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Qu'est-ce qu'un territoire national dépourvu d'un centre ? (suite aux réflexions sur le séminaire de Kojève)

Envoyé par Francis Marche 
Le remaniement du découpage du territoire national français en régions administratives est en cours et, selon la presse, bien avancé.

Après bien des tergiversations et tours de roue de la fortune, émerge l'image du découpage suivant, ayant la faveur de Manuel Valls :



Qu'est-ce qui saute aux yeux dans cette image? le triomphe d'une certaine pensée continentale en action, l'accomplissement d'une prophétie : celle de décentrer les nations par rapport à l'espace d'une Union de régions européennes. Cette carte des régions futures du pays France, où toutes les régions, à l'exception du noyau croupion (le "roi de Bourges") que constitue l'Ile de France, ne sont plus désormais que régions de bordure, que des marches, tournées vers un corps extérieur montre en effet un corps territorial national ayant perdu sa région Centre, qui est géométriquement déterritorialisé. Et l'être national n'est plus que notionel. Il s'agit, au sens physique, celui des oléïculteurs, d'opérer un dépiautage, un dénoyautage des nations. Cette carte sans coeur géographique donne à voir l'abolition du sens "territoire national" à cet espace. L'éviscération a lieu sous nos yeux: cet ensemble géographique France est régionalisé au profit d'un centre nouveau, continental, qui doit se situer hors de cet espace entièrement provincialisé.

L'être évidé de son noyau barycentrique, désormais traversé de forces nées hors de lui et allant au-delà de ses limites et qui définissent les vocations de ses parties, n'est plus.

Est-ce là le fruit d'un complot ? Je serais tenté, par penchant naturel, à répondre que non, pourtant, sachant les longues discussions auxquelles à dû donner lieu l'élaboration de cette carte, je dis qu'il ne faut plus craindre d'y voir le fruit d'une pensée, d'une délibération longue, née avant nous. Pour mémoire, ceci, de 1943, dans la bouche d'un nazi allemand :

– J’attendais cela, dit Bernard en souriant. Mais vous ne pouvez donc pas voir plus loin que le bout de votre nez ? Vous ne comprenez pas que ce que nous faisons est une vraie révolution et plus internationaliste en ses effets que la prise de la Bastille ou du Palais d’Hiver de Pétrograd ? Vous n’avez pas l’air d’avoir encore compris que toute idée nouvelle, cosmopolite, de l’Histoire doit d’abord être adoptée par une nation particulière, devenir un monopole national, être formulée en termes nationalistes, avant de pouvoir commencer sa mission universelle. Le Droit civil a été répandu à travers le monde par les légions romaines ; il a fallu que le christianisme s’incarnât dans le Saint Empire Romain avant de pouvoir conquérir l’Europe ; la première chose que la Révolution française ait enseignée à ses citoyens, ce fut la notion de patriotisme ; et les Russes eux-mêmes ont dû y revenir. Toutes les idées qui ont modelé le monde à l’échelle internationale ont commencé leur conquête enveloppées dans les imageries de la tribu. La Louve romaine, le Saint-Père, la Mère des Parlements, la Patrie du Prolétariat. Les idées qui ne sont pas devenues au départ la propriété d’une nation ou d’une race sont demeurées stériles utopies. D’où l’échec du puissant mouvement travailliste ; la Seconde Internationale est morte parce qu’elle n’avait pas de patrie ; la Troisième, qui en avait une, est devenue tout naturellement l’instrument de celle-ci. Pour obtenir l’approbation universelle, une idée doit mobiliser les forces de la tribu qui sont latentes dans la race qui l’a adoptée ; en d’autres termes, les mouvements internationaux ne peuvent s’étendre qu’en utilisant le véhicule du nationalisme ; pour qu’une idée conquière, il faut des conquérants…
[…]
– Et qu’est-ce, je vous prie, demanda Peter avec lassitude, que cette révolution que vous faites ? Quelle est l’idée soi-disant universelle qu’elle contient ?

– […] Eh bien, pour commencer, oubliez au moins la moitié de notre propagande officielle. Il faut bien que nous battions le tambour pour mettre les gens en train : si nous leur disions la vérité, ils ne comprendraient pas. Ce que nous croyons, en réalité, c’est qu’avec le développement rapide de la science et de la technique, l’humanité est entrée dans la phase de sa puberté, une phase d’expériences radicales, globales, avec un mépris total de l’individu, de ses soi-disants droits et privilèges et autres boniments libéraux. Les lois de l’économie classique : douanes [1], changes [2], frontières [3], parlements, Eglises, traditions sacramentelles, le mariage [4], les dix Commandements, autant de boniments. Nous partons de zéro. Je vais vous dire comment… Fermez les yeux. Imaginez l’Europe jusqu’à l’Oural comme un espace vide sur la carte. Il n’y a là que des champs de force : énergie hydraulique, minerais magnétiques, gisements de charbon, puits de pétrole, forêts, vignobles, régions fertiles ou stériles. Reliez ces sources de force par des lignes bleues, rouges et jaunes et vous aurez le réseau de distribution. Bleues : la grille d’énergie électrique s’étendant des fjords de Norvège au barrage du Dnieper ; rouges : le flux dirigé des matières premières ; jaunes : l’échange réglé des produits fabriqués. Tracez des cercles de rayons variés autour des points d’intersection, et vous aurez les centres d’agglomérations industrielles. Calculez la quantité de travail humain nécessaire pour servir le réseau à chacun de ses points, et vous aurez la densité convenable de population des différentes régions, provinces ou nations ; divisez ces chiffres par la quantité de chevaux-vapeur produite et vous obtiendrez le niveau de vie des populations. Effacez ces ridicules frontières, ces murailles de Chine qui traversent nos champs de force ; supprimez ou transférez les usines construites aux mauvais endroits ; liquidez la population superflue dans les régions où on n’en a que faire ; transférez les populations de certaines régions, de nations entières s’il le faut, dans les espaces où on en a besoin et vers le type de production pour lequel elles sont le mieux douées de par leur race ; supprimez tout champ de force gênant qui pourrait se surimposer à notre réseau, c’est-à-dire l’influence des Eglises, des capitaux étrangers, de n’importe quelle philosophie, religion, système éthique ou esthétique du passé…


Pour en savoir plus, se reporter à cette discussion du Forum de l'In-nocence :
[www.in-nocence.org]


Cette carte des régions futures de la France me fait irrésistiblement songer à celle du découpage préfectoral de la grande île Japonaise de Kyushu :



Comme dans le projet français, on voit à Kyushu que toutes ces préfectures sont tournées vers leur façade extérieure, et que l'île de Kyushu, qui n'a jamais été nation, est dépourvue de toute entité territoriale centrale, tout à fait à l'image du projet de Valls. Il y a une raison à cela: le découpage préféctoral de Kyushu, comme le découpage régional projeté pour la France par l'équipe de Valls, existe en référence à une notion territoriale impériale dont le centre est ailleurs, à Edo.

Reflexions relatives au séminaire de Kojève sur la Phénoménologie de l'esprit de Hegel :
[www.in-nocence.org]

[message légèrement modifié]
Que des marches, Francis...

"Toutes les idées qui ont modelé le monde à l’échelle internationale ont commencé leur conquête enveloppées dans les imageries de la tribu."

Toute les idées qui ont foiré, aussi.
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