Les Chinois adorent Paris

Admirez la façon emberlificotée dont Le Monde parle des voleurs de grand chemin : allusion à peine voilée quand il s'agit de jeunes Tziganes, silence total lorsqu'on parle de la racaille de banlieue.


Supplice chinois à Paris

C'est une interjection bien connue de ceux qui ont vécu ou voyagé en Chine. Il suffit de prononcer "Paris", "France" ou "français" pour que vos interlocuteurs chinois, les yeux pétillants, lâchent à leur tour "langman" : un mot mandarin pour dire "romantique" (...)

Quelques jours après son mariage, Gan Di et sa femme se sont donc envolés pour Paris. Mais, lors d'un trajet en métro, la lune de miel a tourné au vinaigre. "On a profité du fait qu'il y avait du monde pour se coller à moi. Lorsque je m'en suis rendu compte [mes agresseurs], sont vite descendus", raconte-t-il. Il s'est retrouvé sans portable et sans portefeuille. "Détestables voleurs de Paris !", a-t-il témoigné sur son compte de microblogs.

La mésaventure de Gan Di pourrait sembler anecdotique, si les vols à la tire visant spécifiquement les touristes chinois, et plus largement les Asiatiques, n'avaient pris depuis deux ans une allure de phénomène. (...) En avril, les employés du Musée du Louvre se sont même mis en grève, las de courir après les pickpockets dans les salles de la Joconde et de la Vénus de Milo.

La cause de ces agressions ? Les fortes sommes d'argent liquide que les touristes chinois portent souvent sur eux. (...) A Paris, les voyageurs chinois et japonais sont également les plus dépensiers : leur "panier moyen" se situe entre 800 et 1 200 euros...

La plupart déboursent l'essentiel de leur budget dans les boutiques des grandes marques des Champs-Elysées : Gucci, Vuitton... Les bras chargés de cabas, ils deviennent en sortant des proies facilement identifiables. Nombreux sont ceux à s'être fait détrousser, notamment à proximité des hôtels de banlieue où ils séjournent le plus souvent.

Les agressions les plus spectaculaires ont eu lieu avant même qu'ils n'aient eu le temps de poser un pied dans la capitale : sur la route entre l'aéroport de Roissy et Paris. Plus précisément dans le tunnel du Landy, sur l'autoroute A1, à côté du Stade de France, lieu connu pour ses embouteillages monstres.

A au moins deux reprises, des bandes très organisées ont profité que des minibus chargés de nouveaux touristes soient à l'arrêt pour les assaillir à coups de marteau et de pierres, démolir les vitres, et arracher les sacs de leurs occupants paralysés de peur. (...)

Depuis son bureau place de l'Opéra, l'avocat Adrien Debré, lui, a vue sur les Roissybus, ces navettes qui conduisent les visiteurs de l'aéroport au cœur de la capitale. Beaucoup ont encore la mine fatiguée par le décalage horaire, l'attention relâchée, lorsqu'ils descendent des véhicules. "C'est là qu'on leur saute dessus. Ces agressions se répètent quinze fois par jour", s'alarme-t-il, dénonçant "l'inaction" de la police. (...)

Dans le reste de Paris intra-muros, il s'agit surtout de jeunes filles ou garçons originaires des pays de l'Est, pris en main par des réseaux criminels. Le démantèlement de ces derniers est long. Le jeune âge et l'absence de papiers d'identité des adolescents contraignent par ailleurs souvent la police à les relâcher après leur interpellation.

(...)

L'insécurité des ressortissants chinois est aussi devenue l'objet de tensions diplomatiques, mi-juin, après l'agression dont ont été victimes six étudiants d'une prestigieuse formation en oenologie, près de Bordeaux. Dans la nuit du 14 au 15 juin, ils ont été violemment battus pour un motif inconnu par trois jeunes de la commune rurale où ils résidaient. Les locaux, passablement éméchés, auraient ajouté aux coups une bordée d'insultes xénophobes.

(...) Ces agressions à répétition sont de plus en plus perçues en Chine comme la preuve d'un racisme rampant. Une xénophobie nourrie, selon la presse, par l'incapacité du gouvernement français à fournir des emplois à toute une part de sa population.

En 2010, la diaspora chinoise installée à Paris dans le quartier de Belleville avait été la première à fait part de ce sentiment, sortant de l'ombre à cette occasion. Elle avait alors dénoncé dans des manifestations les attaques dont elle se disait la cible, particulièrement lors des mariages où la tradition encourage les dons en liquide. (...)

Officiellement, aucune désaffection n'aurait encore été enregistrée dans la capitale de la part des visiteurs asiatiques, assure le comité régional du tourisme d'Ile-de-France. Si son président, Jean-Pierre Blat, a des inquiétudes, c'est à plus long terme : "Avec l'essor des pays émergents, Paris pourrait accueillir 10 à 15 millions de touristes en plus d'ici à 2020. Mais elle n'en a pas la capacité."

La faute au manque de sécurité dans les hôtels de banlieue. Les capacités hôtelières dans Paris intra-muros sont en effet saturées et c'est seulement au-delà du périphérique que devraient être construits de nouveaux établissements. Des quartiers dont se détournent précisément de plus en plus les agences de voyages chinoises, s'inquiète Jean-Pierre Blat.

Les hôtels dont les agences apprennent que leurs clients ont été victimes de vols ciblés sont "black-listés" (...)

Le 11 juin, la préfecture de police a mis en place un "plan" de 26 mesures. Officiellement, il concerne tous "les touristes", mais, dans les faits, il vise surtout à "sanctuariser" les lieux les plus fréquentés par la clientèle asiatique. Les représentants des grands magasins y ont même été associé.

(...)

L'innovation la plus emblématique revient toutefois au Musée du Louvre. Début juin, un local destiné au dépôt de plainte a été aménagé en accord avec le parquet de Paris. Il a été équipé d'une ligne téléphonique internationale, d'un ordinateur permettant de faire directement sa déclaration en ligne. Une place de choix lui a été trouvé : juste sous la verrière de la pyramide.

Brice Pedroletti
Journaliste au Monde

"La plupart déboursent l'essentiel de leur budget ..."

Est-ce de bonne langue ?