Il est bien entendu que l'Europe sera aimée le jour où elle affirmera son identité ethno-culturelle propre.
Mais les calculettes sont quand même bien utiles, comme dirait M. Jean-Marc (qui se fait rare ici apparemment).
Par exemple, elles permettent de remettre en cause une certaine "doxa" propre à aux mouvements "souverainistes" de droite et de gauche qui font grief à l'Union européenne de ne servir que le marché et de provoquer une privatisation des Etats-providence, en important le modèle américain...
Voici des extraits de l'ouvrage de Christophe Ramaux,
L’Etat social. Pour sortir du chaos néolibéral, Mille et une nuits, 2012. L'auteur est un maître de conférences d'économie à l'université Paris 1, membre du comité scientifique d'Attac et a milité à l'extrême gauche (LCR, Parti de Gauche, etc.)
« En France, près de la moitié du revenu des ménages est constitué de prestations et de transferts sociaux, et près d’un tiers des emplois relève du secteur public. Aux Etats-Unis, la retraite publique financée par cotisation occupe une place non négligeable, de même que l’école publique. Le Royaume-Uni, de son côté, est l’un des pays qui possède le système de santé le plus socialisé au monde. »
« L’étendue des dépenses sociales publiques dans les pays de l’OCDE est, par exemple, plus élevée aujourd’hui qu’elle ne l’était au début des années 1980 ».
En France, les collectivités locales « réalisent plus des trois quarts de l’investissement public et ont donc un rôle déterminant dans le volet budgétaire du pilier politique économique. »
« En 2007, les prestations sociales représentaient en moyenne 19,3% du PIB pour les pays de l’OCDE. C’est évidemment non négligeable. Et cela l’est d’autant plus que les prestations sociales sont ici rapportées au PIB lequel intègre aussi l’investissement des entreprises. Dans le revenu des seuls ménages après impôts, leur part est en conséquence plus importante encore. En France, par exemple, le montant total des prestations de protection sociale s’est élevé à près de 600 milliards en 2010, soit plus de 30% du PIB (c’est ce qu’on nomme le taux de redistribution sociale). Mais cela représente 37% du revenu disponible brut ajusté des ménages (c’est ce qu’on nomme le taux de socialisation du revenu), et même environ 45% si on ajoute les autres transferts sociaux en nature qui entrent dans ce revenu. Environ la moitié du revenu des ménages est ainsi socialisé en France. » .
« Selon l’OCDE, la part de l’emploi dans les administrations publiques était, en moyenne, de l’ordre de 15% en 2005, cela sans compter les entreprises publiques, lesquelles pèsent près de 3%. Quant à la contribution des services publics à la production, une étude de l’OCDE estime que la production relevant du domaine public représentait, en moyenne, 20% du PIB en 2005. Sont pris en compte, les biens et les services produits par le secteur public, soit l’essentiel (85%), ainsi que ceux produits par le privé mais financés par les pouvoirs publics (15% correspondant aux consultations à l’hôpital privé, aux médicaments remboursés par la sécurité sociale, aux écoles privées financées sur fonds publics, etc.). Sont en revanche exclus du domaine public, ce qui le minore d’autant, la production des entreprises publiques et l’investissement réalisé par les administrations publiques »
« En France, parmi ceux qui ont un emploi (25,5 millions au total, début 2010), un peu plus de la moitié sont salariés d’entreprises capitalistes, que celles-ci soient petites ou grandes. Il y a bien lieu en ce sens de dire que nous vivons dans une société capitaliste. Près de la moitié des emplois cependant – ce qui est considérable et rarement perçu comme tel- s’exercent dans un autre cadre, soit 10% de non salariés, mais aussi plus d’un quart dans le public et près de 10% dans l’économie sociale (associations, fondations, mutuelles et coopératives) » . Donc, près de 50% des emplois sont extérieurs au monde capitaliste…
« En France, depuis le milieu des années 1980, les dépenses publiques s’élèvent à plus de 50% du PIB »
Etats-Unis :
Emploi : Aux Etats-Unis « le plein-emploi, on le sous-estime souvent de ce côté-ci de l’Atlantique, est au cœur du contrat social américain » . Concernant l’assurance chômage, « la durée totale d’indemnisation a été portée à 99 semaines, décision reconduite en décembre 2010 malgré l’opposition du camp républicain. Quasiment deux ans donc, soit bien plus que celle qui existe dans de nombreux pays d’Europe. »
Santé : « si les Etats-Unis sont les champions du monde de la dépense totale de santé, ce qui est parfaitement connu, ils sont aussi sur le podium, ce qui l’est beaucoup moins, en matière de dépenses publiques de santé par habitant. Le PIB par habitant y étant plus élevé qu’ailleurs, ceci explique en partie cela, mais en partie seulement. La seconde nuance porte sur le fait qu’une part non négligeable des dépenses privées de santé est en fait assumée par le secteur des institutions sans but lucratifs, sous la forme notamment d’hôpitaux privés gérés par des fondations. »
Retraite : « Les Etats-Unis dépensent l’équivalent de 4,3% de leur PIB pour la retraite privée et 6% pour la retraite publique » et « pour une carrière à 1,5 fois le revenu moyen, le taux net de remplacement assuré par le régime obligatoire public y est ainsi de 44,1%, soit bien plus qu’au Royaume-Uni (26 ,8%), en Nouvelle-Zélande (29%) ou au Japon (34,9%) »
Les services publics et l’emploi public : « Les Etats-Unis sont plutôt en dessous de la moyenne, mais ils sont sensiblement au-dessus de l’Allemagne et plus encore que le Japon, lequel ferme la marche » et certains services publics ont une place plus importante aux E-U que dans certains pays européens : « La gestion de l’eau, par exemple, y est essentiellement publique, à l’instar de ce qui existe aux Pays-Bas et en Allemagne. Soit un contraste saisissant avec ce qui prévaut au Royaume-Uni, où elle est totalement déléguée à des opérateurs privés, mais aussi en France, où cette délégation est courante (à hauteur de 71% pour la distribution et de 55% pour l’assainissement) »
Éducation : « Dans le primaire comme dans le secondaire, la part des enfants scolarisés dans le public y est supérieure à la moyenne de l’OCDE, et plus encore à la France, laquelle, tradition de l’enseignement privé sous contrat oblige, est en dessous de la moyenne. (..) Pour l’enseignement supérieur de cycle court, le public occupe une place beaucoup plus importante (84% des effectifs) qu’en moyenne dans l’OCDE (67%) et qu’en France (71%). Pour l’enseignement supérieur de cycle long, cette part passe en deçà de la moyenne de l’OCDE (78%) et de la France (87%) mais elle s’élève tout de même à 72% » .
« La part des prélèvements obligatoires est passée de 29,4% du PIB en 1975 à 34,8% en 2007 en moyenne dans l’OCDE. Une hausse de près d’un quart sur les trois dernières décennies donc, et de près d’un tiers si l’on se réfère à 1965, où cette moyenne s’élevait à 25,5% »
« La dépense publique est quant à elle passée d’environ 40% du PIB en 1975 (35% en 1070) à 44% en 2007 (et 49% en 2009), en moyenne dans l’OCDE »
La hausse sensible de la dépense publique enregistrée dans la seconde moitié des années 1970 ne s’explique pas par un effet de conjoncture alors que « la baisse sensible enregistrée entre 1993 et 2007 » même si elle est due en partie à un effet de conjoncture traduit aussi le fait que « le tournant néolibéral, initié dès le début des années 1980, a progressivement réussi à changer la donne »
« La crise ouverte en 2007(..) s’est traduite par un nouveau bond de la dépense publique en raison à la fois de l’effondrement du PIB et des plans de relance budgétaire massifs mis en œuvre, en particulier dans certains pays. Entre 2007 et 2010, la dépense publique a augmenté de l’ordre de 7 points de PIB en moyenne dans les pays de l’OCDE, retrouvant ainsi son point haut des années 1992-1993 »
Concernant « les dépenses sociales publiques telles qu’elles sont mesurées par l’OCDE. Entre 1980 et 2007, la part de ces dépenses dans le PIB a augmenté, en moyenne, de près de 5 points, soit une hausse de près d’un quart (de 17% à 21%) »
« Si les dépenses sociales publiques représentent de l’ordre de 20% du PIB des pays de l’OCDE, rapportées au seul revenu des ménages elles en représentent une proportion par définition encore plus importante, puisque ce revenu ne représente qu’une partie du PIB »
Cependant ce tableau doit être nuancé en prenant en compte plusieurs facteurs :
- « la hausse observée depuis trente ans résulte, pour une part, du vieillissement de la population »
- « certaines mesures libérales de maîtrise de cette dépense (..) ne produiront leurs effets que dans les années ou les décennies à venir »
- la part des dépenses sociales privées « est passée de l’ordre de 1% duu PIB en 1980 à 3% en 2007 en moyenne dans l’OCDE »
- « la hausse constatée sur longue période n’a pas été continue, ni a fortiori homogène dans tous les pays »
Le taux d’administration publique correspond au rapport de l’emploi public par rapport au nombre d’habitant (indicateur plus fiable, parce que moins lié aux évolutions conjoncturelles de l’emploi privé, que la part de l’emploi public dans l’emploi total). Or, entre 1976 et 2006, à l’exception du Royaume-Uni qui a connu une baisse, « tous les autres pays ont connu une stabilité ou, plus souvent encore, une augmentation, la hausse étant particulièrement sensible en Espagne (de 25 pr.mille en 1976 à 60 pr/m en 2006), au Danemark (de 115 pr/M à 155 pr/M), et dans une moindre mesure, en France (de 75 p/m à 90 p/m) »
Concernant le domaine public, qui inclut la production des administrations publiques et la production financée majoritairement par le public mais réalisée par des acteurs privés (ex. cliniques privées financées par la sécurité sociale ou l’école privée financée en partie par des fonds publics) mais qui exclut les entreprises publiques (comme la RATP ou la SNCF en France) qui ne sont pas financées par prélèvements obligatoires : « aucune tendance générale à la baisse n’est repérable. »
« En France, le développement de la Fonction publique a largement compensé les privatisations. Malgré les privatisations, l’emploi public entendu au sens large regroupe, en France, de l’ordre de 7 millions de salariés, soit plus de 27% de l’emploi total (et 30% de l’emploi salarié). C’est la même proportion qu’en 1982, à l’apogée de la dernière relance keynésienne. (..) » Entre 1980 et fin 2007, la part des effectifs de la Fonction publique « est passée de 17,8% à 20,6% »
Aujourd’hui, « les différents minima sociaux – RSA, Allocation aux adultes handicapés (AAH), minimum vieillesse, etc. – représentent moins de 5% de l’ensemble des dépenses de la protection sociale »
Durant les Trente glorieuses, « non seulement le niveau de vie était plus faible qu’aujourd’hui, mais le taux de pauvreté était beaucoup plus élevé. En 1970, il s’élevait encore à 13,5%, soit près de deux fois plus qu’aujourd’hui (7,2% en 2007) (…). Durant les Trente Glorieuses le taux de chômage était faible, mais la présence des femmes sur le marché du travail l’était aussi (…). Le taux d’emploi global (qui mesure la part de la population qui a effectivement un emploi), et c’est en ce sens que l’on peut dire que nous sommes plus proches du plein-emploi, est plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’était durant les Trente Glorieuses. Pour les 25-54 ans, hommes et femmes confondus, il est sensiblement supérieur en 2008 (83,1%) à ce qu’il était en 1975 (de l’ordre de 76%). Ce n’est qu’aux âges extrêmes, 15-24 ans et 60-69 ans que ce taux a baissé, mais plutôt pour de bonnes raisons : la hausse du niveau de formation pour les jeunes, le droit à la retraite pour les seniors ». Et « les Trente Glorieuses connaissaient aussi des formes d’emploi atypiques : l’une d’elles, les aides-familiaux, était, en particulier, très répandue. »
En tenant compte du fait que 2/3 des jeunes sont en formation, seul un sur douze (8,5%) est au chômage. 87% des emplois salariés sont en CDI et, concernant les jeunes embauchés, au bout de trois ans, près des deux-tiers (63%) sont en CDI.