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Les papas et les mamans vus (excellemment) par Benoît Duteurtre

Envoyé par Thierry Noroit 
Extrait du tout dernier livre de Benoît Duteurtre, Polémiques, paru en avril 2013 chez Fayard :

A la une du journal télévisé, quelques opposants au mariage gay présentent les objectifs de leur manifestation. Dans leurs bouches, comme dans celles de leurs adversaires il n'est question que de "papas" et de "mamans". Les uns, hostiles à l'homoparentalité, ne cessent de répéter que chaque enfant a droit à "un papa et une maman". En face, les militants pro-mariage et pro-adoption défendent l'idée que les bambins seraient aussi heureux avec "deux papas ou deux mamans". Le compte est différent, mais les uns comme les autres peignent, dans une langue puérile, le même tableau rose bonbon, où le monde s'apparente à un jardin d'enfants.

Peut-être les historiens de la langue constateront-ils que la première décennie du XXIème siècle fut marquée par la disparition des mots "père" et "mère", remplacés par l'usage presque exclusif de "papa" et de "maman". Lorsque j'étais enfant, il n'y a pas si longtemps, l'un des signes de maturité auquel chacun s'attachait, dans les conversations entre copains, consistait à abandonner ces termes puérils. On disait "ma mère", ou "mon père", voire "mon paternel", qui, par leur sonorité moins sentimentale, marquaient le début d'une prise de distance. Le contraire semble se produire de nos jours, comme s'il fallait cultiver la "part d'enfance" qui subsiste en nous et prolonger indéfiniment le langage des touts-petits.

Les médias amplifient cette révolution familiale. L'autre soir, à la télévision, un présentateur de magazine people interviewait un vieux cinéaste. Revenant sur les débuts de sa carrière, il lui demandait, comme à un gosse : "Aviez-vous une relation privilégiée avec votre papa ?" L'homme de quatre-vingts ans, un peu gêné, reprenait en corrigeant "mon père". La plupart des invités ne se sont aperçus de rien.

La sous-culture psychologique y est probablement pour quelque chose : elle a généralisé l'idée que nous sommes, jusqu'à la mort, de vieux nourrissons fixés aux joies et traumatismes de nos premières années, grandissant et souffrant dans l'ombre de nos "papas" et de nos "mamans". La politique n'y est pas non plus étrangère, dans une société où la famille cellulaire (celle qu'on fuyait hier le plus vite possible) apparaît comme une dernière petite barque survivant au naufrage de l'ancien monde. Ségolène Royal a bâti sa carrière en se présentant comme une maman de secours pour une France en perte de repères, pleine de femmes violentées, de handicapés et d'enfants. (...)
02 juin 2013, 03:02   Ladies first
Mon goût pour la sous-culture musicale me fait irrésistiblement penser aux précurseurs dans les années soixante, les affriolants Mamas and the Papas ; voyez comme déjà ils avaient l'air gentil !





Cher Alain,

mon admiration pour votre esprit, parmi les nombreux motifs qu'elle comporte, s'attarde souvent à votre art de mettre les pieds dans le plat : Mackenzie Phillips, fille de John Phillips, soit le papa des Papa's and Mama's a révélé dans un livre paru en 2009 qu'elle avait été droguée et violée par son père à l'âge de 19 ans, viol qui devait inaugurer une décennie de relations sexuelles incestueuses "plus ou moins consenties". Voyez comme ils étaient gentils et affriolants. Comme il est affriolant, en effet, le meurtre familial des fleurs dans les cheveux.

Reference
Cela me fait, Francis, penser à ce que la télévision diffusait dans les années soixante et qui serait tout bonnement intolérable à l'heure actuelle :


#.UasFP1KPanA

Pour les moins de cinquante ans, les messieurs au début du clip sont Jean Yanne et Sacha Distel.
02 juin 2013, 22:16   The devil in Miss Phillips
Francis, il appert que l'affaire se complique : la jolie hippie du groupe, la maman Phillips mariée au papa incestueux Phillips had a thing going on avec le second papa : la Mama s'envoyait, si vous me passez l'expression, les deux Papas !
Aussi n'est-il pas impossible d'envisager que la jeune fille abusée (une future maman) eût pu avoir elle aussi deux papas, et la boucle est bouclée.
Je crains néanmoins que ces ragots inactuels n'intéressent personne, et que nous nous fassions gentiment sortir de la salle si nous continuons...
Ha ! Cheu n'est ba en Allemagne qu'on aurait fu des choses bareilles !
Tout en nous faisant sortir de la salle suspendus par les coudes entre deux malabars, la pointe des pieds trainant au sol, lançons à la cantonade, à pleins poumons et par-dessus notre épaule endorlorie par la clé au bras, le slogan vengeur de la manif pour tous corrigé de réalisme : une maman et deux papas, c'est ça la vie !
Cela fait une étrange impression ce clip avec M. Biraud et F. Gall, comme si la société française d'alors était légère, amusante et ô combien douce par rapport à celle d'aujourd'hui. Pourtant il me souvient aussi d'avoir ouï-dire des tabassages dans les commissariats, des usines noires, des rues sinistres d'un Paris dont les façades n'étaient pas nettoyées, de l'ennui provincial...
Etait-elle donc si douce, la vie, en ce temps-là ?
Les gouvernants étaient vertueux, du moins perçus comme tels, les hauts fonctionnaires étaient intègres ou paraissaient tels et la morale n'était pas encore descendue des chaires d'église et des penseurs du droit pour mettre de l'ordre dans les menus propos et le quotidien du petit peuple comme elle le fait aujourd'hui. La morale ne s'était pas encore découvert cette vocation de police du verbe pour le petit peuple. L'expression de pensées impures n'était pas encore verbalisable ni passible des tribunaux. Les faux-pas n'étaient pas encore des "dérapages" susceptibles d'opprobe public. Les déclarations sur l'islam de décembre 2010 que la 17e chambre correctionnelle reproche à Renaud Camus eussent entré dans la catégorie des "écrits de combat", soit la licence politique et intellectuelle normalement accordée à tout écrivain dont le talent est incontestable.

D'où ce genre de chansons que la moraline d'aujourd'hui condamnerait sans appel. La chanson française était un véritable "espace de liberté" (elle pouvait être salace, "crue", cochonne si l'on veut mais le plus souvent en termes voilés, tout en se gardant de la grossièreté et de toute expression de hargne politique et de violence verbale comme le fait le rap); toute critique sociale était recevable sous forme de satire, dans la grande tradition dix-huitiémiste française et les chansonniers maniaient la dérision courtelinesque. La grossièreté, la vulgarité, l'obscénité, l'injure violente et directe, le langage ordurier étaient interdits, absolument bannis de la radio et de la télévision. Dans les années 60, les aînés avaient connu la Grande Guerre, avaient été des contemporains de Proust, après tout -- le langage, l'humour salace et les formes de la grivoiserie s'en ressentaient et ne se pratiquaient pas hors la conscience de leur présence. Leurs oreilles étaient préservées peut-être par respect (respect dû à tous ceux qui ont traversé des époques terribles) avec pour résultat qu'elles l'étaient comme celles des enfants. Entre la retenue par égard pour les anciens (pourquoi user du terme "les aînés" qui n'avait point cours alors ?) et la nécessité de ne point heurter ou troubler la sensibilité des plus jeunes, la langue s'empêchait, les apparences étaient sauves, et la morale allait froncer les sourcils dans une autre direction.

[message modifié]

La chanson "Les Fleurs de mandarine" (Michel Fugain, 1968), dont je me souviens, serait elle aussi interdite de radio aujourd'hui.
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