[...]
Tel qu'il est présenté, c'est-à-dire sans le moindre crochet, cet article cité a toutes les apparences de commencer comme il commence, c'est-à-dire par une référence à la correspondance de Flaubert.
Or, il n'en est rien. Le début de ce discours de Simon Leys est le suivant : "Jacques Chardonne disait : "Quand vous entendez le bruit des applaudissements, vous savez qu'il est temps de s'en aller." Sage conseil que je vais m'empresser de suivre, mais pas sans avoir au préalable [...] etc"
Ce n'est qu'une page plus loin qu'un paragraphe commence en effet par : "Vers la fin de sa vie, Flaubert écrit [...] etc.", phrase idéale pour donner
l'illusion d'être l'incipit du discours en évacuant toute référence à Chardonne, évidemment.
Le reste de la citation du discours est plus honnête puisque les crochets font leur apparition et signalent les coupures opérées dans le texte. Voici ces coupures :
"(...) il faut savoir de quoi il s'agit, à quel usage c'est destiné et comment on s'en sert. [...] la phrase qui suit immédiatement a été jugée digne d'être sautée : "
Les impostures intellectuelles et les charlataneries à la mode requièrent d'habitude une phraséologie prolixe et un jargon obscur, tandis que les valeurs essentielles peuvent généralement se définir de façon claire et simple."
Deuxième coupure :
"Excusez-moi, Monsieur le Ministre, nous ne sommes pas les employés de l'université, nous sommes l'université." On ne saurait mieux dire. [...]" La suite, passée sous silence : "
Les seuls employés de l'université sont les administrateurs professionnels, et ceux-ci ne "dirigent" pas les universitaires -- ils sont à leur service."
Troisième coupure :
"J'ai compris ce jour-là qu'il était temps de s'en aller. [...]" C'est une parenthèse de Leys qui faisait suite qui a été sautée, en voici la teneur : "
(Récemment, des étudiants payants qui avaient été recalés pour plagiat ont été autorisés à représenter leurs examens ; leur trop scrupuleux examinateur fut, lui, démis de ses fonctions.)"
Quatrième coupure :
"(...) car la vérité n'est pas démocratique, ni l'intelligence, ni la beauté, ni l'amour -ni la grâce de Dieu. [...]
[Je me permets moi-même une coupure dans la coupure en ne recopiant pas les premières phrases non-citées, qui ouvrent une parenthèse sur la question du jansénisme et de la grâce. Cette parenthèse refermée, Leys poursuit en ces termes, qui n'ont pas été reproduits] "
Une éducation vraiment démocratique est une éducation qui forme des hommes capables de défendre et de maintenir la démocratie en politique ; mais, dans son ordre à elle, qui est celui de la culture, elle est implacablement aristocratique et élitiste."
La cinquième coupure est assez longue est, à mon avis, moins caractéristique que les précédentes. Simon Leys y révèle comment, dans une prestigieuse université européenne, le département de philosophie a été supprimé pour des raisons budgétaires.
Ainsi ce texte, dont on ne pourra pas dire qu'il a été caviardé sans y penser, circule-t-il sur Internet, répété à l'envi par tous les sites (je n'en ai pas trouvé un seul où il fût cité intégralement ou avec d'autres coupures), sous le titre :
Discours prononcé le 18 novembre 2005 à l'Université catholique de Louvain lors de la remise à Simon Leys du doctorat honoris causa.