Où la France a-t-elle commencé ? Ce "où" est géographique. Bien mal en peine celui qui le dira. Marseille est la ville qui a donné son nom à l'hymne national.
Il y a au moins deux France, celle des cathédrales, Amiens, Soisson, Reims, qui commença tard mais si bellement, et celle des très vieux diocèses romans (Arles fut le premier diocèse, premier diocèse d'Occident, s'étendant, très théoriquement, jusqu'à l'Irlande; et Aix et tout l'entour de Marseille avec les Saintes-Maries-de-la-Mer, Aix où fut le premier oratoire des Chrétiens d'Occident par Marie-Madeleine, amie du Christ, qui y débarqua, y prêcha, se retira du prêche et y mourut dans une belle assomption provençale, là-haut, dans la Sainte-Baume, aujourd'hui encore accessible aux seuls pélerins).
Alors Marseille, qui, probablement par hasard, fut le lieu de débarquement de la chrétienté bannie d'Orient qui toucha l'Occident en même temps qu'elle fut beaucoup plus tard, à l'issu d'un grand demi-tour de la roue de l'histoire, l'éponyme du nom de l'hymne de la France, faut-il s'en séparer, s'en détâcher avec un souverain, ou un fuyard mépris ?
J'ai passé cet après-midi de vendredi treize une bonne part de ma journée à arpenter ses vieux faubourgs. J'y ai vu de braves gens, un peu raide dans l'abord et le ton, comme il faut l'être dans les grandes capitales, me servir ou refuser de me servir, des femmes encapuchonnées, grassement et pauvrement musulmanes, d'autres dénudées du nombril et des gambettes, des hommes comme autrefois, articulant cet honteux accent sale et trainant que je déteste, et ces femmes au ventre parfois lâche comme cet accent, mais aussi parfois très tendu, leste et dur, et âpres du bec.
Les musulmans sont là. Absolument partout, à tout coin de rue. Je lis cependant dans le regard des sacs de blé sur pattes quelque lueur de respect pour le vieux et vénérable lieu Marseille, où toute cette nation qui les accueille, débuta fièrement, par l'exil chrétien, par la brave conquête chrétienne de l'Occident païen.
Moi, je veux que Marseille, ville qui ne fut jamais la mienne et que je n'aime pas, soit la bonne vieille capitale de la première France, celle d'avant Reims et Tours et Soisson. Cette France-là, extrêmement grandiose dans son vieux populisme et son encore plus ancien mercantilisme, il ne faut pas la renier. Elle fut, du temps du Christ, un vieux New-York de tous les pariahs de Terre Saine, elle fut l'asile de Victor et de Magdalena, le départ du plus cher de tous nos nouveaux mondes.
Jamais je ne tolèrerai sans grincer des dents que cette ville prodigieuse, patrie d'André Suarès comme d'Antonin Artaud ou de Louis Althusser, et aujourd'hui ville prodigieusement détestable, soit abandonnée des nôtres. Elle est la vieille âme souveraine et paradoxale de la France d'avant Clovis et d'après nous autres. Je sens qu'elle ne nous trahira point, qu'elle ne se laissera point faire, qu'elle n'a pas âme à se livrer, qu'elle est plus forte que ceux qui veulent la faire leur et qu'elle a besoin de nous.