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Bachar El-Assad lit le forum de l'In-nocence

Envoyé par Francis Marche 
Le président syrien Bachar el-Assad a assuré que les manifestations monstres contre son homologue égyptien déchu Mohamed Morsi marquent la fin de l'islam politique, selon des extraits d'une interview à un journal syrien à paraître demain.
"Ce qui se passe en Egypte est la chute de ce que l'on connaît comme étant l'islam politique", a déclaré le chef de l'Etat syrien au journal officiel As-Saoura. "Où que ce soit dans le monde, quiconque utilise la religion dans un but politique ou pour favoriser certains par rapport à d'autres, est condamné à l'échec", a ajouté Assad, dont les extraits ont été diffusés sur sa page Facebook



La fin de l'islam politique selon Bachar El Assad

Je suis prêt à prendre le pari théorique et principiel que l'an 2013 de notre ère sera à l'islam ce que l'an 1989 fut au communisme.
Référence
Dieu vous entende, cher Francis !
A l'inverse, Obama ne doit pas lire ce forum :

"L'aide US à l'Egypte va être réexaminée" (Le Figaro)

L'aide annuelle d'un montant d'un milliard et demi de dollars que les Etats-Unis allouent à l'Egypte va être réexaminée en tenant compte de l'éviction du président Mohamed Morsi, a indiqué mercredi le sénateur Patrick Leahy qui préside la sous-commission chargée du contrôle de l'aide américaine à l'étranger. [...]

"En attendant, notre droit est clair: l'aide américaine est suspendue lorsqu'un gouvernement démocratiquement élu est déposé par un coup d'Etat ou un décret militaire", a-t-il rappelé.

[www.lefigaro.fr] (ECONOMIE > Flash Eco)
Bachar n'a probablement pas vu les dizaines de milliers de Cairotes rassemblés pour marquer leur soutien à Morsi. Leur silence et leur détermination étaient impressionnants et contrastaient avec les scènes d'hystérie (marquées de dizaines de viols collectifs) qui traversaient la place de la Victoire. Comparer ce qui vient de se passer avec 1989 en Europe me semble une ineptie. Contrairement aux communistes, les Frères musulmans venaient juste de parvenir au pouvoir, après de longues années de répression, et c'est bel et bien un coup d'Etat militaire qui vient de les renverser. Compte tenu de la situation économique, démographique (90 millions d'habitants concentrés sur un territoire "utile" grand comme la Suisse) insolubles du pays, et du fait que la confrérie continue d'être soutenue par l'Egypte immense des villes moyennes de la province, il est à craindre que les Frères musulmans puissent à terme ressortir renforcer de ce putsch. Et puis que vont faire les salafistes ? Hier une amie égyptienne, proche des milieux laïques et de gauche, me disait craindre, malgré l'euphorie, un scénario à l'algérienne. Après l'Irak, la Syrie, il semble qu'avec le Liban ce soit l'Egypte qui semble constituer la candidate la plus crédible pour le chaos qui vient.
Merci de cet éclairage cher Le Floch. Je ne dis pas que la chute du Mur de Berlin n'ait entraîné du chaos. Certains allèrent je crois jusqu'à imputer à cette chute la guerre en Yougoslavie qui devait suivre. Toute mort impréparée ouvre la voie à une guerre de succession. Il en fut ainsi du communisme, il en ira ainsi de l'islam politique.

Je crois l'analyse de Bachar Al Assad nullement inepte. Si la portée historique décisive de ce qui est advenu en début de semaine au Caire se voit confirmée, alors il faut s'attendre à bien des tremblements en effet, et certainement à des soubressauts meurtriers du dragon qui vient de mordre la poussière et qui de sa queue follement agitée va balayer l'espace par des actes terroristes et en commettant tous les égorgements dont il va encore se montrer capable. Mais il n'empêche qu'une page politique est tournée, et qu'elle est tournée pour le bien de l'humanité : l'islam politique est sans avenir, c'est dit, c'est prouvé, c'est historique.

Je suis prêt à revendiquer mes propres inepties tant que je les vois résister à vos objections : s'il est exact que l'Union soviétique a connu violence, incertitude et chaos après 1989 et l'abandon de la Doctrine Brejnev, avec notamment le coup d'Etat militaire que dut affronter Gorbachev en août 1991, épreuve qui fut surmontée par la Russie post-communiste grâce à Boris Yeltsine, il n'en demeure pas moins que le communisme soviétique fut enterré pour de bon, et le communisme chinois durement ébranlé avant d'être vidé de sa substance et de son vieux venin. Et qu'il ne renaîtront jamais de leurs cendres après 1989 sous leur forme canonique et létale après ce tournant.

Voyez-vous, je me fais la réflexion que le millénarisme est politiquement neutre : il ne joue pas sa partie uniquement pour les totalitaires et les hommes violents -- il réveille aussi la sagesse des peuples.
Je ne crois pas, cher Francis, que les évènements du Caire annoncent le début de la fin de l'islam politique et que la situation soit comparable avec ce qui s'est passé en 1989 en Europe. En 1989, les partis communistes, qui régnaient depuis 70 ans, étaient usés jusqu'à la corde, ce qui n'est pas le cas des Frères musulmans, qui viennent juste d'arriver au pouvoir. En 2011, au premier tour des élections législatives, marquées par une forte participation, ils obtenaient presque 45 % (les salafistes 22 %) des suffrages, ce qui montre leur influence dans la société egyptienne au sein de laquelle ils forment un parti de masse avec ses millions d'adhérents volontaires. Cet enracinement ancien (1928) et profond ne va pas disparaître comme par enchantement. D'ailleurs la mobilisation au Caire des partisans de Morsi a été impressionnante. On est donc très loin de la situation des PC dans les années 1980 en Europe. Aujourd'hui, finalement, les renvoyer dans l'opposition, auréolés de leur statut de victimes d'un coup d'Etat, dans un pays devenu ingouvernable, est le meilleur service à leur rendre. Cela dit, il y aura certainement une crise dans l'organisation qui portera sur la stratégie à suivre dans les semaines et les mois à venir. La stratégie démocratique ayant échoué, il est à craindre, qu'à l'instar de ce qui s'est passé dans les années 1990 avec le djihadisme, des pans entiers de la confrérie, comme en Algérie avec le FIS, passent du côté de la lutte armée. On aurait alors un scénario à l'irakienne ou à la syrienne avec une guerre de tous contre tous comprenant les nationalistes nassériens (20% des voix aux présidentielles), les salafistes (soutenus par l'Arabie saoudite, qui veut faire payer aux frères musulmans leur rapprochement avec l'Iran), les coptes, etc, sur fond de désagrégation d'un Etat laminé, dont l'autorité dans les provinces reculées du pays est de plus en plus fantomatique (voir la vague d'homicides en cours dans les campagnes consécutive aux règlements de compte entre familles).
Peut-être, mais l'islam politique (et surtout les Frères musulmans me semble-t-il) a pour vocation première de régner politiquement ; dans une région où l'apparence et la puissance affichée sont encore si prépondérantes, l'échec si rapide de l'exercice du pouvoir — juste arrivés presque aussitôt éconduits, c'en est comique — est cuisant et ne pourra pas ne pas frapper les esprits alentour.

Il y a aussi que les analyses qui prédisaient une pure et simple récupération islamiste durable des diverses secousses politiques consécutives aux "printemps" arabes s'avèrent trop simples, rapides et un peu bâclées : il faut aussi prendre en compte, comme le suggère Francis, une possible "résistance" des peuples considérés, qui ne sont peut-être plus si malléables et réductibles à merci à n'importe quel autoritarisme, fût-il religieux.
Cela constitue en soi un changement, éventuellement notable, dans la donne de cette région...
Je suis d'accord avec vous, l'erreur majeure consiste à considérer la société musulmane comme étant monolithique, alors qu'elle est aussi divisée que les autres, avec des conflits de classe, pour prendre un vocabulaire ancien.

Il me semble tout à fait possible de tirer des griffes des intégristes une très large partie de ces populations, la meilleure des façons étant de montrer le degré de nullité atteint par le régime des frères musulmans.

Notez le lapsus hollandesque de la semaine, en Tunisie :

[video.lefigaro.fr]
On néglige le plus souvent le facteur de la jeunesse dans ces pays, pour qui deux années (2011-2013) valent vingt des nôtres. Tout ce qui est dit et écrit partout sur "l'accélération de l'histoire" est à corréler à ce phénomène. L'ignorance de l'histoire, de l'échelle temporelle des évolutions historiques, dans une jeunesse déculturée, et l'impatience qui l'accompagne, n'a probablement pas que des inconvénients lorsqu'il s'agit de faire la peau d'une idée politique aberrante en deux ans seulement au lieu de vingt. Le Floch note le sérieux avec lequel les militants morsistes manifestent leur opposition aux événements en cours. Je ne peux pas ne pas mettre ce "sérieux" en parallèle avec celui des manifestations (désormais érigées en rite) des actuels "communistes" russes nostalgiques, qui défilent avec des portraits de Lénine en se plaignant des retards de versement de leur maigre pension.

Quand la jeunesse (capable au demeurant de toute sa nocence festive que l'on sait) devient archi-majoritaire dans la démographie d'un pays comme l'Egypte, l'incroyable peut advenir : une "maturité politique" archi-précoce surgit qui balaie tout et qui opère deux révolutions en trois ans, brûlant toutes les étapes qui, dans des pays comme les nôtres, nécessiteraient un demi-siècle pour dérouler la sage et raisonnable séquence de leur enchaînement.
Les analyses que l'on peut lire dans la presse ou entendre dans les médias (hier sur la 5 par exemple à six heures du soir) au sujet des événements d'Egypte ne tiennent pas compte d'un fait qui importe pour comprendre la situation (comme aurait dit Sartre - référence ironique) : les Frères musulmans ne sont pas un "parti", ni une association de citoyens, du type association loi de 1901, mais une "confrérie", transnationale ou post-nationale (en ce sens, El Banna avait en 1928 trois quarts de siècle d'avance sur les Occidentaux qui vivent depuis trente ans dans le "post"), ne faisant référence à aucune autre appartenance géographique, ethnique, raciale, etc. que l'islam. Ce qui définit la confrérie, c'est le type de relations singulières qu'elle institue entre ses membres : tous frères, donc égaux, et soudés par l'émotion ou par un lien aussi fort que les liens du sang, ce qui implique une hiérarchie limitée et une organisation "horizontale".

Cette organisation (ou vision du monde, ou ordre social, moral, économique qu'elle implique) est située à l'exact opposé de ce qu'est un Etat : l'Etat est "froid", "abstrait", "hiérarchisé", il vit de règles, de règlements, de procédures. Tout cela est incompatible avec ce qu'est une confrérie.

Le dilemne de la confrérie est qu'elle n'a pas pu ou pas voulu dissoudre (ou pas eu le temps de le faire) l'Etat ou remplacer l'Etat, qui, en Egypte, existe depuis cinquante siècles, par une autre organisation, homologue à celle de la confrérie ou "confrérique", non plus verticale, mais horizontale, non plus froide ou abstraite, mais "chaude", fraternelle, "conviviale". Ce sont les administrations de l'Etat central, l'armée, les juges, les fonctionnaires petits et grands (ce pays de 84 millions d'habitants doit compter plus de 5 millions de fonctionnaires ou assimilés et 4 ou 5 millions de conscrits engagés dans les forces de sécurité) qui ont exigé et obtenu la fin de l'expérience confrérique l Les signes qui ont été agités lors des manifestations ne trompent pas : le drapeau national partout brandi contre la confrérie sans frontière et post-nationale; les uniformes des soldats et des officiers, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus vertical, de plus froid, de plus raidement hiérarchisé dans un Etat.

Les deux seules forces véritables dans les pays arabes (et musulmans) sont l'islam et l'armée. L'armée a repris provisoirement le pouvoir; elle ne pourra le conserver qu'avec l'appui, le soutien, la collaboration de l'islam - ce sera un pouvoir partagé, quitte à manipuler les nouveaux dirigeants pieux et croyants de la coulisse.
Je pense qu'il faut aussi prendre en compte les interets communs entre l'armée et le pouvoir économique.
Sait-on ce qui a motivé, ou inspiré, la création de cette confrérie "post-nationale" à ce moment, en 1928 ? Concurrence mimétique avec le communisme dont le mouvement avait pris son essor international dans les années 20 ?
Un point de vue intéressant sur la situation en Egypte :
[www.lemonde.fr]

La création de la confrérie est intervenue en réaction à l'occidentalisation de l'Egypte, marquée notamment, dans les années 1920, par le développement du parti libéral et laïc Wafd, hégémonique à l'époque, et surtout d'un mouvement féministe radical fortement opposé à l'islam (voir : [www.mediterraneas.org]). Le parti communiste égyptien créé par des juifs et des coptes était trop faible pour inspirer en réaction les musulmans radicaux même si dans la charte du mouvement la révolution russe, de même la révolution française, est assimilée à un complot juif et franc-maçon. On trouve également chez des idéologues de la confrérie comme Qotb, qui a fait un long séjour aux Etats-Unis dans les années 1940, une condamanation du mode de vie occidental et un refus de le voir se propager en Egypte.
» Les deux seules forces véritables dans les pays arabes (et musulmans) sont l'islam et l'armée. L'armée a repris provisoirement le pouvoir; elle ne pourra le conserver qu'avec l'appui, le soutien, la collaboration de l'islam - ce sera un pouvoir partagé, quitte à manipuler les nouveaux dirigeants pieux et croyants de la coulisse.

Mais, justement, l'armée (Moubarak, ne l'oublions pas, est un militaire, ancien chef de l'armée de l'air, et incarnait l’autorité conjointe de l'Etat et de l'armée) et l'islam, avec ce ratage remarquable, n'ont-ils pas été, en l'occurrence, renvoyés dos à dos ?
Les derniers événements ne tendent-ils pas à rendre cette lecture exclusive de la société arabe un peu datée ?



» Le dilemne de la confrérie est qu'elle n'a pas pu ou pas voulu dissoudre (ou pas eu le temps de le faire) l'Etat ou remplacer l'Etat, qui, en Egypte, existe depuis cinquante siècles, par une autre organisation, homologue à celle de la confrérie ou "confrérique", non plus verticale, mais horizontale, non plus froide ou abstraite, mais "chaude", fraternelle, "conviviale"

J'ai lu hier un article assez argumenté dans le Yedihot qui prétendait que c'est précisément le grief principal retenu à l'encontre du pouvoir des Frères : la confiscation du pouvoir, la tentative de noyautage du haut fonctionnariat, et surtout la rédaction de la nouvelle Constitution, du comité rédacteur de laquelle ont été finalement écarté pratiquement tous les "libéraux" ou laïques (Constitution qui a été approuvée par suffrage avec 60% des voix lors d'un vote à très fort taux d'abstention (70%)).
Je viens d'entendre à la télévision le porte-parole du parti des Frères plaidant la cause, un certain Tarek el Morsi ; la "confrérie" prend là tout son sens...
En tout cas, et une fois encore, la paix et la tolérance de l'islam se sont exprimées magnifiquement après la prière du vendredi. Les hommes sont sortis des mosquées, où s'enflamment souvent les paix et tolérance susdites, le couteau entre les dents, bavant d'impatience à l'idée d'en découdre, et les femmes n'étaient pas d'un calme olympien. Mais je n'ai pas renoncé à croiser, un jour, un musulman allant le cœur léger et apaisé après avoir accompli son devoir hebdomadaire.
Au fond, le commentaire du Yediot Aharonot, journal réputé sérieux, me semble fort pertinent : d'un côté, des gens qui veulent un état totalitaire car ils sont sûrs de leur Vérité, et qui emploient des méthodes totalitaires, excluant tout ceux qui ne se sont pas comme eux ; de l'autre des personnes qui ne veulent pas de cela, qui sont sans doute dans leur grande majorité croyants mais qui ne veulent pas d'une théocratie.

Ce n'est au fond pas très compliqué.
Sur la façon qu'ont les islamistes de se rendre odieux auprès de populations qui leur étaient a priori favorables :

[www.aljazeera.com]
Mme Bourges s'exprime en de longues non-phrases invertébrées (du moins dans son intervention introductive) et le jeu (assez cruel) qui consiste à se représenter son discours en script, à le transcrire mentalement mot à mot sur une page écrite tout aussi mentale, révèle un produit surprenant : on se trouve en face du type de bouillon agitatoire informe que pouvaient produire certains gauchistes "d'AG de fac" dans les mouvements estudiantins post-soixantuitards.

Des comparaisons touchant la forme du mouvement de la Manif pour tous ont été dressées, des parallèles, avec Mai 68 (notamment en référence aux affiches de propagande de ce mouvement) -- on s'aperçoit, à l'écoute de Mme Bourges, que cela va plus loin, que l'homologie est plus que formelle: elle est mentale et intellectuelle, comme si la fonction d'idiot utile, à travers les âges (idiots utiles de la mondialisation en mai 68; idiots utiles de l'islam aujourd'hui) présentait des invariants, des caractéristiques symptomatiques du discours, de son substrat bafouilleur, de la geste de l'auto-représentation nébuleuse de soi, assurément repérables.
Au sujet de l'Egypte.

Il y a deux forces "politiques" ou "sociales" en Egypte : l'armée et l'islam, et cela depuis que, en 642-43, des armées arabes islamisées ont fait main basse sur ce pays, jadis riche et prospère. Conquête militaire et islamisation sont allées de pair. On peut résumer, cavalièrement certes, toute l'histoire de l'Egypte depuis 642, à l'exception de quelques moments (de 1920 à 1952) vite effacés, par une succession de pouvoirs militaires, parfois des mercenaires, dont les Mamelouks circassiens, alliés au Calife (le Calife a résidé pendant un siècle environ au Caire) et aux juristes et théologiens d'Al Azhar. On oublie qu'un des paradigmes auxquels se référait Nasser, outre le "socialisme", la "fierté nationale", la "lutte contre l'Occident", était le réveil ou le renouveau de l'islam. Les Frères musulmans ont été de brèves années (de 1948, incendie du Caire, à 1956 ou 57) des alliés ou des soutiens du pouvoir militaire. On sait que Sadate, colonel de l'armée égyptienne (puis général ?) était fasciné par les Frères musulmans, qu'il a d'ailleurs fait libérer en 1975 ou 76 et réintroduits prudemment dans le champ social et culturel, même politique.

Les manifestants de la place Tahrir qui font fait tomber Moubarak représentent certes ce que l'on nomme parfois la "société civile" - des "bobos" épris de démocratie ou d'une image frelatée de la démocratie, fils ou neveux des membres de l'appareil d'Etat militarisé -, mais eux ou leur candidat n'ont eu que très peu de voix aux premières élections réellement démocratiques organisées en Egypte depuis 1952 (il y en a eu entre 1920 et 1952). Du feu, ils ont tiré les marrons, que d'autres ont mangés. Ils ont été les idiots utiles des Frères musulmans et des salafistes. Deux ans plus tard, ces gogos se retournent vers les militaires, pour chasser du pouvoir les Frères musulmans, démocratiquement élus un an plus tôt. Fih mokh gowwa ! (il y a de la cervelle à l'intérieur, dit-on en Egypte ironiquement, en montrant du doigt sa propre tête ou la tête d'un chef)...

Certes, les Frères musulmans sont accusés d'avoir "noyauté" l'Etat et les médias - mais c'est ce que fait tout pouvoir élu ou tout pouvoir issu d'un coup d'Etat. Qu'a fait Lénine ? Qu'ont fait les socialistes en 1981 ? Ce noyautage (éventuel) sert de justification militante au coup d'Etat. La quasi totalité des journalistes, souterrainement favorables au coup d'Etat, répètent ce prétexte : ce n'est pas analyser les faits, c'est se faire le porte-parole d'autres. La thèse du noyautage peut être examinée. Comment expliquer que les généraux qui ont pris le pouvoir, dont Al Sissi, ont été nommés par les Frères musulmans, de même Mansour, le président par intérim ? Si noyautage il y a eu, il a été fait par des nullités ou des naïfs. Mais cela n'infirme en rien la distinction entre confrérie et Etat.

A mon sens, on ne comprend rien à ce que sont les Frères musulmans, si l'on ne rapporte pas la création de la confrérie en 1928 à la situation, très singulière, de l'Egypte depuis 1914. En 1920, l'Egypte est devenue un pays libre, souverain et indépendant, après quatre siècles de colonisation (le mot est interdit dans l'historiographie - seuls colonisent, comme chacun sait, les Occidentaux) ottomane, colonisation avide et cruelle, lesquels ont été précédés par trois siècles de domination circassinenne, etc. Membre de la SDN, seul pays arabe à l'être, l'Egypte a été pendant trente-deux ans une véritable démocratie (plus que l'Italie, l'Espagne, le Portugal et la France ?), avec une presse libre, de nombreux partis, des élections libres et a connu, pendant la même période, une vraie prospérité. La grande force politique alors était le "mouvement national", un mouvement national égyptien, alliance libérale de musulmans éclairés, de coptes, de francs-maçons, pour qui le destin de l'Egypte, sa liberté, sa prospérité, étaient l'essentiel. Toute la verroterie islamique et arabe, dominante depuis 1952, existait certes, mais ne jouait pas un rôle de premier plan.

C'est dans ce pays qu'ont été créés les Frères musulmans avec un triple ou quadruple objectif : replacer l'islam (marginalisé) au coeur de la vie sociale et politique; choisir l'oumma arabe et musulmane, substitut au califat supprimé en 1923, plutôt que la nation; purifier l'Egypte et en chasser les Juifs (environ 90000 personnes, victimes de pogroms en 1948 et jusqu'en 1956, année où tous ceux qui étaient encore restés en ont été chassés : tout cela est bien étudié par Mme Bat Ye'or); expulser les étrangers (qui représentaient entre 1 et 2% de la population) - ce qui a été fait de 1956 à 1961; rétablir la charia pour que les chrétiens d'Egypte se tournent vers l'islam ou redeviennent des sous-sujets de seconde zone...

Voilà ce qu'a été cette confrérie dès 1928. Mais il est quasiment impossible de le dire en France, ne serait-ce que parce que se sont établies en France des colonies islamiques qui adhèrent au paradigme de 1928 et qui, si cela était dit; seraient "stigmatisées" par des "racistes islamophobes".
Il y a dans le " Quatuor d'Alexandrie" de Durrell, exactement , je crois, dans " Mountolive", une évocation de la situation de l'Egypte vers les années 52 qui correspond bien à ce que vous dites. Le copte Nessim y fait un tableau saisissant de la vague islamique qui se prépare et qu'il pressent.
En effet. On peut lire d'excellentes analyses, bien plus justes que celles des savants sociologues, historiens, islamologues (dont Berque), experts en cachoterie et en poussière sous le tapis, chez des romanciers "de second ordre" : Josette Alia, "Quand le soleil était chaud", Paula Jacques, cinq ou six romans, dont "L'Héritage de tante Carlotta; Robert Solé (sa série de romans égyptiens), Gilbert Sinoué (lui, aussi, auteur de "sagas" familiales grecques catholiques ou coptes, dont "L'Egyptienne"), etc., qui attestent, s'il en était besoin, la supériorité de la fiction sans oeillères sur les sciences sociales (écervelées et sans conscience sociale, évidemment), ne serait-ce que pour saisir le réel et le dire.
Cher Henri,

Que Moubarak ait été renversé par des sortes de bobos, je le crois.

Cependant, je crois aussi que les frères musulmans, que vous décrivez fort bien :

C'est dans ce pays qu'ont été créés les Frères musulmans avec un triple ou quadruple objectif : replacer l'islam (marginalisé) au coeur de la vie sociale et politique; choisir l'oumma arabe et musulmane, substitut au califat supprimé en 1923, plutôt que la nation; purifier l'Egypte et en chasser les Juifs (environ 90000 personnes, victimes de pogroms en 1948 et jusqu'en 1956, année où tous ceux qui étaient encore restés en ont été chassés : tout cela est bien étudié par Mme Bat el Ye'or); expulser les étrangers (qui représentaient entre 1 et 2% de la population) - ce qui a été fait de 1956 à 1961; rétablir la charia pour que les chrétiens d'Egypte se tournent vers l'islam ou redeviennent des sous-sujets de seconde zone...

Ont fait la preuve de leur incompétence et qu'actuellement une large part de la société égyptienne veut leur départ. Sinon, il est inexplicable qu'il y est eu autant de manifestants ou autant de signataires contre M. Morsi.
Citation
Henri Rebeyrol
En effet. On peut lire d'excellentes analyses, bien plus justes que celles des savants sociologues, historiens, islamologues (dont Berque), experts en cachoterie et en poussière sous le tapis, chez des romanciers "de second ordre" : Josette Alia, "Quand le soleil était chaud", Paula Jacques, cinq ou six romans, dont "L'Héritage de tante Carlotta; Robert Solé (sa série de romans égyptiens), Gilbert Sinoué (lui, aussi, auteur de "sagas" familiales grecques catholiques ou coptes, dont "L'Egyptienne"), etc., qui attestent, s'il en était besoin, la supériorité de la fiction sans oeillères sur les sciences sociales (écervelées et sans conscience sociale, évidemment), ne serait-ce que pour saisir le réel et le dire.

Je me permets d'ajouter, à cette liste, les livres d'André Aciman.

Voilà une tribune, au titre évocateur ("The Exodus Obama Forgot to Mention"), qu'il publia lors de la venue du Président américain au Caire.
L'horreur que nous éprouvons pour les Frères musulmans, les salafistes, l'islam politique et même l'islam tout court est fondée. Mais cette passion, même parfaitement morale et "juste", ne devrait pas influer sur notre compréhension du monde. La popularité de Morsi en juin 2013, un an après avoir été élu, n'est pas plus mauvaise que celle de M. Hollande, meilleure même semble-t-il. Que diriez-vous si l'armée française, prétextant le désamour dont souffre Hollande, la dégradation de la situation économique, l'augmentation des impôts, la nullité de la quasi-totalité des ministres, etc. encerclait l'Elysée avec ses chars, emprisonnait Hollande et le remplaçait par un fantoche ? Certes, les situations ne sont pas comparables et il semble bien que la démocratie, telle que nous l'entendons en France et qui est bien malade, ne puisse pas être acclimatée en Egypte, même si elle l'a été de 1920 à 1952. Répéter les justifications des putchistes ou de ceux qui les soutiennent ou qui les ont appelés au secours va dans le sens de nos passions certes, mais aussi contribue à notre aveuglement.
Là, très cher Rebeyrol, permettez-moi une dissension. On apprend que depuis "le putsch", des dizaines de femmes "en cheveux" sur la place Tahir (à ne pas confondre avec la place Taksim à Istamboul ou encore avec M. Taksin, qui, en Thaïlande, a été à l'origine d'un "printemps thaï" en mai 2010, aux ressemblances indéniables avec ceux qui font le tour de la Méditerranée depuis trois ans, mais passons), des dizaines de femmes en cheveux ne font violer ou sont victimes d'agressions sexuelles. Ce qui pourrait n'être qu'anecdotique pourrait aussi bien être essentiel. Les Frères musulmans, c'est troublant, voire un peu décevant, sont encore pire que le parti socialiste de M. Hollande. Nous ne souhaitons pas l'envoi des chars sur l'Elysée et ne rêvons pas que M. Ayrault soit mis au fer ou porté au gibet parce qu'aussi fourbes et incompétents, et sans gêne politique, que soient ces hommes et ces femmes qui exercent leur pouvoir et leur caprice à la tête de notre pays, ils ne sont pas pour autant de parfaits barbares. Leurs manières ont beau être odieuses, ils ont beau concevoir l'exercice du pouvoir comme moyen de mouler le monde et l'humanité à leur idée, nous les tenons encore à l'oeil, nous avons encore les moyens de leur faire honte, d'exposer au public leurs manoeuvres éhontées, de les défaire avec l'arme constitutionnelle, au moins tous les cinq ans. Mais tout de même, qu'à l'occasion des événements égyptiens, cela soit dit : qu'ils ne jouent pas trop non plus avec le feu -- la place de la Concorde, un peu loin de la Méditerranée, ne leur fera pas de cadeau, serait terrible, pire que toute place méditerranéenne, si d'aventure leur flirt avec les Barbares passait la mesure.
C'est quand même un peu étonnant : des bobos ont renversé Moubarak, des gogos ont tiré dehors Morsi et les islamistes par la barbe, des zozos ont nommé à leurs places des fantoches, et nous assistons en fait à une histoire pratiquement onirique où des idiots (utiles) font beaucoup de bruit pour rien, tout en continuant avec persévérance à faire pièce aux deux seules véritables forces censées être capables de tenir ce pays en main, les soumettant à leur "volonté" politique inane de marionnettes quasi inexistantes.
Ce nonobstant, quelque chose dans les rapports de forces en présence continue de m'échapper...
Je partage la perplexité d'Alain Eytan.
L'évolution rapide de la situation en Egypte semble montrer qu'il y a bien deux camps qui ne peuvent se réconcilier.
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