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Féminisation des études littéraires

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Utilisateur anonyme
26 février 2012, 14:12   Féminisation des études littéraires
Nous évoquions il y a peu (ici) la féminisation des études littéraires. Dans Décivilisation, page 38, il est écrit :

« Il est certain qu'à l'époque féodale, exception faite en partie pour l'ère courtoise, l'équivalent de ce qu'a été pour nous la culture [...] n'était, chez un chevalier ou un guerrier, que médiocrement apprécié par sa famille, par ses pairs ou par son suzerain. Les sociétés aristocratiques et les sociétés militaires (qui sont souvent les mêmes) font peu de cas, au moins dans leur phase ascendante et durant leur acmé, du souci des choses de l'esprit, parmi leurs membres, car elles craignent qu'il ne les dévirilise et ne fasse d'eux de moins bons soldats. De nombreux écrivains anglais, parlant souvent d'expérience, ont comiquement décrit, et parfois douloureusement, le sentiment d'horreur qui frappe les familles de la noblesse ou de la gentry lors de l'apparition en leur sein d'un intellectuel ou d'un artiste [...]. »

Je me demande alors si l’alphabétisation des femmes, conséquence mécanique du processus démocratique, n'implique pas ipso facto la féminisation de la "classe littéraire", comme réalisation d'une vérité anthropologique --- souffrant néanmoins d'insignes exceptions ---, celle qui unit goût pour les choses de l'esprit et douceur naturelle, ou qui oppose intellectualité et virilité ?
Je ne voudrais pas faire mon rabat-joie, ni être impoli, mais je crois que le problème (très chaud) des interrogatives indirectes a été remis sur le tapis très récemment. Retourner comme ça le couteau dans la plaie, tout de même...
Utilisateur anonyme
26 février 2012, 14:25   Re : Féminisation des études littéraires
Merci M. Bily, c'est corrigé. J'ai écrit trop vite...
Oh, c'était juste pour épargner une syncope aux Sensibles qui fréquentent le forum (il m'arrive d'en commettre de pires)...
Le premier troubadour connu fut Guillaume de Poitiers, duc d'Aquitaine, solide guerrier et trousseur de dames. La cour de Poitiers, bien avant Guillaume le Grand, l'aïeul de notre troubadour, cultivait les Arts et les Lettres et ce n'est pas une exception. Les troubadours, dans leur ensemble, sont des chevaliers, seigneurs ou clercs. La littérature médiévale nous parle d'un Tristan, artiste et poète. Non, rien de contradictoire.
Nous connaissons dès le XIIe siècles des trobaritz mais ces femmes-troubadours ne chantent pas sur les mêmes thèmes, je veux dire, en simplifiant beaucoup, que si les hommes chantent la distinction féminine, les femmes chantent le manque d'attention ou la légèreté des hommes (certains troubadours renvoient d'ailleurs le compliment).
Tout se passe dans la littérature occidentale, dont la littérature française est l'essence même, comme si la force renonçait à sa domination pour célébrer la civilisation incarnée par les femmes.
Je ne sais pas si la production éditoriale d'aujourd'hui mérite encore le nom de littérature...
Il n'y a pas de place pour la société cultivée dans le monde petit-bourgeois, ni à côté d'elle, et pas non plus pour ceux qui n'appartiennent pas à cette classe, mais aiment lire, discrètement, tranquillement, à côté, ouvrant un pan de la vie, comme une ouverture sur un extérieur indispensable, vital à toute existence.
Je ne savais pas que la civilisation était incarnée par les femmes, comme vous l'avancez Marc, je ne comprends d'ailleurs pas toujours où vous voulez en venir, mais je ne cherche aucun pouvoir, aucune légitimité, aucun coupable d'une faute quelconque, j'aime écouter la musique, entendre le vent, vivre sans fatalement être acceptée de toute part, par cette globalité vampire, me rapprocher des forts sans pour autant me croire plus forte qu'eux, mais avoir un espace, oui, un espace, car grâce à cet espace où la solitude donne tout d'elle, apprend et fait place à l'écho distrayant d'une manière forte et singulière, je peux vivre au lieu de survivre.
Encore une fois, que la civilisation soit incarnée par les femmes me surprend grandement, j'avais plutôt entendu dire (et par de grands intellectuels cultivés, bien élevés et de haute lignée) que les femmes dérangeaient parce qu'elles étaient la couleur qui fait bifurquer, et que les hommes, eux, voulaient une route toute droite avec une ligne blanche vive le mur!. Ce qui rejoignait les propos selon lesquels la diversité réelle devait disparaître au non de la diversité clamée. Plus de femme, plus de couleur, plus de différence, un monde d'homme sans que puisse exister une femme – qui a peut-être existé par ailleurs mais s'est bien gardée alors, de le crier trop fort. Mais c'est une dispute entre intellectuels, car ce n'est pas moi qui ait avancé cela. par contre, ce que je ressens c'est l'impossibilité d'être une femme tant la violence de ce monde, comme la réalité moderne qu'elle force à accepter sont abjectes pour elle. Ainsi ce que les femmes représentent aujourd'hui n'est pas la femme qui existe, puisque celle-ci n'existe pas pour le petit-bourgeois, comme les personnes cultivées n'existent pas plus à ces yeux, ni les classes différentes, ni l'extérieur.
"ce que je ressens c'est l'impossibilité d'être une femme tant la violence de ce monde, comme la réalité moderne qu'elle force à accepter sont abjectes pour elle"

C'est bien ce que je dis et ce qu'ont exprimé les femmes du XIe siècle. La sédentarisation des cours leur a permis de montrer autre chose que la brutalité quotidienne. La courtoisie dépasse les luttes de pouvoir.
Utilisateur anonyme
26 février 2012, 20:10   Re : Féminisation des études littéraires
Cher Marc, si, comme vous le rappelez, les premiers troubadours « chant[ai]ent la distinction féminine » et « célébr[aient] la civilisation incarnée par les femmes », vous reconnaissez que le goût des lettres est d'abord féminin, puisque ce goût témoigne toujours d'un certain raffinement. Si je puis me permettre d'évoquer cela ici, je crois que Baudelaire a écrit, sans doute dans un accès de fureur et de lyrisme, quelque chose comme « la brute seule bande bien », ce qui équivaut à poser que l'homme distingué, celui qui a de la lecture, n'a point une virilité très affirmée (il légitime là l'instinct anti-artistique des noblesses guerrières qu'évoquait Renaud Camus) ; chose qui n'est peut-être pas à négliger dans l'explication de l'écrasante majorité de femmes dans l'enseignement littéraire.
» je crois que Baudelaire a écrit, sans doute dans un accès de fureur et de lyrisme, quelque chose comme « la brute seule bande bien »

En contre-écho ceci de Jünger que j'avais lu je ne sais plus où, et qui m'avait arrêté, assentant : « La sexualité est ce qu'il y a de plus subtil chez l'homme. »
Guillaume d'Aquitaine avait certainement moins de problèmes d'érection que Baudelaire mais c'est sans importance. Tout est dans la tête et le XIXe siècle était moins spontané que le XIe finissant.
Qu'est-ce que le goût des lettres ? Les femmes se posent en arbitres des élégances verbales et les hommes n'ont qu'à montrer ce dont ils sont capables. Raconter des histoires, le propre du roman moderne, relève du commérage. Sans être désobligeant, je crois que la création n'est pas le souci majeur des productions automnales.
Quant à l'enseignement littéraire, je suis inquiet : la dernière chose à faire, je dis bien la dernière, est de le confier à des femmes. Je ne dis pas cela par misogynie mais parce qu'il est impossible, sous peine de ridicule, d'indiquer, selon mon analyse, la manière d'exalter les modèles que nous admirons. Très rares sont celles qui y parviennent.
Littératures masculines et féminines, qui se distinguent très nettement par leur objet, ne sont pas équivalentes pour la simple raison qu'elles ne sont pas de l'ordre de la réciprocité.
Le plus surprenant dans cette affaire est encore que cette subtilité et cette brutalité puissent dans la sexualité masculine se fondre, celle-ci usant de celle-la pour résoudre la contradiction entre les deux, dont l'homme ainsi se décharge, avant de se laisser doucement et bénéfiquement re-envahir par la première, s'en recharger lentement.
Homère, Socrate et Alcibiade ne devaient pas avoir "le goût des Lettres" pour aller au combat, sans doute... A moins que la philosophie et le poème se trouvent hors du champ littéraire.
Citation
Francis Marche
Le plus surprenant dans cette affaire est encore que cette subtilité et cette brutalité puissent dans la sexualité masculine se fondre, celle-ci usant de celle-la pour résoudre la contradiction entre les deux, dont l'homme ainsi se décharge, avant de se laisser doucement et bénéfiquement re-envahir par la première, s'en recharger lentement.

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