Le site du parti de l'In-nocence

Un doigt de porto, deux biscuits... vous reprendrez bien un peu de Léautaud ?

"L'élevage d'animaux d'un genre ou d'un autre comme moyen de faire fortune remplacé par l'élevage des enfants.
L'ère du vol, du toc, du bluff, de la bêtise, de la vulgarité, de l'ignorance, de la laideur, de la montée démocratique.
Voilà, - il manque bien des articles, - un aperçu de la société d'aujourd'hui."

Paul Léautaud, Propos d'un jour, Notes retrouvées (de 1927 à 1934), Mercure de France, 1983, page 81.

"Rien ne révèle mieux ni annonce mieux l'état de déchéance et d'abêtissement d'une société que ces mesures, dont la nôtre foisonne, d'altruisme, secours à telle sorte de gens, à telle sorte d'autres. Pour ne prendre que la France, la moitié de nous tous, nous ne serons bientôt plus occupés que de recueillir, soigner, conserver à ne rien faire les mal venus de toutes sortes vivant à nos dépens dans l'inaction, l'inutilité et l'aisance et appelés néanmoins à mourir précocement de leur état, après avoir souvent procréé des êtres à leur image, pour lesquels le jeu recommencera. Les malades du poumon, les sanatoria de tuberculeux, les extra-nerveux ou les demi-fous, on ne peut sortir dans la rue sans être abordé par un quêteur en faveur de ces bons à rien, qui encombrent la société et vivent à ses dépens. Et comme tout dans notre temps : alcoolisme (en tête), syphilis, stupéfiants, aliments plus chimiques que naturels, concourt à créer tous ces infirmes ou dégénérés ou tarés d'un genre ou d'un autre, on voit que je ne me trompe pas en prévoyant un état social dans lequel tous les bien portants, utiles pour leur travail, seront chargés d'assurer l'existence sans intérêt de tous ces déchets.
La société animale est supérieure et mieux avisés par son simple instinct. Toute femelle, dans ses portées, rejette les sujets malingres, mal venus, mal conformés. Elle ne veut pas gâcher son lait pour ces sujets qui ne doivent pas vivre et le réserve aux sujets sains.
Je regarde quelquefois à la vitre des marchands de vin, ces hommes, - et ces femmes, souvent ! - debout devant le zinc, occupés à boire, - ou, le soir, quand je rentre, ces hommes, au sortir de la gare, qui s'interpellent : "On va prendre un verre ?...", à dix minutes de leur dîner. Quel dégoût ! Quelle pitié ! Je ne les plains pas pour ce qui les attend un jour."

ibidem, page 95.

"J'ai passé les années de la guerre fort tranquillement. Je me moquais complètement des événements. Je vous dirai que j'étais amoureux. Cela renforçait encore mon indifférence naturelle. Je n'étais ni d'un côté ni de l'autre. Les deux, pour moi, se valaient. Des deux côtés, la même duperie. V... me dit un jour : "Vous êtes étonnant ! Vous continuez à juger les choses, comme cela, tranquillement... - Je suis désolé, lui dis-je. Je ne peux tout de même pas devenir bête du jour au lendemain." Que de jolis traits j'ai vus de bêtise, de crédulité, de mensonge, de bassesse, de sauvagerie, d'abaissement de soi ! Cela le patriotisme ? Merci, merci. Gardez-le pour vous."

"J'ai de l'antipathie pour les ivrognes qui compromettent, qui perdent le seul bien que nous ayons vraiment hors des atteintes du fisc : la raison. (À moins qu'un jour on établisse une échelle de taxes selon les degrés d'intelligence. Il y aura beaucoup d'exonérés.) J'ai tort. Je suis éberlué de ceux qui mangent comme des ogres, qui sortent de table congestionnés, lourds, soufflant. J'ai tort encore. Si j'aimais les vins, les liqueurs, les alcools, je serais comme eux. Je n'ai que la chance, car c'est une chance, de n'être intéressé ni par les liquides ni par la table. Des écrivains courent après les honneurs, avec la plus adroite application pour en parcourir tous les grades. Je ne les blâme pas du tout. C'est dans leur nature. Ils ne pourraient pas faire autrement. Si c'était dans la mienne, je ne pourrais pas ne pas faire comme eux. Et à ne pas faire comme eux, je n'ai aucun mérite : ces affaires ne m'intéressent pas, et , renversant la proposition, je me mettrais (artificiellement) en tête de les imiter, je ne le pourrais pas, comme un homme qu'on voudrait contraindre à faire une randonnée et qui répondrait : j'aime mieux rester assis. Car, enfin, tout de même, il me semble que si cela m'avait tenté, j'aurais pu être au moins... officier d'académie."

ibidem, page 99.
Merci, Monsieur Delautremer, de rapporter ces citations de Paul Léautaud. J'avoue mal connaître cet auteur, mais j'ai fort envie maintenant de combler cette lacune. Je me procurerai ces Propos d'un jour dès que je serai à Paris.
Je le verrais assez mal, de nos jours, "invité chez Ruquier".
Comme on verrait assez mal "invités chez Ruquier", en fait, la quasi-totalité de tous les écrivains et artistes antérieurs à la seconde moitié du XXe siècle.
J'imagine assez bien Gide et Léautaud conversant...

Léautaud, tenant une bouteille de Porto en main, s'adresse à Gide :

- un doigt ?

Gide répondant :

- non, un Porto !
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