Le site du parti de l'In-nocence

Ces calculettes qui nous gouvernent

Envoyé par Pierre Jean Comolli 
Moscovici : "L'Europe sera aimée des peuples si elle offre des perspectives de croissance"

[www.lemonde.fr]
Il est bien entendu que l'Europe sera aimée le jour où elle affirmera son identité ethno-culturelle propre.

Mais les calculettes sont quand même bien utiles, comme dirait M. Jean-Marc (qui se fait rare ici apparemment).

Par exemple, elles permettent de remettre en cause une certaine "doxa" propre à aux mouvements "souverainistes" de droite et de gauche qui font grief à l'Union européenne de ne servir que le marché et de provoquer une privatisation des Etats-providence, en important le modèle américain...

Voici des extraits de l'ouvrage de Christophe Ramaux, L’Etat social. Pour sortir du chaos néolibéral, Mille et une nuits, 2012. L'auteur est un maître de conférences d'économie à l'université Paris 1, membre du comité scientifique d'Attac et a milité à l'extrême gauche (LCR, Parti de Gauche, etc.)

« En France, près de la moitié du revenu des ménages est constitué de prestations et de transferts sociaux, et près d’un tiers des emplois relève du secteur public. Aux Etats-Unis, la retraite publique financée par cotisation occupe une place non négligeable, de même que l’école publique. Le Royaume-Uni, de son côté, est l’un des pays qui possède le système de santé le plus socialisé au monde. »

« L’étendue des dépenses sociales publiques dans les pays de l’OCDE est, par exemple, plus élevée aujourd’hui qu’elle ne l’était au début des années 1980 ».

En France, les collectivités locales « réalisent plus des trois quarts de l’investissement public et ont donc un rôle déterminant dans le volet budgétaire du pilier politique économique. »

« En 2007, les prestations sociales représentaient en moyenne 19,3% du PIB pour les pays de l’OCDE. C’est évidemment non négligeable. Et cela l’est d’autant plus que les prestations sociales sont ici rapportées au PIB lequel intègre aussi l’investissement des entreprises. Dans le revenu des seuls ménages après impôts, leur part est en conséquence plus importante encore. En France, par exemple, le montant total des prestations de protection sociale s’est élevé à près de 600 milliards en 2010, soit plus de 30% du PIB (c’est ce qu’on nomme le taux de redistribution sociale). Mais cela représente 37% du revenu disponible brut ajusté des ménages (c’est ce qu’on nomme le taux de socialisation du revenu), et même environ 45% si on ajoute les autres transferts sociaux en nature qui entrent dans ce revenu. Environ la moitié du revenu des ménages est ainsi socialisé en France. » .

« Selon l’OCDE, la part de l’emploi dans les administrations publiques était, en moyenne, de l’ordre de 15% en 2005, cela sans compter les entreprises publiques, lesquelles pèsent près de 3%. Quant à la contribution des services publics à la production, une étude de l’OCDE estime que la production relevant du domaine public représentait, en moyenne, 20% du PIB en 2005. Sont pris en compte, les biens et les services produits par le secteur public, soit l’essentiel (85%), ainsi que ceux produits par le privé mais financés par les pouvoirs publics (15% correspondant aux consultations à l’hôpital privé, aux médicaments remboursés par la sécurité sociale, aux écoles privées financées sur fonds publics, etc.). Sont en revanche exclus du domaine public, ce qui le minore d’autant, la production des entreprises publiques et l’investissement réalisé par les administrations publiques »

« En France, parmi ceux qui ont un emploi (25,5 millions au total, début 2010), un peu plus de la moitié sont salariés d’entreprises capitalistes, que celles-ci soient petites ou grandes. Il y a bien lieu en ce sens de dire que nous vivons dans une société capitaliste. Près de la moitié des emplois cependant – ce qui est considérable et rarement perçu comme tel- s’exercent dans un autre cadre, soit 10% de non salariés, mais aussi plus d’un quart dans le public et près de 10% dans l’économie sociale (associations, fondations, mutuelles et coopératives) » . Donc, près de 50% des emplois sont extérieurs au monde capitaliste…

« En France, depuis le milieu des années 1980, les dépenses publiques s’élèvent à plus de 50% du PIB »

Etats-Unis :

Emploi : Aux Etats-Unis « le plein-emploi, on le sous-estime souvent de ce côté-ci de l’Atlantique, est au cœur du contrat social américain » . Concernant l’assurance chômage, « la durée totale d’indemnisation a été portée à 99 semaines, décision reconduite en décembre 2010 malgré l’opposition du camp républicain. Quasiment deux ans donc, soit bien plus que celle qui existe dans de nombreux pays d’Europe. »

Santé : « si les Etats-Unis sont les champions du monde de la dépense totale de santé, ce qui est parfaitement connu, ils sont aussi sur le podium, ce qui l’est beaucoup moins, en matière de dépenses publiques de santé par habitant. Le PIB par habitant y étant plus élevé qu’ailleurs, ceci explique en partie cela, mais en partie seulement. La seconde nuance porte sur le fait qu’une part non négligeable des dépenses privées de santé est en fait assumée par le secteur des institutions sans but lucratifs, sous la forme notamment d’hôpitaux privés gérés par des fondations. »

Retraite : « Les Etats-Unis dépensent l’équivalent de 4,3% de leur PIB pour la retraite privée et 6% pour la retraite publique » et « pour une carrière à 1,5 fois le revenu moyen, le taux net de remplacement assuré par le régime obligatoire public y est ainsi de 44,1%, soit bien plus qu’au Royaume-Uni (26 ,8%), en Nouvelle-Zélande (29%) ou au Japon (34,9%) »

Les services publics et l’emploi public : « Les Etats-Unis sont plutôt en dessous de la moyenne, mais ils sont sensiblement au-dessus de l’Allemagne et plus encore que le Japon, lequel ferme la marche » et certains services publics ont une place plus importante aux E-U que dans certains pays européens : « La gestion de l’eau, par exemple, y est essentiellement publique, à l’instar de ce qui existe aux Pays-Bas et en Allemagne. Soit un contraste saisissant avec ce qui prévaut au Royaume-Uni, où elle est totalement déléguée à des opérateurs privés, mais aussi en France, où cette délégation est courante (à hauteur de 71% pour la distribution et de 55% pour l’assainissement) »

Éducation : « Dans le primaire comme dans le secondaire, la part des enfants scolarisés dans le public y est supérieure à la moyenne de l’OCDE, et plus encore à la France, laquelle, tradition de l’enseignement privé sous contrat oblige, est en dessous de la moyenne. (..) Pour l’enseignement supérieur de cycle court, le public occupe une place beaucoup plus importante (84% des effectifs) qu’en moyenne dans l’OCDE (67%) et qu’en France (71%). Pour l’enseignement supérieur de cycle long, cette part passe en deçà de la moyenne de l’OCDE (78%) et de la France (87%) mais elle s’élève tout de même à 72% » .

« La part des prélèvements obligatoires est passée de 29,4% du PIB en 1975 à 34,8% en 2007 en moyenne dans l’OCDE. Une hausse de près d’un quart sur les trois dernières décennies donc, et de près d’un tiers si l’on se réfère à 1965, où cette moyenne s’élevait à 25,5% »

« La dépense publique est quant à elle passée d’environ 40% du PIB en 1975 (35% en 1070) à 44% en 2007 (et 49% en 2009), en moyenne dans l’OCDE »

La hausse sensible de la dépense publique enregistrée dans la seconde moitié des années 1970 ne s’explique pas par un effet de conjoncture alors que « la baisse sensible enregistrée entre 1993 et 2007 » même si elle est due en partie à un effet de conjoncture traduit aussi le fait que « le tournant néolibéral, initié dès le début des années 1980, a progressivement réussi à changer la donne »

« La crise ouverte en 2007(..) s’est traduite par un nouveau bond de la dépense publique en raison à la fois de l’effondrement du PIB et des plans de relance budgétaire massifs mis en œuvre, en particulier dans certains pays. Entre 2007 et 2010, la dépense publique a augmenté de l’ordre de 7 points de PIB en moyenne dans les pays de l’OCDE, retrouvant ainsi son point haut des années 1992-1993 »

Concernant « les dépenses sociales publiques telles qu’elles sont mesurées par l’OCDE. Entre 1980 et 2007, la part de ces dépenses dans le PIB a augmenté, en moyenne, de près de 5 points, soit une hausse de près d’un quart (de 17% à 21%) »

« Si les dépenses sociales publiques représentent de l’ordre de 20% du PIB des pays de l’OCDE, rapportées au seul revenu des ménages elles en représentent une proportion par définition encore plus importante, puisque ce revenu ne représente qu’une partie du PIB »

Cependant ce tableau doit être nuancé en prenant en compte plusieurs facteurs :
- « la hausse observée depuis trente ans résulte, pour une part, du vieillissement de la population »
- « certaines mesures libérales de maîtrise de cette dépense (..) ne produiront leurs effets que dans les années ou les décennies à venir »
- la part des dépenses sociales privées « est passée de l’ordre de 1% duu PIB en 1980 à 3% en 2007 en moyenne dans l’OCDE »
- « la hausse constatée sur longue période n’a pas été continue, ni a fortiori homogène dans tous les pays »

Le taux d’administration publique correspond au rapport de l’emploi public par rapport au nombre d’habitant (indicateur plus fiable, parce que moins lié aux évolutions conjoncturelles de l’emploi privé, que la part de l’emploi public dans l’emploi total). Or, entre 1976 et 2006, à l’exception du Royaume-Uni qui a connu une baisse, « tous les autres pays ont connu une stabilité ou, plus souvent encore, une augmentation, la hausse étant particulièrement sensible en Espagne (de 25 pr.mille en 1976 à 60 pr/m en 2006), au Danemark (de 115 pr/M à 155 pr/M), et dans une moindre mesure, en France (de 75 p/m à 90 p/m) »

Concernant le domaine public, qui inclut la production des administrations publiques et la production financée majoritairement par le public mais réalisée par des acteurs privés (ex. cliniques privées financées par la sécurité sociale ou l’école privée financée en partie par des fonds publics) mais qui exclut les entreprises publiques (comme la RATP ou la SNCF en France) qui ne sont pas financées par prélèvements obligatoires : « aucune tendance générale à la baisse n’est repérable. »

« En France, le développement de la Fonction publique a largement compensé les privatisations. Malgré les privatisations, l’emploi public entendu au sens large regroupe, en France, de l’ordre de 7 millions de salariés, soit plus de 27% de l’emploi total (et 30% de l’emploi salarié). C’est la même proportion qu’en 1982, à l’apogée de la dernière relance keynésienne. (..) » Entre 1980 et fin 2007, la part des effectifs de la Fonction publique « est passée de 17,8% à 20,6% »


Aujourd’hui, « les différents minima sociaux – RSA, Allocation aux adultes handicapés (AAH), minimum vieillesse, etc. – représentent moins de 5% de l’ensemble des dépenses de la protection sociale »

Durant les Trente glorieuses, « non seulement le niveau de vie était plus faible qu’aujourd’hui, mais le taux de pauvreté était beaucoup plus élevé. En 1970, il s’élevait encore à 13,5%, soit près de deux fois plus qu’aujourd’hui (7,2% en 2007) (…). Durant les Trente Glorieuses le taux de chômage était faible, mais la présence des femmes sur le marché du travail l’était aussi (…). Le taux d’emploi global (qui mesure la part de la population qui a effectivement un emploi), et c’est en ce sens que l’on peut dire que nous sommes plus proches du plein-emploi, est plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’était durant les Trente Glorieuses. Pour les 25-54 ans, hommes et femmes confondus, il est sensiblement supérieur en 2008 (83,1%) à ce qu’il était en 1975 (de l’ordre de 76%). Ce n’est qu’aux âges extrêmes, 15-24 ans et 60-69 ans que ce taux a baissé, mais plutôt pour de bonnes raisons : la hausse du niveau de formation pour les jeunes, le droit à la retraite pour les seniors ». Et « les Trente Glorieuses connaissaient aussi des formes d’emploi atypiques : l’une d’elles, les aides-familiaux, était, en particulier, très répandue. »

En tenant compte du fait que 2/3 des jeunes sont en formation, seul un sur douze (8,5%) est au chômage. 87% des emplois salariés sont en CDI et, concernant les jeunes embauchés, au bout de trois ans, près des deux-tiers (63%) sont en CDI.
Il me semble que les nombres sont pour le moins secondaires, du moins en considération de notre expérience vécue. En ce sens, l'option des dirigeants est mauvaise, elle consiste à remplacer (ou Remplacer) la qualité des observations immédiates du "commun sense" par un mirage de scientificité.
En gros, chacun peut constater par lui-même si son "pouvoir d'achat" et sa "qualité de vie" augmente ou non ; en étant provocateur, je dirais que les statistiques n'ont aucune importance. (Au début de l'euro, des statisticiens nous disaient que les prix avaient augmenté de 2 ou 2,5%... Chacun constatait de visu dans ses courses une augmentation de 20 à 30% des prix. Encore aujourd'hui cette réalité n'est pas actée par les stats. Alors...).
Les "sciences sociales", dans la mesure où elles ne forment pas des prédictions non triviales, ne sont guère des sciences et méritent une sérieuse remise en cause.
La démarche opérante serait donc, pour évaluer une situation, non le recours aux statistiques, mais plutôt la mise en commun des expériences et autres observations de terrain (dont les "faits divers"), qualitatives à l'origine, quantitatives lors de leur sommation intelligente au cours de l'échange.
Entre un sociologue et une voyante, lequel est le plus crédible ? Si on s'intéresse aux travaux de Bertrand Méheust sur Alexis Didier et d'autres "somnambules" connus... enfin bref.
Rémi Pellet nous montre à partir de cet exemple bien choisi l'utilité des calculettes comme aide à la compréhension des phénomènes.

Il ne faut pas être esclave des statistiques, il faut les interpréter et, croyez-moi, c'est moins trompeur que le "doigt mouillé".

Prenons le cas des prix.

Loïk nous parle de l'inflation qui aurait suivi l'arrivée de l'euro.

En fait, on voit très bien les hausses, moins les baisses et pas du tout les "sauts qualitatifs" (exemple de saut qualitatif, qui n'a rien à voir avec l'euro : les voitures moyennes de 2012 sont bien plus chères que celles de 1972, mais ce ne sont pas les mêmes voitures). Que le café pris au bar ait augmenté de façon extraordinaire, je ne le conteste pas. Dans le même temps, un repas complet sur mon lieu de travail, compte-tenu de l'effort de l'employeur et alors que mon niveau de revenu ne permet pas de subvention, me revient au coût de deux cafés en terrasse.

Notez aussi que dans la perception de la baisse du pouvoir d'achat interviennent les fameuses "dépenses obligatoires". Quand je vois que les forfaits mobiles et aux abonnements à internet entrent maintenant dans cette catégories, je me dis que les statistiques ont du bon et la perception intuitive des défauts.
Les statistiques ont sans doute du bon, qui le niera ?
Mais la sociologie a prétendu qu'il existait une "coupure épistémologique" forte entre les perceptions du sens commun et l'élaboration vraie qu'elle proposait. Cette prétention à dire le vrai à la place des gens, usant notamment des statistiques contre les observations du sens commun, est un des facteurs de la situation contemporaine. D'où un Grand Remplacement cognitif, celui de l'observation par le chiffre.
Il me semble que si une telle "coupure épistémologique" existe, elle s'explique par le fait que chaque épistémé respective relève de niveaux d'observation distincts, et prend pour objet d'étude des phénomènes relevant d'un niveau d'organisation du réel différent : le "psychologique" n'est pas plus à confondre avec le "sociologique", que, disons, le physique avec le biologique.
La statistique est dans cette optique aussi pertinente pour l'individu que la notion d'évolution, par exemple, l'est pour la science s'occupant de décrire la structure atomique de la matière, où les espèces vivantes n'existent "pas encore".
Aussi aucun plan de découpage de la réalité en niveaux d'intégration spécifiques n'est plus"vrai" qu'un autre, et n'est à considérer à l'exclusivité des autres : simplement, le passage d'un niveau à un autre entraîne l'émergence de propriétés nouvelles qui ne sont jamais trivialement réductibles au niveau précédent, et interprétable en des termes y correspondant précisément.
Cela est à rapprocher d'ailleurs de la disparité qu'on peut constater entre les comportements "collectifs" propres à des groupes d'hommes, caractérisés par exemple par l'appartenance à certaine "civilisation", entre autres, et tels comportements individuels qui peuvent varier considérablement, jusqu'à contredire les premiers.
simplement, le passage d'un niveau à un autre entraîne l'émergence de propriétés nouvelles qui ne sont jamais trivialement réductibles au niveau précédent, et interprétable en des termes y correspondant précisément

Mais c'est le principe de la mécanique quantique que vous nous expliquez-là cher Alain (tant celui qui régit la production de l'énergie quantique que celui, semblable au premier, de la rupture avec l'observation des phénomènes de la mécanique classique) !
Je ne crois pas que ce soit seulement le cas, cher Francis : permettez-moi de citer un mien passage lors d'une discussion avec Didier : « Un mot sur ces "niveaux d'organisation" du réel, pour préciser ce que j'entendais par là : ils correspondent plus ou moins au découpage qu'opèrent les diverses disciplines à partir desquelles les phénomènes à expliquer sont observés et décrits, découpant ainsi le monde en plans successifs de niveaux de complexité, lesquels consistent en fait en l'émergence de "propriétés" inédites n'existant tout simplement pas en tant que telles au niveau inférieur à celui considéré : par exemple, l'émergence de propriétés chimiques des molécules par rapport aux propriétés physiques des atomes, de propriétés biologiques des cellules vivantes par rapport aux propriétés des molécules, de propriétés physiologiques et de différentiation des organismes nouvelles par rapport aux propriétés cellulaires, puis psychologiques, puis sociologiques... »
15 octobre 2012, 02:11   rhyzomes ?
C'est tout le problème d'un mille-feuille irrégulier: dans chacun de ses plans ou plis, émergent des pics, des irrégularités ou singularités qui appellent, afin de composer à eux seuls un plan nouveau et supérieur et être ainsi rendus lisibles, la conception d'un plancher de degré supérieur où ces pics seront des îles, des pierres de gué nouvelles définissant le plan nouveau, etc. Mais la complexité du système provient du fait que l'objet mille-feuille étant borné (la sphère terrestre où évolue l'humanité est bornée), il faut que ces différents plans communiquent entre eux. Au Japon, se trouvent des parcs de stationnement de véhicules sans rampes ni ascenseurs: les plans de stationnement y sont superposés mais communiquent néanmoins discrètement et escheriennement: on roule et l'on passe d'un plan à l'autre insensiblement. Le visible n'est en rien uniforme (les couleurs du décor peuvent varier d'un plan à l'autre) cependant que l'objet dont la régularité des plans n'a d'autre mobile et nécessité que les singularités qui les lient, apparaît homogène.
15 octobre 2012, 04:01   Re : pâtisserie russe ?
Mille-feuilles si vous voulez, mais russe : chaque niveau spécifique contient le niveau précédent, mais n'en peut être simplement dérivé par addition des parties le constituant — ces "parties" sont ce précédent niveau, lequel est le produit de la complexification d'un plan encore plus élémentaire, etc. — ce qui veut dire qu'il y a à chaque passage de niveau saut qualitatif qui produit véritablement des phénomènes inédits jusque-là et intrinsèques au niveau considéré, et en principe exclut la possibilité d'un "réductionnisme fort".
Henri Atlan propose dans son À tort et à raison une illustration très claire de la chose : « Au niveau atomique, on sépare — au moins conceptuellement — les atomes les uns des autres par leur structure nucléaire et électronique pour les individualiser et les identifier en les différenciant. Mais, lorsqu'on passe au niveau moléculaire, il s'agit alors de réunir ces mêmes atomes par des liaisons par lesquelles ils mettent en commun quelque chose de leur structure. Ainsi, dans une liaison de covalence entre deux atomes, une propriété de leur couche électronique périphérique qui les différenciait sert maintenant à les réunir. Ces propriétés de séparation/réunion des atomes en molécules sont à l'origine des propriétés d’affinité chimique des molécules qui constituent par rapport aux propriétés atomiques une émergence de propriétés nouvelles, qu'on ne peut observer qu'au niveau du tout, la molécule, alors qu'elles sont évidemment une conséquence des propriétés des parties, les atomes. »

Du reste, il faut bien que ces plans successifs communiquent entre eux, puisque d'une certaine façon le résultat de cette communication précède, à vue de nez si j'ose dire, l'opération invasive du découpage : il s'agit par exemple d'un seul organisme vivant tel que vous et moi, qui est aussi bien objet physique, biologique, psychologique, politique, social, et plus si affinités, etc.
15 octobre 2012, 04:25   Snake and ladders ?
Résumons: les différents plans communiquent pour constituer un être méta-articulé décomposable en ses différents plans et blocs ou couches de plans, cependant que les liens de cette harmonie, ses piliers au sens structural, celui des architectes, ne sont autres que les éléments de la différenciation et de l'irrégularité qui séparent les micro-parties que constituent les plans élémentaires et qui génèrent entre elles un désordre qui ne se résout que dans le plan supérieur et l'articulation supérieure des blocs de plans. Autrement dit l'agent de cohésion de cet être, ses lynchpins, ne sont autres que l'accident, le conflit interplan qui se joue entre la force ou l'accident qui sépare dans le plan inférieur et la force qui s'empare de l'accident pour unir dans le plan supérieur. Et l'édifice est visitable par compénétration douce des différents plans, qui permet la translation verticale des corps dans cet ensemble, navigation insensible dans cette cage complexe où l'on s'interdit les voies structurales de l'accident qui soude chaque plan à ses homologues inférieur et supérieur. Cette incompressible voie de navigation, condamnée à contourner les obstacles et à rendre sa progression insensible et mystérieuse d'un plan à l'autre, empruntant ainsi la voie des plans, pourrait être le temps, en effet.
15 octobre 2012, 06:38   Re : Snake and ladders ?
Comme disait le professeur Louis Constant de l'Université de Perpignan en conclusion d'une journée d'étude consacrée à l'épistémologie juridique, "On n'a jamais pédalé si vite que sur un vélo sans chaîne" (sans selle aussi, mais c'est un autre problème)
15 octobre 2012, 13:02   Re : Snake and ladders ?
Mais enfin quel petit vélo sans chaîne et sans selle Rémi ?
15 octobre 2012, 13:17   Re : Snake and ladders ?
Ben, Jean-Marche, le vélo qui est garé au Japon dans le parc de stationnement de véhicules sans rampes ni ascenseurs, évidemment !
15 octobre 2012, 13:22   Re : Snake and ladders ?
C'est bien ce que je pensais: vous ne savez pas de quoi vous parlez mais vous en parlez quand même. Et les jeux sur les noms des personnes sont proscrits ici. La règle de l'orthonymie suppose le respect du nom, faute duquel nous devrons restaurer les pseudonymes.
La question de l'émergence de propriétés nouvelles pose d'autres questions. S'agit-il de propriétés nouvelles, une rupture absolue pour le coup, ou de l'actualisation de propriétés implicites ?
Un exemple : les particules se meuvent ; les voitures aussi. La propriété "mouvement" existe dès le niveau micro. De même, la "conscience" n'existe-t-elle pas déjà dans ses formes élémentaires au niveau micro (par ex. une particules sait la présence d'autres particules) ; la conscience macro (la nôtre) n'étant alors que l'élaboration de l'implicite du niveau micro (c'était la thèse baroque de Ruyer). (Freud considérant qu'éros et thanatos existe au niveau des particules, cf. forces de liaison et forces de désagrégation, dans la continuité de Schopenhauer. On a alors une Volonté qui se revêt de différentes formes à différents niveaux.)
Loïk, on n'aura jamais fini de se poser des questions ; je vous laisse l'exemple du mouvement qu'ont en commun la particule et la voiture (il fallait y penser), mais s'agissant de la conscience comme propriété émergente de la matière parvenue à un certain degré de complexité, son attribution, même implicite, à un être tel que la particule ne peut se faire qu'en évidant si complètement ce noble mot de toute signification, qu'à ce compte nous aurons vite fait d'en douer aussi la théière, par exemple, qui d'une certaine façon, si l'on y pense sans préjugés, interagit avec son milieu. Et puis, toute théière est elle aussi composée de particules.


» Cette incompressible voie de navigation, condamnée à contourner les obstacles et à rendre sa progression insensible et mystérieuse d'un plan à l'autre, empruntant ainsi la voie des plans, pourrait être le temps, en effet

Mais le temps est impliqué dans absolument tous les processus dont nous pouvons avoir connaissance, je ne sache rien qui se produise hors de lui, enfin pour ce qui nous concerne, que ce soit un effet complexe, émergent, hilarant, ou parfaitement plat et répétitif, non ?
Quoi qu'il en soit, même si l'on prenait de vous un cliché et vous représentait ainsi en instantané, supposément dégagé du devenir et figé dans l'espace sans le mouvement ("le temps est le nombre du mouvement"), l'on vous aura toujours en entier, tout déjà constitué de ses parties et prêt à l'emploi : ainsi il semble plutôt que l'action des couches d'inclusion successives des niveaux d’organisation sont parfaitement synchrones, en ce sens : vous ne fûtes pas, vous Francis, d'abord un petit quark, puis un atome, une molécule, une cellule, un être pluricellulaire, etc.
Cher Alain Eytan, la notion de "propriété émergente" est assez magique. Elle ne va pas de soi.
Vous avez raison de parler de la conscience ; si on se passe le film de l'émergence de la conscience, que voit-on ? Les grands singes ont sans doute une conscience ; les mammifères aussi. Et si on recule ? A quel moment surgit-elle ?
Si on suppose que la conscience est une "propriété émergente", on dira qu'elle surgit à un certain niveau de complexité. Lequel ? Est-il définissable ? S'il ne l'est pas, parler de "propriété émergente" et de "complexité" c'est à peu près aussi explicatif que parler de "propriétés dormitives de l'opium". On met un mot, et on pense avoir une explication.
Ruyer notait que les particules élémentaires s'évitent, interagissent ; n'est-ce pas le signe de la proto-conscience ? Nous ne disposons pas de moyen de savoir si les protons sont conscients ; J.C. Carrière raconte dans La controverse de Valladolid que les autorités ecclésiastiques, sans moyens de communiquer avec les Indiens, se demandaient si ils étaient conscients. (On sait que l'épisode de cette controverse est largement mythique, mais bref). Déceler de la conscience "de l'extérieur" demeure un exercice assez incertain.
18 octobre 2012, 00:17   Les objets ont-ils une âme ?
Je crois que la "propriété émergente" n'a rien de magique dès lors qu'elle décrit correctement l'apparition d'un ensemble de propriétés et de phénomènes qu'on ne pouvait observer au niveau précédent, très simplement parce que ce qui est la propriété du tout est inexistant avant que ce tout n'existe comme tel : pour reprendre l'exemple donné précédemment, l'affinité chimique des molécules n'existe pas quand on étudie séparément les atomes, parce qu'à ce niveau-là il n'y pas encore de molécules, qui sont comme de juste composées d'atomes, et qu'il semble bien, c'est là le point central, que la connaissance des propriétés des parties ne suffit pas à la compréhension des propriétés du tout.
De même qu’il existe des notions en biologie, et ce sont même des concepts-clés me semble-t-il, comme la sexualité, l’adaptation, l’évolution, l’espèce, etc., qui ne veulent stricto sensu rien dire dans le langage de la physique et de la chimie, parce que ces concepts s’appliquent à des organismes vivants déjà constitués, ou des ensemble d’organismes, bien que les processus biologiques soient envisagés comme des processus physico-chimiques.
De même qu’il existe des processus et contenus mentaux subjectifs, dont la conscience, qui sont conçus comme le "produit" d'un système cellulaire infiniment complexe, le cerveau, dont on ne dispose même pas, et loin s’en faut je crois, de modèle complet, qui ne sont pas, sans réel abus de langage, attribuables aux éléments de ce même système, neurones, neurotransmetteurs ou ce que vous voudrez : est-il vraiment indispensable de se mettre en peine de démontrer pourquoi l'on se heurte à une incompréhension dirimante, dès lors qu'on envisage sérieusement qu'une cellule nerveuse pourrait avoir, après tout, des ambitions dans la vie, une conception du monde, des idées morales et une capacité réflexive qui se représente elle-même comme objet pour le sujet qui effectue ce retour sur soi ?

Et peut-être est-ce là précisément que vous et votre Ruyer rejoignez la "pensée magique", ou même religieuse, dans un sens large : à vouloir trancher le lien qui paraît exister entre des organisations naturelles complexes comme le cerveau et ce qui est de l'ordre de la représentation mentale subjective, vous promouvez, Loïk, un dualisme corps-esprit pur et dur : alors, en effet, pourquoi une particule, ou n'importe quoi, ma foi, n'aurait-elle pas une forme de "proto-conscience", et ne participerait-elle pas d'une sorte d'âme universelle, un peu comme tous les êtres particuliers participeraient, qui plus, qui moins, de l’Être ?
Allez savoir.

Je laisse sur la question de l'apparition de la conscience le dernier mot à Bergson, que j'avais déjà cité à ce propos : « Dans toute l'étendue du règne animal, disions-nous, la conscience apparaît comme proportionnelle à la puissance de choix dont l'être vivant dispose. Elle éclaire la zone de virtualités qui entoure l'acte. Elle mesure l'écart entre ce qui se fait et ce qui pourrait se faire. À l'envisager du dehors, on pourrait donc la prendre pour un simple auxiliaire de l'action, pour une lumière que l'action allume, étincelle fugitive qui jaillirait du frottement de l'action réelle contre les actions possibles. » (L'Évolution créatrice)
La conscience est un problème.
Si vous observez du dehors une structure cérébrale, rien ne vous dit qu'elle est dotée d'une subjectivité quelconque.
Vous déduisez - par expérience propre - que telle personne dispose d'une conscience, ou bien que tel système complexe possède une intériorité.
Mais à partir de quoi et de quand un système est décrété "doté de conscience" ? L'émergence absolue suppose une coupure absolue ; y a-t-il des critères ? Un organe ? Une structure nerveuse "produisant" en un déclic magique l'apparition de la conscience ? Existe-t-il une unité de mesure de la complexité ? Et si c'est la complexité qui produit par magie la conscience, une multinationale n'a-t-elle pas non plus de la conscience, ou la Terre ? Pourquoi seule la complexité du système nerveux ?

L'hypothèse qu'un être complexe est doté de conscience ne s'appuie pas sur les "propriétés émergentes" que vous décrétez ; elle s'appuie sur votre expérience subjective de posséder un Moi. Mais l'observation de systèmes avec lesquels vous ne pourriez pas vous identifier ni communiquer ne permettraient pas de trancher pour savoir s'ils disposent - ou non - d'une intériorité.

Sans doute cela a-t-il déjà été mieux dit, par exemple ici :

"De plus, ce raisonnement (émergentiste) se fonde sur une illusion. Une illusion qui n'est que trop répandue et dont on ne parle jamais tant nous avons tendance à traduire les phénomènes psychologiques en termes de neuro-anatomie et de chimie. Nous ne pouvons connaître dans le système nerveux que ce que nous connaissons d'abord du comportement. Même si nous avions un schéma électrique du système nerveux, nous ne serions toujours pas en mesure de répondre à notre question fondamentale. Même si nous connaissions les liens de chaque fil chatouilleux du moindre axone et de la moindre dendrite de chacune des espèces qui ait jamais existé, ainsi que tous les transmetteurs neuronaux et leurs variantes dans les milliards de synapses de chacun des cerveaux qui ait jamais existé, nous ne pourrions toujours pas, absolument pas savoir, en partant de la connaissance de ce seul cerveau, si celui-ci contient une conscience comme la nôtre. Il faut d'abord que nous partions d'en haut, de quelque conception de ce qu'est la conscience, de ce qu'est notre propre introspection. Nous devons nous en assurer, avant de pénétrer dans le système nerveux et de parler de sa neurologie"
Source : [www.julianjaynes.org]

(J'ignore qui est Julian Jaynes, même s'il a donné naissance à une société américaine semble-t-il active.)

Par ailleurs si vous vous êtes intéressé à Searle (cf. Le Mystère de la conscience, Odile Jacob), il affirme très nettement que le dualisme est bel et bien la théorie qui semble redevenir crédible face aux difficultés soulevées par les rapports cerveau/conscience, et pas seulement théorisé par Eccles.
Cher Alain Eytan, vous écrivez :
"pour reprendre l'exemple donné précédemment, l'affinité chimique des molécules n'existe pas quand on étudie séparément les atomes, parce qu'à ce niveau-là il n'y pas encore de molécules, qui sont comme de juste composées d'atomes, et qu'il semble bien, c'est là le point central, que la connaissance des propriétés des parties ne suffit pas à la compréhension des propriétés du tout."

Les forces en jeu au niveau élémentaire sont nombreuses et déjà très complexes ; elles ont un nombre assez large de propriétés comme le mouvement, la capacité de "sentir" d'autres objets élémentaires et d'interagir avec eux.
Les affinités chimiques sont des liaisons ; les liaisons existent déjà à l'intérieur des atomes.
Donc, il n'y a rien de nouveau à ce niveau.
Si les subparticules étaient des boules de billards, oui, on pourrait parler d'émergence ; mais avec des particules déjà-toujours complexes, il n'y a pas forcément un "supplément de complexité" à un niveau supérieur...

Vous pourrez me donner des exemples plus probants, la sexualité, ou les institutions internationales... Effectivement, il y a des objets qui n'existent pas au niveau n-1 et se manifestent au niveau n.
Ou plutôt : il y a des descriptions possibles d'objets, parce que l'on reconnaît ces objets - on les nomme, etc. Mais si on est disons nominalistes, ces objets ne sont pas "objectifs". Ils existent dans notre conscience. La Gare St Lazare n'existe pas ; il y a des bâtiments, des halls, des voies de chemins de fer, "la Gare St Lazare" n'est qu'une construction verbale.
Alors les niveaux "atomiques" puis "cellulaires" puis "sociaux", quel est leur statut ? S'agit-il de réalités ou de constructions sociales, ou nominales comme "la Gare St Lazare" ? (Une foule, une société, sont des objets verbaux, donc parler du niveau social comme on parle du niveau subatomique est un abus de langage. Qu'en est-il des hommes ? Je ne sais pas ; peut-être faut-il les voir comme des agrégats mentaux-et-physiques, à la façon de Hume, et considérer que les notions comme individu, appliqué aux humain, est un mot commode et trompeur...).

(Mais je suis conscient de ne pas répondre à votre message sur les "objets inexistants" à un niveau, et existants à un autre niveau. Ce raisonnement me laisse perplexe. Déjà je trouve assez insatisfaisant d'acter ces niveaux sans pouvoir les justifier ; leur existence n'est qu'un constat, sans explication aucune...).
Et encore, trouvé sur [www.loria.fr]

3) Rétrodiction ou explication
"Une propriété émergente est une propriété de haut niveau, qui ne peut pas être déduite ou expliquée à partir des propriétés des entités de bas niveau". Cette définition est troublante ; la raison profonde de ce trouble vient de "à partir des propriétés des entités de bas niveau". Les réductionnistes ne nient pas que les entités interagissent; ils passent beaucoup de temps à essayer de comprendre et analyser ces interactions. Si par "propriétés", on entend propriété dans le sens logique (les interactions entre les entités de bas niveau ne font alors pas partie des propriétés des ces entités!), alors, évidemment, il existe des propriétés émergentes, et alors ? Dans ce sens, la pression et le volume sont émergents.
D'un autre côté, si nous comprenons par "propriétés" à la fois les propriétés et les relations des entités de bas niveau, alors la notion d'émergence a une implication majeure: l'existence d'une propriété émergente, dans ce sens très fort, signifierait que le réductionnisme universel est faux. Enfin, il semble difficile de voir comment on pourrait établir l'assertion que "X est une propriété émergente (dans le sens fort)". Au mieux on pourrait dire "X pourrait être émergent, dans la mesure ou nous n'avons pour l'instant pas été capable de déduire X à partir des propriétés de bas niveau Y".
Quelqu'un connaîtrait-il un bon candidat pour cette sorte d'émergence ?
» Si vous observez du dehors une structure cérébrale, rien ne vous dit qu'elle est dotée d'une subjectivité quelconque

Comment vous dire, cher Loïk... j'ai préféré abandonné depuis quelque temps déjà l'hypothèse du solipsisme idéaliste intégral, parce qu'elle est en fin de compte peu convaincante, inutile, et stérile.
Les très étroites solidarités, concomitances, interactions ou coïncidences entre le système nerveux central et les états mentaux subjectifs sont de l'ordre de l’expérience bien corroborée, et l'on n'a jamais, à ma connaissance, pris en flagrant délit certain témoignage probant d'une "vie psychique" détachée de son supposé support matériel, le cerveau.
Libre à vous de ne pas vous contenter de cela et de vouloir douter absolument de tout, mais je n'en vois pas très bien la nécessité et la finalité ; réintégrée dans son élément naturel, c'est à dire un organisme vivant plus ou moins évolué, gageons que la structure cérébrale en question pourra me donner certain témoignage d'une "subjectivité" : si je passais à côté d'une belle jeune femme, je pourrais noter la modification qui s'opère en elle du fait qu'elle m'a vu ; ou si j'entrais dans le champ de perception d'un chat craintif ou affamé, ou même d'un poisson d'argent, soudain alerté parce que je viens d'allumer la lumière dans la cuisine, et filant illico dans un coin.
Je suis en revanche résolument persuadé que l'électron, le linoléum, une chaudière ou ma statue de bronze figurant un Atlas s'en foutent complètement, de ma présence, n'ont aucune "intériorité" qui pourrait prendre acte d'un extérieur quel qu'il soit, en termes de "représentation".
Cet auteur que vous citez et qui se désespère tellement de ne pouvoir établir un lien entre la machinerie cérébrale et les états mentaux devra se contenter de cela, ou cheminer dans la vie avec la pensée, peut-être flatteuse, qu'il est le seul être pensant au monde.
Cher Alain Eytan, ce que je voulais mettre en exergue ci-dessus c'étaient les difficultés de l'hypothèse des propriétés émergentes, et non bifurquer vers les problèmes du solipsisme, qui ne me convainc guère non plus.

L'hypothèse des propriétés émergentes vous semble - si j'ai bien compris - "évidente" parce que son opposée, la continuité d'une forme de conscience allant de l'élémentaire au complexe, vous paraît aberrante. Peut-être que les deux hypothèses sont fausses, et que l'émergence présente des difficultés dirimantes - notamment celle de mettre un mot sur un problème, croyant résoudre ainsi le problème.

Par ailleurs vous écrivez : "on n'a jamais, à ma connaissance, pris en flagrant délit certain témoignage probant d'une "vie psychique" détachée de son supposé support matériel, le cerveau."

Remarquez que si l'on en croit le témoignage de Pamela Reynolds, sujet d'une opération du cerveau et maintenue en coma artificiel durant toute l'opération, un témoignage d'une brève dé-corrélation du cerveau et de la conscience semble bien avoir été enregistré... ou du moins, si ce n'est pas cela, cela y ressemble.
Les phénomènes conscients n'ont rien d'évident, je crois, dès lors que vous tentez d'en rendre compte, de les expliquer et de les reproduire, vous en serez d'accord. Il y a seulement que le dualisme me paraît être une "solution" très insatisfaisante : il postule l'existence d'une substance supplémentaire non physique, donc non matérielle, sans pouvoir expliquer du tout ce qu'elle est (c'est quoi, un principe immatériel agissant ??), d'abord, puis comment celle-ci peut servir de support au états mentaux, alors que le cerveau ne le pourrait pas ; dans le registre du remplacement de ce qui est un peu connu (la matière et ses propriétés, émergentes de préférence) par ce qui est absolument inconnu et énigmatique, c'est inégalable.
Mon cher Pr Leibowitz, qui n'était pas seulement un théologien irascible, mais également un biochimiste estimé, et fort requis par le "problème psychophysique", prétendait que nous butions là contre un obstacle insurmontable passant les limites de la compréhension humaine, l'un de ces mystères dont on ne peut que tenter d'ébaucher l'interrogation qu'ils suscitent, comme la nature du temps, de la mort, le "pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien" etc., toutes questions qui semblent en effet borner quelque peu nos horizons... après tout c'est possible.
Cela me rappelle l'argument de Thomas Nagel, qui tient qu'en voulant expliquer les phénomènes conscients par des théories relevant de ce qu'il appelle 'la conception physique de l'objectivité", nous commettions une sorte d'aporie, parce que dès lors qu'on entend rendre compte de ce qui ne peut que se manifester de façon subjective pour être, par une théorie explicative qui doit être conforme aux critères de l'objectivité physique, nous escamotons purement et simplement l'objet de la recherche en le voulant étudier. Une sorte de principe d'incertitude de la philosophie de l'esprit.
Il me semble effectivement qu'à ce stade, en ce qui concerne le sujet de la conscience, il me soit difficile d'aller plus loin !

Nous avons dérivé à partir de la sociologie et de ses quantifications. Si du moins on accorde quelque crédit à ce modèle selon lequel "les sociétés" forment des objets avec leurs lois spécifiques, quelle serait la place des "faits divers" dans un tel paysage ? Le principal reproche à l'encontre de la sociologie ici est me semble-t-il son inconnaissance du vécu qualitatif le plus concret, justement au nom de sa modélisation et de sa prétention scientifique.

Cher Alain Eytan, en validant l'objet de la sociologie, ne validez-vous pas sa coupure épistémologique vis-à-vis du sens commun, puis in fine son expulsion de l'expérience commune ? Mucchielli n'aurait-il pas raison ?
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter