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Anastasie, l'ennui m'anesthésie

Envoyé par Thomas Rhotomago 
[...]

Tel qu'il est présenté, c'est-à-dire sans le moindre crochet, cet article cité a toutes les apparences de commencer comme il commence, c'est-à-dire par une référence à la correspondance de Flaubert.

Or, il n'en est rien. Le début de ce discours de Simon Leys est le suivant : "Jacques Chardonne disait : "Quand vous entendez le bruit des applaudissements, vous savez qu'il est temps de s'en aller." Sage conseil que je vais m'empresser de suivre, mais pas sans avoir au préalable [...] etc"

Ce n'est qu'une page plus loin qu'un paragraphe commence en effet par : "Vers la fin de sa vie, Flaubert écrit [...] etc.", phrase idéale pour donner l'illusion d'être l'incipit du discours en évacuant toute référence à Chardonne, évidemment.

Le reste de la citation du discours est plus honnête puisque les crochets font leur apparition et signalent les coupures opérées dans le texte. Voici ces coupures :

"(...) il faut savoir de quoi il s'agit, à quel usage c'est destiné et comment on s'en sert. [...] la phrase qui suit immédiatement a été jugée digne d'être sautée : "Les impostures intellectuelles et les charlataneries à la mode requièrent d'habitude une phraséologie prolixe et un jargon obscur, tandis que les valeurs essentielles peuvent généralement se définir de façon claire et simple."

Deuxième coupure :

"Excusez-moi, Monsieur le Ministre, nous ne sommes pas les employés de l'université, nous sommes l'université." On ne saurait mieux dire. [...]" La suite, passée sous silence : "Les seuls employés de l'université sont les administrateurs professionnels, et ceux-ci ne "dirigent" pas les universitaires -- ils sont à leur service."

Troisième coupure :

"J'ai compris ce jour-là qu'il était temps de s'en aller. [...]" C'est une parenthèse de Leys qui faisait suite qui a été sautée, en voici la teneur : "(Récemment, des étudiants payants qui avaient été recalés pour plagiat ont été autorisés à représenter leurs examens ; leur trop scrupuleux examinateur fut, lui, démis de ses fonctions.)"

Quatrième coupure :

"(...) car la vérité n'est pas démocratique, ni l'intelligence, ni la beauté, ni l'amour -ni la grâce de Dieu. [...]
[Je me permets moi-même une coupure dans la coupure en ne recopiant pas les premières phrases non-citées, qui ouvrent une parenthèse sur la question du jansénisme et de la grâce. Cette parenthèse refermée, Leys poursuit en ces termes, qui n'ont pas été reproduits] "Une éducation vraiment démocratique est une éducation qui forme des hommes capables de défendre et de maintenir la démocratie en politique ; mais, dans son ordre à elle, qui est celui de la culture, elle est implacablement aristocratique et élitiste."

La cinquième coupure est assez longue est, à mon avis, moins caractéristique que les précédentes. Simon Leys y révèle comment, dans une prestigieuse université européenne, le département de philosophie a été supprimé pour des raisons budgétaires.

Ainsi ce texte, dont on ne pourra pas dire qu'il a été caviardé sans y penser, circule-t-il sur Internet, répété à l'envi par tous les sites (je n'en ai pas trouvé un seul où il fût cité intégralement ou avec d'autres coupures), sous le titre : Discours prononcé le 18 novembre 2005 à l'Université catholique de Louvain lors de la remise à Simon Leys du doctorat honoris causa.
L'université de Pékin, par exemple, durant les quinze premières années de la jeune République chinoise, a joué un rôle de premier plan dans la vie intellectuelle du pays, et cependant, faute de ressources, ses enseignants, qui constituaient une élite exceptionnellement jeune et brillante, restaient parfois plusieurs mois sans toucher leur salaire.

C'est vrai. Et il est remarquable que cela ne soit souligné qu'aujourd'hui. La "jeune République chinoise", la première république de l'histoire de l'Asie orientale, était une entreprise entièrement utopique: le volontariat, intellectuel, militaire, y régnait. Comme, par exemple, dans les premiers jours, les premiers mois d'Israël.
Une éducation vraiment démocratique est une éducation qui forme des hommes capables de défendre et de maintenir la démocratie en politique ; mais, dans son ordre à elle, qui est celui de la culture, elle est implacablement aristocratique et élitiste.

Admirable.
Ce doit être une idée "pour public averti seulement" et c'est pourquoi on a pris soin de ne pas la mettre sous les yeux de lecteurs candides.

(Quant à ce Studio de l'inutilité, je me permets d'en recommander la lecture, même si Henri Michaux ou Roland Barthes n'en sortent pas qu'à leur avantage.)
Utilisateur anonyme
27 mai 2012, 23:35   Re : Anastasie, l'ennui m'anesthésie
Je viens d'en terminer la lecture il y a quelques heures à peine. Les articles sur Michaux, Milosz et Segalen sont passionnants et érudits, tout comme ceux sur la Mer.
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