"Moi, je m'emmerde dans une ville où on est tous pareils"
L'ennui prétendu de Madame Aubry est bien une “coquetterie” et sûrement pas un sentiment éprouvé. J'imagine, Madame Aubry, un exemplaire de cadre performant conforme à la norme : affairée, l'esprit rivé au résultat, elle ne connaît pas l'ennui et, moins encore, la mélancolie des oiseaux. Cet ennui, souvent entendu, est une manière de dire que le grand remplacement est un épiphénomène qui ne mérite pas de retenir d'avantage l'attention des gens occupés aux choses sérieuses. L'ennui n'est pas un mal bien grave et la distraction qu'apporte le grand remplacement n'est pas un bien capital. Bref, la diversité, c'est "génial", la cause est entendue, parlons d'autres choses.
Le dandysme des ennuyés insulte trop directement l'Europe d'hier pour livrer les raisons de la conversion des masses démocratiques au remplacisme. Il ne rend pas compte de l'individualisme qui est la monnaie, le nerf de la guerre des remplacistes. Ils sont, en vérité, très minoritaires les individus occidentaux qui vantent ouvertement la diversitude pour elle-même. Celle-ci est plutôt la conséquence embarrassante de la cause chérie des modernes, l'individu. Au nom de l'individu, ils ferment les yeux sur les méfaits de la diversitude et ressassent leur credo : l'individu est libre d'avoir la culture, l'identité collective qu'il veut. L'identité collective est perçue comme un attribut contingent de l'individu. Sous ce jour, la diversitude ne menace pas l'individu. Au contraire, la diversitude manifeste la liberté de choix identitaire des individus et non pas l'emprise des identités collectives sur les individus. L'individualiste ne comprend pas qu'une identité collective ne se choisit pas comme on choisit de manger un jour chinois, le lendemain mexicain, et que, par suite, il convient d'accorder la plus grande attention, ne serait-ce qu'au nom du sacro-saint, en d'autres domaines, principe de précaution, à la préservation, à l'harmonie des identités collectives.
Ceci dit, la coquetterie de Madame Aubry est bien une "coquetterie d'agonisant". Plus que le temps qui passe ("l'horloge des civilisations"), le mal-être constitutif du genre humain explique l'ennui qui le guette. L'homme, qui s'y essaie depuis qu'il est moderne, ne parvient pas à se passer de l'être : l'ennui plombe l'illusion (Alain Eytan). Or, agent subjectif, l'homme ne parvient pas à situer l'être dans la pure objectivité et la présence têtue du monde, de ses lois, l'empêche de le rendre à la pure subjectivité. Cette posture instable, presque impossible, menace l'être. S'il n'y a plus d'être dans l'individu ou dans la société, l'ennui envahit l'un et l'autre. Leur heure a sonné. La durée de vie des civilisations est très variable car tant qu'elles sont, elles n'offrent pas de prise au temps. Pour que l'aiguille de l'horloge des civilisations tourne, il faut que passe le temps. Quand l'aiguille commence à tourner, il est déjà trop tard. Pour les civilisations religieuses, ce qui était rituel devient répétitif : les rituels ne préservent plus du temps et de l'ennui. Le monde n'est plus un sujet qui subordonne l'étant de l'homme à l'être subjectif du monde. Pour les civilisations modernes, l'histoire et ses inventions n'érigent plus l'être du sujet de connaissance en approfondissant l'objectivité du monde. La civilisation incapable de subordonner l'étant à l'être (sujet collectif, sujet surnaturel, sujet individuel) meurt d'ennui.
..........
"Moi, je m'emmerde dans une ville où ON EST TOUS PAREILS"
Qu'une société homogène ennuie Madame Aubry mériterait qu'elle s'explique sur la cause de son ennui. Confond-elle, comme Madame Kosciusko Morizet, société homogène et société de clones : elle se montrerait alors fort peu humaniste à méconnaître ainsi l'originalité absolue de chaque individu. Serait-elle raciste ? Faudrait-il mélanger les races pour varier les caractères ? Aurait-elle l'âme trop grossière pour ne pas profiter des variations, des nuances infinies qu'un peuple, une oeuvre ou un paysage recèlent ? Faut-il nécessairement pour qu'elle ne s'ennuie pas au théâtre trancher le spectacle en numéros ?