Trouvé dans le Journal intime d'Amiel en date du 10 février 1846 ces lignes d'une désolante modernité :
"Pour l'éloquence ou (plus généralement) pour l'influence, il faut maintenir ouverts les pores magnétiques de communication avec vos semblables. Or quand le parle, je m'isole avec fierté, je ne cherche pas à persuader, mais à terrasser.
C'est une façon antidémocratique, et qui sent son aristocratie."
L'utilisation de concepts politiques pour qualifier une idiosyncrasie : voilà bien un travers de nos démocraties totalitaires. Qualifier politiquement un comportement ou une opinion personnelle ("c'est du fascisme, c'est anti démocratique") c'est penser que le préjugé, la simple opinion personnelle si sotte soit-elle est grosse d'une influence néfaste sur l'opinion publique.
Je ne trouve à cette étrange conception aucune autre explication que celle de la pensée magique. Une opinion non démocratique si marginale si isolée soit-elle suffirait à faire "tourner" notre démocratie d'opinion comme la goutte de citron dans le verre de lait ou comme le mauvais oeil faisant vêler les vaches. Indépendamment de tout prosélytisme politique, activisme militant, discours de fond brasserie, manoeuvres factieuses, début de tentative de putsch.
Comment s'étonner alors que la poursuite judiciaire des mauvaises opinions s'apparente bien plus à la chasse aux sorcière, au rituel incantatoire, à la séance d'exorcisme, à la cérémonie vaudoue, à la relégation dans le désert social du bouc émissaire, aux transes charismatiques qu'à la tentative de dire le droit.