

Avant d’être célébrée par le parti de Jean-Marie Le Pen, Jeanne d’Arc fut notamment brandie par l’Action française, le Parti communiste, Vichy, la Résistance. De Gaulle, VGE ou François Mitterrand lui rendirent hommage bien avant Nicolas Sarkozy. Ségolène Royal se réclama d’elle en 2006. Dans certains cénacles de l’extrême gauche ou du féminisme, elle fut aussi encensée comme fille du peuple ou avant-garde de l’émancipation. Figure glorieuse du roman national, l’héroïne patriote et catholique réussit le tour de force de devenir une sorte de sainte laïque.

Ne sois pas si bête

La réaction la plus ébouriffante au geste présidentiel à la mémoire de Jeanne d’Arc est venue des Verts et de leur candidate à l’élection présidentielle. Eva Joly s’est en effet insurgée contre un «symbole qui ne fait pas sens», voyant – non sans contradiction – dans la bergère un «symbole ultranationaliste». Déjà, il faudrait choisir. Soit Jeanne d’Arc «ne fait pas sens», soit elle a un sens : «ultranationaliste». Mais laissons l’ancienne juge expliciter sa pensée : «moi, je trouve bizarre, alors que nous sommes confrontés à la plus grave crise depuis au moins la Deuxième Guerre mondiale, d'aller chercher l'inspiration dans la figure de Jeanne d'Arc. C'est une personnalité médiévale, c'est la pucelle qui a bouté hors de France les Anglais, ce n'est pas le symbole que nous cherchons aujourd'hui».

Le rapport entre la crise et Jeanne d’Arc demeure obscur. Quant à l’argument de l’archaïsme, «personnalité médiévale», il conviendrait que les Verts nous disent à partir de quand l’Histoire devient une époque à laquelle on peut rendre légitimement se référer. Mai 68 ? Le 5 décembre 1943, date de naissance de Madame Joly ? Le 1er janvier 2002 à cause de l’arrivée de l’euro ? On savait déjà Eva Joly peu enthousiaste à l’égard du 14 juillet dont elle veut supprimer le défilé, mais décidément elle a un problème avec l’Histoire de France.

La candidate écolo (3 % d’intentions de vote) a encore dit «porter l'espoir et l'idée que la place de la France est dans l'Europe avec les Allemands et avec les Anglais». On la rassure : géographiquement et même politiquement, c’est le cas. La pauvre Jeanne n’y changera rien. L’eurodéputée a tout de même présenté des alternatives : «Personnellement, je me sens plus proche des femmes héroïnes de la Résistance de la Deuxième Guerre mondiale que de Jeanne d'Arc (…) si on cherche l'inspiration, qu'on la trouve auprès de ces femmes-là !» Là, ça se gâte. Car les «héroïnes de la Résistance» n’ont pas été tendres avec l’occupant allemand (et inversement). Pire : elles étaient souvent «nationalistes», parfois mues par leur foi catholique et elles ont contribué à bouter les Allemands hors de France. Bref, elles avaient un petit côté Jeanne d’Arc. Ne le disons pas à Madame Joly, elle leur chercherait des noises.

Nous les brocardons, mais sans les écologistes français, la vie politique française serait plus triste, moins cocasse. Tout est drôle chez eux : du général au particulier. Ces jours-ci, par exemple, les gazettes nous apprenaient qu’ils envisageaient de faire du tube de France Gall, Ella, elle l’a (hommage à Ella Fitzgerald), leur chanson de campagne. On saluera leur subit esprit d’ouverture (le prénom France ne serait-il pas un peu étroitement nationaliste ?) envers cette chanson qui dit notamment : «Ella, elle l’a / Cette drôle de voix, Ella / Cette drôle de joie / Ce don du ciel qui la rend belle». Quand on sait à quel point Madame Joly est susceptible dès que l’on aborde son accent et sa «drôle de voix», on s’inquiète. De plus, l’expression «don du ciel» renvoie à une vision religieuse assez peu compatible avec la laïcité. Il va falloir réécrire les paroles. D’ailleurs, ils vont le faire. Ou bien choisir une autre chanson de France Gall. Pas Sacré Charlemagne, bien sûr. Les Sucettes ? Non, plutôt : Ne sois pas si bête.

Article paru dans l'édition du 13 janv. 2012 | Par Christian Authier
14 janvier 2012, 09:09   Re : Jeanne, Eva et Ella
Dans la même édition une critique très intéressante du dernier film de Clint Eastwood.

Sur la route de Hoover

Avec le portrait de celui qui créa et dirigea le FBI pendant un demi-siècle, Clint Eastwood radiographie l’Amérique, mais surtout raconte une histoire d’amour. Eblouissant.

Clint Eastwood n’est jamais plus à l’aise qu’avec des personnages travaillés par leurs parts d’ombre, leurs failles, leurs paradoxes, leur complexité. Nul doute qu’Edgar J. Hoover rejoindra Charlie Parker (Bird), Will Munny (Impitoyable) ou Red Stovall (Honkytonk Man) dans la galerie des grandes figures du cinéma eastwoodien. Avec le créateur du FBI, qu’il dirigea de 1924 à 1972, le metteur en scène avait de la matière. Adulé, honni, redouté, y compris par les présidents qu’il servait et sur lesquels il détenait des secrets compromettants, Hoover n’a pas été gâté par la postérité. La mémoire collective retient d’abord l’image d’une sorte de comploteur paranoïaque usant d’écoutes illégales, à la fois mégalomane, tyrannique, anticommuniste viscéral, manipulateur.

Eastwood n’occulte pas cette dimension tout en montrant un Hoover visionnaire, posant notamment les bases de la police scientifique et ayant compris l’importance de la communication à l’heure de la société du spectacle. On suit un jeune homme ambitieux aux prises avec l’activisme révolutionnaire, les gangsters, les criminels. J. Edgar se déploie sur un demi-siècle de l’histoire américaine au gré d’ellipses virtuoses (John Kennedy n’apparaît brièvement qu’en ombres chinoises et que par sa voix) ou de séquences plus longues (l’enlèvement du bébé Lindbergh et le rôle de l’affaire dans la carrière de Hoover). Les peurs et les névroses exposées renvoient aussi à celles de l’Amérique post-onze septembre. Le scénario remarquable de Dustin Lance Black (auteur de Harvey Milk) est magnifié par la mise en scène fluide qui jongle brillamment avec les époques au gré d’allers retours permanents.

Secrets et mensonges

Mais J. Edgar est surtout le portrait intime d’un être et des sentiments qui le lièrent à Clyde Tolson dont il fit le numéro 2 du FBI, l’homme de confiance, l’ami et peut-être l’amant. Eastwood ne tranche pas quant à la dimension sexuelle de leurs relations, ce qui en l’empêche pas de montrer la puissance et la longévité de l’amour (eût-il été platonique) entre eux. Il fait cela à sa manière : pudique, fine, poignante.

Le secret et le mensonge sont au cœur de J. Egdar. Hoover se montre avec des actrices, pose devant les photographes flingue à la main. Plus tard, il réécrit sa vie, la dicte à de dociles scribes. A son habitude, Eastwood fait mine d’adopter le précepte fordien énoncé dans L’Homme qui tua Liberty Valance («Quand la légende dépasse la réalité, il faut imprimer la légende») pour mieux le renverser. Cependant, ne restent que des hypothèses, des scénarios, bref de quoi nourrir l’imaginaire d’un artiste. Les dossiers secrets de Hoover seront consciencieusement détruits à sa mort par sa fidèle secrétaire. Dans le film, un seul subsiste. Il est dans les mains de Clyde Tolson. Là, comme dans Sur la route de Madison, une lettre joue un rôle central. Finalement, son auteur et son destinataire ne sont peut-être pas ceux que Hoover désignait. Un dernier secret. Le plus émouvant.

Pour camper ce «héros» américain, Eastwood a choisi Leonardo DiCaprio et celui-ci se révèle bluffant. Face à lui, Judi Dench en mère castratrice et Armie Hammer en Clyde Tolson tiennent leur rang, mais c’est Naomi Watts qui surprend dans le rôle d’Helen Gandy, secrétaire de Hoover du début à la fin et que celui-ci demanda en mariage après leur troisième sortie. Elle est le personnage le plus attachant de cette œuvre traversée par une mélancolie majestueuse.

La source i c i
14 janvier 2012, 16:23   Re : Jeanne, Eva et Ella
"Dites moi où, en quel pays,
Est Flora, la belle Romaine ;
Archipiada, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine ;
Echo, parlant quand bruit on maine
sur la rivière ou sur l'étang,
Qui eut beauté bien plus qu’humaine ?
Mais où sont les neiges d’antan !

Où est la très sage Heloïs,
Pour qui fut châtré et puis moine
Pierre Esbaillart à Saint-Denis ?
Pour son amour eut cest essoyne.
Semblablement, où est la royne
Qui commanda que Buridan
Fust jetté en ung sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d’antan !

La reine Blanche comme ung lys,
Qui chantait à voix de sirène ;
Berthe au grand pied, Bietris, Allys ;
Harembourges, qui tint le Mayne,
Et Jehanne, la bonne Lorraine,
Qu’Anglais brulèrent à Rouen ;
Où sont-ilz, Vierge souveraine ?…
Mais où sont les neiges d’antan !

Prince, n’enquerrez de sepmaine
Où elles sont, ne de cest an,
Qu’à ce refrain ne vous remaine :
Mais où sont les neiges d’antan ?"

C'est quand même autre chose !
15 janvier 2012, 11:32   Re : Jeanne, Eva et Ella
Cette fois-ci j'y suis allée... au cinéma.
Le film de Clint Eastwood est très intéressant du point de vue de la mise en lumière avec le monde actuel.
Pour Hoover, la position est claire, il n'y a pas de compromis possible, le radicalisme paye comptant, et l'humiliation de celui qui semblerait vouloir nuire à la construction d'un pays fort et en marche pour la défense des valeurs devient inéluctable. Le danger est partout.
Les réalités doivent se muter en légende quand elles ne peuvent pas être comprises par le plus grand nombre en raison des motivations puissantes et irréversibles d'un individu dans toute sa force. C'est pourquoi il vaut mieux être baigné de western à la "Johnny Guitare" que de "Scare face". Le message est clair: nous ne pouvons plus nous permettre de jouer sur des à peu près, en face, eux, ils ne jouent pas, c'est l'individu lui-même et son intégrité qui est en danger. Ouf! C'est courageux de la part de Clint Eastwood par les temps qui courent, même si certains n'ont pas compris et parlent avant tout du caractère paranoïaque de John Edgar Hoover, le film lui, est assez fort pour faire passer sa vérité. Si bien sûr on veut bien y prêter attention.
Au-delà du point de vue, c'est bien la réalité de l'Amérique qui est dépeinte ici. Une Amérique qui ne fait pas dans la dentelle, et un Hoover qui n'hésite pas à dire de McCarthy qu'il n'était qu'un opportuniste. Les valeurs se défendent au prix d'une rage impitoyable ou tombent entre les mains des pilleurs et destructeurs. L'identité ne transige pas. Et même s'il est question de foi, nous échappons heureusement aux questions de guerres religieuses, celles qui bavardent quand d'autres vivent et agissent pour sauver avant tout l'individu. Les dernières paroles de Hoover sont d'ailleurs pour l'individu. Ce qui décidément devient un luxe!
15 janvier 2012, 12:55   Re : Jeanne, Eva et Ella
Et je précise pour certains puisque apparemment il est besoin de le préciser: individu ne veut pas dire atlantiste.
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