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Les illusions d'un "intellectuel" qui a été ministre de l'Education nationale

Envoyé par Henri Rebeyrol 
Alain Peyrefitte est l'auteur d'une oeuvre méconnue et souvent méprisée à l'Université, dont les trois volumes de "C'était de Gaulle" et les essais sur la Chine, ample, ambitieuse, savante, qui force l'admiration : rigueur, réalisme, volonté de saisir le réel sans l'idéologiser au préalable, etc.

Pendant plus d'un an, il a été ministre de l'Education nationale, de mars 1967 à mai 1968; et, en sa qualité de ministre, assumant sa charge avec sérieux, il a présidé un groupe de travail qui s'est réuni pendant plus de six mois une fois par semaine pour concevoir et tracer un vaste et ambitieux plan de réforme de l'éducation nationale en vingt-sept points (inclus en annexe dans "C'était de Gaulle", III, Fayard, 2000) et qui n'a jamais été appliqué, les "événements" de mai 1968 l'ayant rendu brutalement caduc. Lire, non pas la totalité de ce "plan de réforme", quarante-cinq ans après qu'il a été conçu par de hauts fonctionnaires consciencieux, sans doute "humanistes", "éclairés", "ouverts", "libéraux", "tolérants", "cultivés", ayant le sens de l'Etat et de l'intérêt général (etc.), mais le seul premier point, dans lequel est exposée clairement la "philosophie" (comme on dit, je crois, en ces hauts lieux) du projet, fait prendre conscience de l'ampleur du mal, à la fois totalitaire et idéaliste, qui ronge l'esprit public en France et qui n'affecte pas seulement, comme on pourrait le croire, les pédagos gauchisants de l'apprendre à apprendre ou de l'enfant roi de l'école.

Voici ce premier point, dont le libellé est "Priorité à l'éducation sur l'instruction" : "Substituer à un système d'enseignement qui vise l'acquisition illusoire d'un bagage encyclopédique par l'entraînement exclusif de l'intellect et de la mémoire un système assurant l'équilibre d'une éducation, non seulement intellectuelle, mais morale et civique, la formation du caractère, l'éducation de la volonté, le sens de l'équipe, l'apprentissage de la liberté, la découverte de soi, l'adaptation de (sic ?) la société, la participation au monde, le sens du réel, le goût des responsabilités".

1. Toutes les qualités ou les vertus énumérées après le verbe "assurant" sont admirables; elles sont un condensé de ce qui a défini à des époques différentes le héros, l'honnête homme, le grand homme, l'homme accompli, le citoyen conscient de ses devoirs en France comme à Athènes, etc. C'est à la fois Platon, Montaigne et Corneille. Une vraie éducation doit ou devrait faire acquérir aux élèves (ou il est souhaitable qu'elle les leur fît acquérir, etc.) ces vertus. Mais l'école en est-elle capable ? Et est-ce sa raison d'être ? Comment former un homme total en l'obligeant à rester assis vingt-cinq heures par semaine et trente semaines dans l'année et cela au cours des vingt premières années de son existence, même en prolongeant indéfiniment le temps de la scolarité obligatoire ? Dans l'Antiquité ou dans l'Ancien Régime, quand un enfant devenait adulte à treize ou quatorze ans, qu'il devait travailler pour contribuer à l'entretien de sa famille, en quelques années, il se formait le caractère, il éduquait sa volonté, il apprenait la liberté, il découvrait qui il était ou il se construisait lui-même, il s'adaptait à la communauté dans laquelle il vivait, il avait le sens du réel, il prenait des responsabilités. Faire de ces vertus le but et la raison d'être de l'école, demander à des fonctionnaires, qui sont pour la plupart d'entre eux des adolescents immatures ou prolongés, d'appliquer un tel programme, c'est s'illusionner sur l'école (école primaire, collège, lycée, université) ou ignorer ce qu'elle est et y fixer des buts que jamais elle n'atteindra.

2. La pensée de M. Peyrefitte et du groupe de travail qu'il a réuni est une pensée "binaire". Ce n'est pas ou... ou (les deux propositions étant mises sur le même plan), mais versus (v. vs) et barre oblique / : 1 vs 0, front contre front, Dieu v. le Diable, éducation v. instruction, un "système" idéal vs un "système" mauvais et haïssable. Dans le cadre de cette "pensée" à deux pôles opposés et mutuellement exclusifs, il est aisé de glorifier ce que l'on tient pour bon (parce que l'on a de la culture et des références) et ce que l'on voue aux gémonies. Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage. Quoi qu'en dise M. Peyrefitte, longtemps, l'instruction publique, même dans les lycées, a été humble, se contentant de faire acquérir des rudiments, même en histoire, en mathématiques ou en latin. La réduire à "l'acquisition illusoire d'un bagage encyclopédique par l'entraînement exclusif de l'intellect et de la mémoire", en mariant le bel adjectif "encyclopédique" à la métaphore vulgaire et méprisante du "bagage", c'est s'aveugler et témoigner de son ignorance des réalités de l'école.

3. M. Peyrefitte et son groupe succombent aux mêmes sirènes et chimères que leurs adversaires. A un système, ils opposent un autre système, alors que le problème, le mal ou la difficulté sont dans le système même. L'urgence n'est pas de substituer un système (même bon) à un autre sytème (même mauvais), c'est de sortir du système. Poser l'existence d'un système explique sans doute des réalités de la nature : la marche des astres et des planètes ou le corps humain ou les défenses d'un organisme, etc. Enfermer les élèves dans un système, c'est se condamner à ne jamais faire acquérir les vertus admirables dont on prétend qu'elles sont l'alpha et l'oméga de toute éducation; c'est aller à l'encontre de ce que l'on se fixe. M. Peyrefitte était "libéral"; il croyait dans la "confiance", seule capable de fonder des sociétés vivables. Mais le fait qu'il tienne la nécessité d'un "système" comme allant de soi ou comme une ardente obligation témoigne d'une méconnaissance des réalités de l'école et des groupements humains. .
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