Contrairement à ce que les pleurnicheries philobanlieusardes affirment, il n'y a pas de “réalité de la banlieue”, ou alors, c'est une réalité purement architecturale, purement urbanistique (ce qui est certes déjà beaucoup et une des préoccupations du parti). La banlieue est dans les têtes, dans les têtes de certains, du moins. C'est une question de modes d'être (ce qui a déjà été dit ici), de “façons d'habiter” mais aussi de façons de nommer. Le nom qu'on donne aux choses a une importance immense, tout comme le rapport au nom des choses (« Moi, j'habite à Balzac... »). Il y a deux types de responsabilités : celle du technocrate qui décide de nommer de manière tout à fait abstraite, administrative, tel ou tel bâtiment tour Balzac ou tour Musset (rien de plus lointain de Balzac qu'une tour qui porte son nom) et celle de celui qui habite. Car il y a chez les banlieusards (ou banlieusards en puissance) ce que je nommerais un
désir de banlieue. A cet égard est particulièrement édifiante une anecdote que m'a racontée Stéphane Bily il y a un mois. Il m'a dit avoir vu, il y a quelques années, dans un village du fin fond de la campagne française un graffiti représentant... des tours ! Il existe chez d'aucuns un
désir de la tour, de garder son mur, la cage d'escalier. C'est un modèle d'organisation sociale comme un autre, après tout (très haut sur l'échelle de la nocence, il est vrai).
Mais là où je veux en venir, c'est que des pans entier du territoire (principalement urbanisés) sont bombardés “banlieue”, labellisés ainsi par ce qu'il faut bien appeler des experts en la matière. Ainsi, le footballeur Lilian Thuram, dont la mère habite Fontainebleau (il lui a acheté une maison là avec son argent de footballeur) a parlé de cette ville comme d'une banlieue. Rien de plus absurde ! Fontainebleau est une ville bourgeoise, de droite à 70 %, illustration typique de la sous-préfecture de province. Mais il est bien évident que cette manière de nommer a une influence décisive sur les réalités sociales, politiques, existentielles. Ainsi, il existe une proportion non négligeable (et certainement croissante) de la population qui est
remplaçante. Le Grand remplacement a lieu, petit à petit : “ethniquement”, si je puis dire et surtout existentiellement (la “face de craie” qui joue au “gangsta”). Nommer Fontainebleau “banlieue”, nommer “banlieue” un endroit qui n'en est pas une, c'est préparer le terrain. Préparer le terrain où les envahisseurs (au sens propre et au sens figuré : les “envahisseurs dans la tête”) sont les meilleurs : celui de la nocence. C'est vraiment de la traîtrise à la France éternelle au sens bien compris.
Un autre exemple accablant : le “film”
Les Kaïra, sorti récemment. (Par parenthèse, j'ai entendu à l'occasion de ladite sortie, sur France Inter (bien fait pour vous, me direz-vous), une émission hallucinante de délire “France d'après” où le réalisateur de ce “film” venait parler d'icelui et, plus particulièrement, de la place du sweat à capuche (
souitakapush) dans son œuvre. Une petite journaliste était fascinée de l'entendre lui expliquer qu'à ses yeux, il n'y avait rien de plus “sex” qu'une “meuf” en
souitakapush...) Donc, ce “film” se déroule à Melun, préfecture de Seine-et-Marne, que les personnages désignent allègrement comme une banlieue. (« Tu comprends, c'est trop la galère, j'vis à Melun, moi. C'est la fin du RER, quoi ! ») Une fois encore, cette manière de nommer prépare le terrain, adapte les esprits, autorise. En gros, c'est : si la banlieue existe, tout est permis !
Et c'est à ce moment de ma démonstration que je vais faire l'éloge du film
Intouchables (du moins en comparaison de ces pauvres
Kaïra). Dans
Intouchables, il n'est pas sans cesse question de banlieue (les médias en ont rajouté, sur ce coup, en bons “collabos” qu'ils sont), en vérité, il y est très peu question de banlieue. Il est question d'un personnage, qui a une histoire individuelle et qui rencontre un autre personnage, qui a une autre histoire. Et le personnage du banlieusard que joue Omar Sy est confronté à l'altérité, à un monde qu'il ne connaît pas, un monde assez “France d'avant”. Certes il y importe du sien mais il en apprend aussi. C'est tout le contraire du mouvement qui consiste à voir de la banlieue partout, à en montrer toujours, à ne parler que de ça, mouvement qui amène certains à n'envisager le monde que sur deux modes : la ville et le reste : la banlieue.
La banlieue est dans la tête.