Dans un passage de ses mémoires Casanova nous décrit le contenu de ses malles. Quelques habits, des bijoux, des tabatières, un nécessaire de toilette, des jeux de cartes. Somme toute assez peu de choses.
Et l'on s'aperçoit en comparaison de la quantité effroyables d'objets qui nous entourent.
Dans ces mêmes mémoires, les différences entre les peuples d'Europe sont très marquées et Casanova se plaît à souligner les moeurs contrastées des peuples au sein desquels il vit (et des filles qu'il s'offre car ce séducteur payait en fait beaucoup).
A cette époque et même il y a peu encore peu les objets étaient rares, indispensables ou uniques.
Aujourd'hui ils sont tous remplaçables, interchangeables, superflus et jetables. L'ordre marchand a besoin de cette indifférenciation des objets même s'il nous fait croire, avant l'échange, que chaque objet est unique et que nous en avons un besoin urgent.
L'indifférenciation et l'élasticité de substitution qui s'appliquait aux marchandises semble concerner aussi les peuples. Tout nous incite à oublier ce qui faisait la singularité d'un peuple : son histoire, ses ancêtres, ses origines. Ce sont là des rigidités, des archaïsmes, des lourdeurs qui gênent la fluidité des flux (Mercure est le dieu des flux : les flux honnêtes des commerçants, les flux malhonnêtes des voleurs, le dieu psychopompe des flux d'âmes et celui des corps qui voyagent, le dieu des flux d'informations ; nous vivons le règne de Mercure-la-bougeotte).
Et l'ordre politique et social exalte le caractère unique de chaque individu, l'originalité de chaque peuple et de chaque civilisation qu'on doit respecter et ne surtout pas comparer. Pour mieux faire accepter au bout du compte de nous fondre et disparaître dans une masse indifférenciée. Tout peuple est remplaçable mais pour le remplacer on lui fait croire que les autres peuples, riches de leur diversité, lui sont une chance, un avenir, un destin.
On a dépassé l'idée de l'individu matière première jetable et remplaçable pour passer à celle de peuple "input" dans la grande usine mondiale et tout autant jetable et remplaçable par un autre peuple.
La politique du PI consiste à dire : revenons à un monde où tout était plus rare, où les gens étaient moins nombreux, les campagnes plus désertes.
Je crains que l'emprise du mode de pensée économique sur le politique ne soit si profond que rien ne se pourra se faire sans une remise en cause de l'extension indéfinie de l'ordre marchand, de ses valeurs et de ses modes de pensée.
En ce commencement de Carême, Benoît XVI a justement rappelé "le sécularisme et le matérialisme qui réduisent l'être (et les peuples pourrait-on ajouter) à un horizon mondain sans référence à la transcendance".