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Communiqué n° 1342 : Sur l'offensive contre les classes préparatoires

Communiqué n° 1342, samedi 4 février 2012
Sur l'offensive contre les classes préparatoires

Le parti de l'In-nocence relève avec intérêt l'article de Mme Marie Desplechin dans le journal “Le Monde” à propos des classes préparatoires. Si ce texte est remarquable, ce n'est pas tant pour la qualité de sa description ou l'objectivité de son analyse que pour la place exceptionnelle que lui fait dès sa première page le quotidien du soir, révélant bien nettement à quel point pareil portrait-charge est assumé et doit être considéré comme une arme de guerre pour venir à bout d'une des derniers pôles de qualité relative au sein du paysage éducatif français. On observe là clairement l'aspiration à un but précis, obstinément poursuivi depuis un demi-siècle avec un acharnement fanatique et méticuleux : la destruction du système d’instruction publique fondé sur la recherche de l’excellence et la promotion du mérite par le travail.
On ne peut qu'être d'accord avec le propos général d'un tel communqiué. Je reste cependant interrogatif à propos de la phrase : On observe là clairement l'aspiration à un but précis, obstinément poursuivi depuis un demi-siècle avec un acharnement fanatique et méticuleux.

Cela semble vouloir dire que, depuis 1962, une mécanique infernale est en marche. Je ne vois pas quelle rupture a bien pu avoir lieu cette année-là. Pour moi, le moment du basculement n'est même pas mai 68, c'est plutôt les années 70, avec les créations giscardiennes, notamment le collège unique de 1975.

En 1975, année du collège unique, il y a eu 150000 bacheliers environ, ce qui n'apparaît pas délirant compte-tenu du fait que la classe d'âge de 1957 est forte de 810000 personnes.
Un demi-siècle (en gros) parce que c'est en 1957 (ou 58 ?) qu'a été supprimé l'examen d'entrée en sixième. C'est un pas capital.
« L’examen d’entrée en sixième pour les élèves de l’enseignement public dont les résultats de la dernière année scolaire auront été égaux ou supérieurs à la moyenne » a été supprimé le 23 novembre 1956.

La raison en était simple : il était fort peu sélectif, à peine 10 à 20 % des élèves échouaient.
Non : 10 à 20 % des élèves présentés ! Comme au certificat d'études, les instituteurs n'y présentaient que les élèves qu'ils jugeaient aptes à réussir. Il n'y a qu'à voir le pourcentage d'une classe d'âge qui entrait en sixième avant cette suppression.
Je pense que cela n'avait guère modifié les pratiques : les élèves jugés insuffisants allaient en fin d'études, pas en sixième.
C'est donc par l'opération du Saint Esprit que l'on est passé d'une époque où cinq ou six pour cent d'une classe d'âge suivait le cursus qui menait au baccalauréat à la nôtre.
Non, c'est à mon avis largement à cause du collège unique, c'est donc plus tard.

Il serait intéressant d'avoir des chiffres autour de cette date : nombre de reçus en 1955, 1960, 1964, donc avant que cette réforme n'ait eu un effet.
J'ai recherché les chiffres.

1950 : 33145

1955 : 41433

1960 : 61499

1964 : 86729

Soit un doublement en 15 ans.
"un des derniers pôles de qualité relative". L'adjectif est important, car il faut, je crois, nettement relativiser la valeur des classes préparatoires — moins la valeur de l'enseignement dispensé (quoique...) que le devenir de ces étudiants.

Pendant deux ou trois ans, certes, un certain effort est fourni, qui donne souvent de très bons résultats. Des étudiants modestes deviennent bons, tandis que les bons peuvent espérer toucher l'excellence. Mais tout le problème, c'est l'après. Nos chers préparationnaires, dans leur immense majorité, intègrent des écoles de commerce et d'ingénieur. Bien souvent, ils n'y font rien d'autre que la fête, avec pour objectif principal de se vider le tête des efforts fournis à l'occasion de la préparation des concours, et de trouver un job qui ramène de la thune à la sortie.

Bref, ils (re)deviennent des petits-bourgeois comme les autres, trop contents de devenir des salariés de la BNP ou de l'Oréal. Ils se marient, deviennent des papas et des mamans, achètent un pavillon, disent qu'il faut tolérer toutes sortes de musiques et d'orthographes, etc.

Les concours d'entrée aux grandes écoles, notamment ceux des écoles de commerce et gestion (HEC, ESSEC, etc.) exigent une immense aptitude à réciter le chapelet du politiquement correct. Lors de l'entretien personnel, qui est doté d'un haut coefficient, on exige de vous d'être sympa, d'adorer le multiculturalisme, l'abolition de toutes les frontières, etc. Et nos jeunes élites de s'y lancer à corps perdu, vu qu'ils rêvent d'accéder au bonheur marchand, devenus à la fois vendeurs et consommateurs.

Les classes préparatoires littéraires ont tendance à fermer. Les meilleurs khâgneux préfèrent entrer à HEC qu'à l'ENS. Cependant que les classes préparatoires économiques et commerciales, elles, se portent à merveille.

Bref, cette "élite" n'en est pas une. Les étudiants des classes préparatoires sont, dans l'ensemble, bien sympathiques ; mais je vous assure qu'il n'y a vraiment pas grand-chose à attendre d'eux dans la situation actuelle.
In fine et en pratique, ils l'aggravent, même, et font d'importants contributeurs au Désastre.
A l'X, on ne faisait guère la fête, car il y avait un classement de sortie (je suppose qu'il existe encore).

Au reste, on peut très bien faire la fête et poursuivre des études fort sérieuses, voir les étudiant en médecine avant l'internat.

Je puis vous assurer que les épreuves de l'X ou de médecine (pour ce que j'en sais) ne comportent que fort peu de questions touchant au politiquement correct.
Hélas, quand je vois les jeunes médecins trentenaires d'aujourd'hui, je ne suis guère rassuré. Pas tant à cause de leurs connaissances médicales et techniques, non, mais je suis effrayé de voir ce qu'ils "sont". Il est tout à fait courant, pour une jeune médecin ou avocat, de nos jours, de ne jamais lire le moindre livre, et de ne connaître que la musique de variétés.

Quant à l'X. et le politiquement correct, je ne voudrais pas me contenter de ce seul contre-exemple fâcheux, mais enfin, il est difficile d'ignorer le discours de l'inénarrable "NKM". Enfin, il faudrait demander l'avis de Finkielkraut à ce sujet.

Ce que j'essayais de dire, dans mon précédent billet, c'est que les classes préparatoires et les grandes écoles sont le lieu d'observation privilégié du divorce des études, des connaissances, de la réussite scolaire... et de la culture.

De plus en plus souvent, je remarque que mes amis trentenaires raisonnablement "cultivés" n'ont pas étudié dans ces écoles. Ils se sont construits seuls, dans les salles de concerts ou les bibilothèques ; tandis que la majorité de ceux qui y sont passés sont devenus, à quelques très rares expressions près, des petits-bourgeois (un peu ou beaucoup) mieux rémunérés que les autres. Ils possèdent des écrans plats plus grands, et des collections de DVD de films américains idiots plus fournies. Ils partent plus loin en "vacances". Mais c'est à peu près tout.
Je me demande parfois, et d'autres se le sont demandé avant moi, si le trentenaire, en général, n'est pas partout le même petit-bourgeois qui a tant à prouver en même temps (et c'est là, cette simultanéité, qui rend cette classe d'âge si affairée) à lui-même et aux autres, qu'il existe pour faire son trou dans la vie et le tissu social et qu'il n'existe pour strictement rien d'autre. Il vit le plus souvent comme un mulot dans une énorme roue de fromage: il dévore, s'active et construit sa maison tout en un au sein d'une même matière qu'il considère sans recul, sans le moindre regard extérieur. Le trentenaire est un être méprisable et buté, qui ne lit qu'utilitairement et ne se rend aux concerts que pour s'y montrer ou montrer son/sa partenaire, qui vendrait père et mère pour une promotion, écraserait mille enfants pour placer le sien à l'école maternelle qu'il a convoitée, et fait de toute acquisition de bien l'affaire de sa vie. Le trentenaire est partout un merdeux sans goût qui se fait des plans, s'en pare et n'a point vécu en se figurant que telle est toute la vie. Les femmes, dans cette tranche d'âge, absolument vides de toute humanité, ressemblent aux hommes.
Jack,

Ce que je recherche dans un médecin, c'est sa capacité à me soigner.
Oui Jean-Marc, vous allez directement au sens, c'est entendu.

(Francis Marche, j'ai 33 ans et tombe complètement en dehors de votre trop juste définition : c'est grave, docteur ?)
07 février 2012, 15:15   Pour de rire
Je me demande parfois, et d'autres se le sont demandé avant moi, si le cinquantenaire, en général, n'est pas partout le même petit-bourgeois que taraude sans trêve la légère honte d'être ce qu'il est devenu, car il sait qu'il ne pourra revenir en arrière. Il vit le plus souvent à l'aise, dans des murs de vraie brique, et ne peut s'empêcher de lire, dans la sinistre mascarade qu'est devenu le monde, son propre échec. Il a sué pour rien, le pire est arrivé, et son esprit en faillite croit pouvoir déceler chez ceux qui pourraient être ses enfants (qu'il a oublié d'éduquer) la cause des maux dont il souffre. Maintenant qu'il est arrivé, qu'il a tout loisir de laisser couler, il contemple avec amusement et dédain, du haut de son ridicule promontoire, la cohorte des jeunes gens qui sans le savoir placent leurs pas dans les siens et imitent la geste paternelle. Il connaît un peu de latin, a juste assez de souvenirs de grec pour pouvoir placer, dans une conversation, ravi d'être la preuve vivante que la haute culture n'est pas morte, quelques mots qu'il ne comprend plus. Il déteste les trentenaires avides de promotion, comme il hait tout ce qui lui renvoie au visage sa jeunesse perdue. Lui a vécu. Il connaît la vie, se rappelle la forme des anciens autobus, et le marché des Halles avant que ses semblables n'aient décidé de tout mettre à sac, pour voir. Il a connu les femmes, les vraies, et méprise les idiotes de trente ans qu'il ne pourra pas avoir.
Je ne saurais dire si c'est grave cher Jack, sachez toutefois que je m'inquiète pour vous: à cet âge, vous devriez être comme les autres. Vous aurez à faire en sorte que cette différence vôtre ne soit interprétée par personne comme un retard de développement, ce qui est toujours possible, sachez-le, ensuite, ou plutôt simultanément, vous devez oeuvrer à en faire une avance sur le peloton générationnel duquel vous vous tenez à l'écart. Bref, il vous reste à inventer votre vie. Pas facile.
De cela je n'ai que trop conscience, cher Francis Marche. Et pour le reste, je m'y emploie.
07 février 2012, 16:23   Re : Pour de rire
Stéphane, tout est juste et vrai, ou peu s'en faut. Tout sauf une chose: il n'a pas vécu. Personne n'a vécu assez. Avoir vécu n'existe pas. Seul existe n'avoir pas assez vécu quel que soit son âge.

S'agissant de la sueur: le pire n'est pas le sentiment d'avoir sué pour rien. Le pire, et le plus typique des sentiments qui peuvent visiter le quinqua caricatural que vous nous livrez est celui d'avoir sué pour quelque chose, justement, quelque chose d'acquis comme une promesse de la vie, mais que ce quelque chose ne vaut rien, et que ce rien de valeur est lui-même indépendant de la sueur versée. Le trophée promis par l'existence est en toc. En cela, le quinqua connaît ce privilège inaccessible au trentenaire : celui d'être confronté de plein fouet au comique involontaire de l'existence. De ce fait, et de ce seul fait, le quinqua n'est jamais tout à fait triste.
En cela, le quinqua connaît ce privilège inaccessible au trentenaire : celui d'être confronté de plein fouet au comique involontaire de l'existence.

C'est pour moi invérifiable pour l'instant, mais je vous crois sur parole, cher Francis. Si cela est vrai, avoir cinquante ans est l'âge rêvé pour écrire des romans !

Au reste, c'est de la mauvaise caricature (pléonasme ?), je le reconnais.
07 février 2012, 18:28   Re : Pour de rire
"En cela, le quinqua connaît ce privilège inaccessible au trentenaire : celui d'être confronté de plein fouet au comique involontaire de l'existence."

Sans doute pris par l'action le trentenaire l'oublie peut-être, mais "le plein fouet du comique involontaire de l'existence", c'est au sortir de l'enfance qu'on se le prend et, quelquefois, pour une durée indéterminée. En cela, le "quinquagénat" a plus d'un trait de ressemblance avec une sorte d'adolescence : semblables atouts et semblables handicaps.
Utilisateur anonyme
07 février 2012, 18:48   L'agonie des âges
Je constate parfois, et d'autres l'ont constaté avant moi, que certaines personnes ayant grandi avant les années quatre-vingt, croient ou feignent de croire que le nouveau monde, celui dont la naissance suivit la triste fin de leur jeunesse, ce monde prodigieusement connecté, mondialisé, technicisé, bien davantage encore qu'ils eussent naguère osé le croire, adoucis et leurrés qu'ils étaient par le frein sacré de bien belles chimères, restes de religiosité, de verticalité, archaïsmes de grandes et fortes civilisations qui tissaient encore en leur temps, bien qu'avec peine, l'écheveau ancien des multiples destins, ces gens-là croient ou feignent de croire, dis-je, que le nouveau monde imprime avec autant de force que celui de leur jeunesse des habitudes communes à chaque âge de la vie, alors même qu'on le voit déployer, dans l'incroyable profusion des possibilités de vie qu'il ouvre et qu'il suscite, une insoupçonnable diversité de styles de vie à tout âge, un ramdam généralisé, sans logique ni fondement, dans lequel les âges et les usages se mêlent fiévreusement, danse macabre de monstres sans âge, fantômes irradiés par la (con)fusion des temps. On les appelle geeks, gamers, adulescents, cougars, retraités actifs... et loin d'être marginaux, ces modèles-là, plus atemporels qu'atypiques, sont les avant-gardes de la civilisation de demain.
07 février 2012, 19:03   Re : Pour de rire
"Hélas, quand je vois les jeunes médecins trentenaires d'aujourd'hui, je ne suis guère rassuré. Pas tant à cause de leurs connaissances médicales et techniques, non, mais je suis effrayé de voir ce qu'ils "sont". Il est tout à fait courant, pour une jeune médecin ou avocat, de nos jours, de ne jamais lire le moindre livre, et de ne connaître que la musique de variétés."

Dénué de toute culture, de toute humanité profonde - de celle qui s'apprend aussi dans la musique, dans la littérature et dans la philosophie éternelle -, un homme peut-il être un bon médecin, un bon avocat, un bon juge, un bon professeur ? Tout au plus sera-t-il un bon technicien dans sa spécialité - et ce n'est absolument pas la seule chose qu'on lui demande (surtout pas au médecin).
07 février 2012, 21:47   Re : L'agonie des âges
"On les appelle geeks, gamers, adulescents, cougars, retraités actifs... et loin d'être marginaux, ces modèles-là, plus atemporels qu'atypiques, sont les avant-gardes de la civilisation de demain."

Envisageable, en effet. L'avenir serait donc au "plein fouet du comique involontaire de l'existence"... reconduit en permanence à tout âge de la vie.

Permettez-moi tout de même d'observer que ces pronostics peuvent eux aussi apparaître, pour me servir de vos termes, comme des "adoucissements et des leurres de l'accélérateur sacré de bien belles chimères."
Olivier,

Vous nous écrivez :

Dénué de toute culture, de toute humanité profonde - de celle qui s'apprend aussi dans la musique, dans la littérature et dans la philosophie éternelle -, un homme peut-il être un bon médecin, un bon avocat, un bon juge, un bon professeur ? Tout au plus sera-t-il un bon technicien dans sa spécialité - et ce n'est absolument pas la seule chose qu'on lui demande (surtout pas au médecin).

Lisez "Les Morticoles", de Léon Daudet, et vous reviendrez nous dire ce que vous pensez de ces grands médecins amateurs de musique et pétris de culture.
07 février 2012, 22:20   Re : L'agonie des âges
Il y aurait une grande mauvaise foi, et celle-ci, en un sens, règne déjà, fait mascarade dans la société post-moderne ou post-technologique que nous évoque Léo, à nier les âges de la vie, comme cela se disait il y a fort longtemps. Par exemple, nier la colère sourde qui gronde, la tempête cent fois par jour renouvelée chez le quinquagénaire en lutte contre la vue qui baisse, l'ouïe qui se trouble, nier que les zones érogènes ne sont plus chez lui qu'un souvenir d'enfance, qu'elles se sont retirées comme une marée pour se regrouper dans la génitalité dont elles ont fait leur place forte, nier son hésitation, sa timidité à dévoiler des souvenirs qui n'intéressent plus personne après que les premiers intéressés sont morts et d'autres souvenirs encore qui appartiennent à des mondes disparus ces vingt ou trente dernières années, nier le vertige éprouvé et l'opprobre jeté de soi à soi quand l'on mesure que la personne avec qui l'on désire passer la nuit compte trente deux ans de moins que soi, nier que la mort n'est plus une inquiétude et que sa venue, quoi qu'on en dise, sera accueillie comme le reste et avec une indéniable dose de soulagement à force que le cycle que composent l'appétit vital et sa satiété ait rendu tout son jus pour pas grand chose. Alors les gamers, les geeks de 56 ans ! on mollit ? --- Mais non on accourt ! on a la cagne! on a la trique! on des jeunes mais en moins con, quoi, c'est tout !
Formidable Francis Marche...
La tentation de répondre moi qui balance entre deux âge... est forte.

Dénuée d'humanité, envisagez-vous de décrire la femme qui aurait trente ans.

Celle d'une quarantaine passée s'octroie le droit, quant à elle, d'être insensible devant les petites protégées qui n'auront jamais eu trop à souffrir, et pourront se permettre de jouer les fières en s'arnachant d'hypothèses qui produisent leur petit effet.
Insensible quand celui-là encore, que pourtant vous aviez appris à aimer, que vous pensiez proche, tout à coup se rue avec les autres pour donner le dernier coup de pied, fut-il fatal.
Insensible quand, pudeur oblige parfois, j'ose affirmer ce que, très certainement, quelques heures plus tard, je remettrais en question sereinement.
Insensible lorsque le soir flambant où seule, je ris d'une liberté soudaine du corps, d'un érotisme enfin qui voit le jour dans cet entrebâillement de joie qui n'avait pas vu la lumière depuis si longtemps!
Insensible et n'ayant pas assez vécue, il est vrai, car rien d'autre que d'assumer ici et là, toujours, ce que ce monde ignore, sur quoi il porte sans fin son lourd regard détaché. Mais quoi? Des larmes encore ne suffiront jamais face à l'indifférence endurée jour après jour que j'arrive à ignorer, puisque je connais bien ces éternels refrains qui ont tout tué déjà, et depuis si longtemps que même mon regard atrocement lucide, et monstre de mon corps (ou est-ce le contraire?) a appris à taire, à tourner vers ailleurs, à ne jamais haïr, pour garder sa victoire à un "peut-être car il faut y croire, mais surtout ne rien, jamais leur dire".
08 février 2012, 09:52   Re : L'agonie des âges
Jean-Marc,

Mengele sifflotant du Verdi dans les baraquements d'Auschwitz eut constitué un exemple encore plus probant de la nécessité pour tout médecin de ne jamais lire un poème ni écouter un opéra, surtout pas !
08 février 2012, 10:07   Re : L'agonie des âges
Cher Francis, pitié ! Vous mettriez les larmes aux yeux à la presque octogénaire que, bientôt, je serai !
08 février 2012, 12:17   Extrait d'églogue
LE SATYRE :

[...]

Le désir du baiser fit ma bouche lippue.
En moi le dieu qui rit devient un bouc qui pue
Et ma bouche s'ébrèche et mon rire s'édente ;
L'abeille qui bourdonne en la ruche vivante,
Si j'approche, me pique à son aiguillon d'or ;
La poursuite m’essouffle et la halte m'endort ;
Le lierre m'entrave et la branche m'écarte ;
L'arc se rompt dans ma main sans que la flèche parte
Et le thyrse brandi se brise à mon poing las ;
L'écho qui m'appelait ricane sur mes pas ;
La Dryade s'échappe et la Nymphe s'esquive ;
Le ruisseau vif me raille au rire de l'eau vive
Et les oiseaux moqueurs se posent sur mes cornes
Et ma flûte s'enroue et siffle des airs mornes
Car ses trous sont bouchés et sa tige se fend ;
Mes deux mains, à tâtons, ne prennent que le vent,
Presque aveugle, mes bras, hélas ! ne sont plus faits
Pour étreindre la Nymphe au creux des roseaux frais
Dormant dans l'eau qui passe ou nue au soleil tiède.
L'âge vient ; le soir tombe et je m'assieds ; je cède
Mon thyrse à plus ardent et ma flûte à plus gai.

[...]

Henri de Régnier Eglogue marine In Les jeux rustiques et divins (1897)
08 février 2012, 14:40   Re : L'agonie des âges
Citation
Cassandre
Cher Francis, pitié ! Vous mettriez les larmes aux yeux à la presque octogénaire que, bientôt, je serai !

C'est vrai ça Francis, ayez pitié de nous, de grâce ! Vous êtes presque parvenu à me déprimer ce matin.
N'est-il pas possible de traverser les différents âges de la vie d'une manière sereine et accomplie ?
08 février 2012, 14:43   Re : L'agonie des âges
Ne vous laissez pas abuser par l'apparence du propos du sieur Marche, Mesdames !... C'est un peu comme la lecture de Cioran, ça paraît un peu amer, mais en fait c'est tout à fait stimulant.
08 février 2012, 15:35   Re : L'agonie des âges
Heureux d'apprendre que je vous ai fait presque pleuré de rire chère Fanny. Vous appartenez au signe tutélaire du Tigre, bête qui vieillit en méditant et dont la férocité ne s'amenuise pas, elle s'humanise seulement et recueille dans cette méditation les bribes d'humanité laissées par les hommes pour les leur restituer de son insurpassable force.
08 février 2012, 16:00   Re : L'agonie des âges
Cela pourrait être possible s'il s'agissait d'une traversée, or il ne s'agit d'autre chose: on ne "traverse" pas les âges, on les cumule: l'âge où je suis, l'âge ou vous êtes contiennent tous les âges qui les ont précédés, d'où le chaos de l'âme et l'absence de sérénité, laquelle ne pourrait s'instaurer qu'au prix d'une lessive meurtrière des âges acquis, accumulés, préservés en soi, et préservés de la sorte aussi pour tous les morts qui nous supplient de ne pas encore les rejoindre.
Utilisateur anonyme
08 février 2012, 18:22   Re : L'agonie des âges
Malgré votre touchant et probant discours sur l'immutabilité des âges, Francis, je persiste à croire que, bien que les âges véritables soient en effet rétifs au diktat du métissage des âges que l'on singe ou que l'on désire, la tendance est à l'amenuisement de la différence entre l'âge réel et l'âge rêvé. La chirurgie, le virtuel, le Viagra, l'irresponsabilité, l'oubli du temps et de son épaisseur sont à compter au nombre des fourriers de cette nouvelle déliquescence du temps vécu.
Olivier,

Pourquoi prendre des positions aussi outrées ?

Ne pouvez-vous pas comprendre qu'il y a des choses qui, maintenant, marchent mieux qu'avant ?

Nier que le système de santé se soit amélioré en gagnant en "technicité", c'est indéfendable.
08 février 2012, 18:34   Re : L'agonie des âges
Citation
La chirurgie, le virtuel, le Viagra, l'irresponsabilité, l'oubli du temps et de son épaisseur sont à compter au nombre des fourriers de cette nouvelle déliquescence du temps.

Absolument vrai.

L'oubli du temps et son épaisseur sont caractéristiques de notre époque maudite. J'ai l'impression que les gens vivent une adolescence éternelle.

Drôle de temps où en zappant on constate que des gens pour lesquels on avait eu jusqu'à présent du respect et de la considération n'ont pas honte à 60 ans de passer sous le bistouri d'un chirurgien esthétique.
Qu'est-ce que vous avez contre le Viagra ?

Je sens que la prochaine fois on va critiquer le Polydent...
Utilisateur anonyme
08 février 2012, 18:44   Re : L'agonie des âges
« Permettez-moi tout de même d'observer que ces pronostics peuvent eux aussi apparaître, pour me servir de vos termes, comme des "adoucissements et des leurres de l'accélérateur sacré de bien belles chimères." »

Joliment retourné, Orimont ; mais ce sont en tout cas ces chimères qui hantent l'air du temps et qui, par la fascination qu'elles exercent sur les esprits, gouvernent le cours actuel des choses. L'humeur de l'Histoire, si je puis dire, est peut-être sensible à toutes sortes de chimères...
Citation
Jean-Marc
Olivier,

Pourquoi prendre des positions aussi outrées ?

Ne pouvez-vous pas comprendre qu'il y a des choses qui, maintenant, marchent mieux qu'avant ?

Nier que le système de santé se soit amélioré en gagnant en "technicité", c'est indéfendable.

Les choses sont loin d'être aussi simples, la médecine n'est pas l'horlogerie. "Science sans conscience etc." Médecine sans humanité(s) n'est que boucherie. Vous allez me dire que nous avons besoin de bons bouchers.
08 février 2012, 20:00   Re : L'agonie des âges
J'aime cette pensée de Wells, que les figures d'un homme aux différents âges de sa vie sont en vérité des fragments, des représentations à trois dimensions d'un être à quatre dimensions qui les englobe toutes et demeure fixe et inaltérable.
J'aime cette pensée de Wells, que les figures d'un homme aux différents âges de sa vie sont en vérité des fragments, des représentations à trois dimensions d'un être à quatre dimensions qui les englobe toutes et demeure fixe et inaltérable.


C'est que Wells ne connaissait pas Edgar Faure et les électeurs centristes.
Parfois, même sans rien comprendre, ni à qui s'adressent les mots, il y en a qui réagissent très bien. C'est rassurant, car les malentendus vont par ailleurs bon train.
08 février 2012, 23:03   Pour mettre tout le monde d'accord
» Cela pourrait être possible s'il s'agissait d'une traversée, or il ne s'agit d'autre chose: on ne "traverse" pas les âges, on les cumule: l'âge où je suis, l'âge ou vous êtes contiennent tous les âges qui les ont précédés, d'où le chaos de l'âme et l'absence de sérénité

On n'est pas sage. Pour ma part nous traversons bien quelque chose, mais ce qui est traversé s'amasse en nous sous forme de mémoire, qui est un acquêt non actualisable, tout de même ?
Et la remembrance à ces âges a je ne sais quoi de défraîchissant.
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