Jean Birnbaun écrit dans
Le Monde des livres de la semaine dernière :
"C’est un film qui aurait pu déchaîner toute la colère du monde, s’il n’avait été si mal foutu, si nul, Intitulé
Guérillas internationales, ce long-métrage produit au Pakistan décrit la traque d’un écrivain nommé Salman Rushdie. Sans vouloir gâcher le suspense, empressons-nous de dire que tout est bien qui finit bien: grâce à Dieu, le perfide va subir le châtiment qu’il mérite. Mais avant cet «heureux» dénouement, le film révèle l’abominable quotidien de cet écrivain diabolique et alcoolique, qui complote pour ouvrir des discothèques au Pakistan, sous la haute protection de qui vous savez…
En 1990, Salman Rushdie, le vrai, était intervenu pour que ce long-métrage soit autorisé en Grande-Bretagne, alors que le Bureau de certification des films avait commencé par en refuser la diffusion. Afin d’ôter à cette daube toute aura sulfureuse, affirmait l’auteur des
Versets sataniques, il fallait le projeter et montrer «l’ignoble camelote qu’il était». Rushdie raconte cet épisode dans un passage hilarant du livre-événement qu’il publie aujourd’hui, Joseph Anton. Une autobiographie. Il y revient sur la fatwa qui l’a jeté pour longtemps dans la clandestinité.
Ironie du sort, au même moment, un autre navet,
L’Innocence des musulmans, vient raviver l’ire de ceux qui l’avaient condamné à mort. En représailles à sa circulation sur le Net, les mollahs iraniens ont décidé de porter à 3300000 dollars la récompense promise à qui assassinerait Rushdie. Qu’importe, en l’occurrence, que la vidéo en question se situe, pour le style, entre «Benny Hill» et «Groland». Ce film-là, lui, aura été pris au sérieux par ceux qu’il vise de façon aussi haineuse que grotesque.
Ce qui se joue là, dans la réception si différente de deux nanars débiles, c’est moins un clash des civilisations qu’un conflit interne à toute tradition culturelle : la confrontation entre la sensibilité littéraire et la brutalité littérale; la guerre entre, d’un côté, les lumières de l’ironie et, de l’autre, le fanatisme sanglant de la bêtise."
On appréciera le beau mouvement acrobatique du dernier paragraphe qui sert de conclusion à cette "analyse".