Un débat a lieu, actuellement, à Cologne, à propos de la construction d’une grande mosquée. C’est un débat qui est ouvert depuis un certain temps : celui de la place de l’islam, de l’islam visible, dans une société de tradition chrétienne sous un régime plus ou moins laïc. En France, il est arrivé qu’on interdise aux cloches des églises de sonner pour ne pas offenser la sensibilité des musulmans. Je n’ai jamais entendu qu’un appel à la prière, pourtant autrement audible et plus fréquent dans la journée, fût suspendu pour être agréable aux chrétiens, aux juifs et aux athées et autres zoroastriens vivant sur le même sol. Ces derniers étant souvent, avec les chrétiens, autochtones à un titre que ne peut revendiquer l’islam.
La gauche d’ici et d’outre-Rhin, sous l’obsession qui est la sienne d’être dans droit chemin, plus que de conclure après une saine et froide analyse des enjeux de chacune des questions, fait montre d’un pavlovisme inquiétant. Quiconque veut interdire le développement visible, et parfois assez agressif, d’une religion allogène, qu’il s’agît de l’islam ou d’une autre religion (mais pour des raisons démographiques, il s’agit le plus souvent de l’islam), sans en contester la légitimité sur le sol du pays en question, ni manifester la moindre vélléité d’interdiction du culte et de la pratique de ladite religion, se voit traiter d’islmaphobe (en l’espère). Cela à la faveur d’un triple amalgame : musulman = colonisé = victime ; or, il faut être du côté des victimes en toute occasion. Le bât blesse en ce que toute victime n’est pas colonisée ou descendante de colonisée, tout colonisé ne fut pas mulsuman et ne l’est pas toujours. De même, tout musulman ne fut pas colonisé (les Turcs ne le furent jamais, il furent au contraire colons), tout colonisé ne fut pas victime, et surtout, ses descendant ne le sont bien souvent plus du tout, sinon de manière tout à fait symbolique, pour ainsi dire nostalgique, en s’identifiant à ceux qui furent et colonisés et victimes. C’est donc bel et bien une imposture intellectuelle, historique et morale que de se présenter comme victimes de l’histoire, de la société et d’un rejet d’une société qui, par ailleurs, accorde les mêmes droits aux nouveaux venus et aux nouvelles pratiques venues qu’aux autochtones et aux pratiques autochtones. Nul espace, hors l’Occident, ne pratique une telle ouverture et une telle générosité. Si subsistent, ici et là, racisme et discrimmination, c’est contre toute loi et toute tradition politique récente. Au contraire, des pays dont sont souvent issus les plus agressifs des accusateurs des Européens, soutenus par leurs Tartuffe de complices que sont les belles âmes de gauche et d’ailleurs, prompts à engager des combats indolores, face à un ennemi inventé (puisque les textes juridiques leur interdise toute expression publique, ce qui est heureux).
Voici quelques réactions rapportées par Marc Cohen (www.causeur.fr), en Allemagne :
« Pour les musulmans, les mosquées ne sont pas des lieux sacrés comme les églises ou les synagogues, mais des “bâtiments multifonctions.” L’islam ne se perçoit pas seulement comme une vision spirituelle du monde. La vie quotidienne, la politique et la foi, sont perçues comme un tout indissociable. Ainsi, de nombreuses associations musulmanes en Allemagne jouent le rôle d’un parti religieux et représentent des intérêts politiques. C’est pourquoi la construction de la mosquée n’est pas une question de liberté de culte, mais une question politique. »
Ces paroles sont de la sociologue allemande d’origine turque Necla Kelek, publiées dans les colonnes de la Frankfurter Allgemeine Zeitung.
L’écrivain juif allemand Ralph Giordano, 84 ans, survivant de la Shoah, qui fut félicité par l’extrême droite pour des propos hostiles à la mosquée (mais nullement aux musulmans : « Certains affirment que la construction de cette mosquée serait le symbole d’une meilleure intégration. Je réponds non, trois fois non : les mosquées sont le symbole même du développement d’un monde parallèle. »), s’énerva (lors d’un débat télévisé) contre les accusations des Tartuffe de gauche, résistants de salon :
« Il est détestable qu’un faux allié tente de venir vous taper sur l’épaule, mais il ne faut pas pour autant se laisser museler. Et puis zut, il n’est pas nécessaire d’être un survivant de l’Holocauste pour faire front, avec civisme et courage, face aux illusionnistes multiculturels, aux borgnes xénophiles et aux doctrinaires de l’apaisement qui se cachent encore derrière des schémas de pensée de gauche. Personne ne devrait se laisser intimider par la diffamation politique, qu’elle soit le fait des Allemands ou des musulmans. »
L’intimidation idéologique est aujourd’hui le plus sûr allié de la barbarie : il suffit de passer pour raciste pour le devenir publiquement. Benoît Duteurtre raconte cela très bien dans le dernier numéro (n° 55) de l’Atelier du roman à propos de Pascal Sevran, doublement piégé par un montage de citations et par une campagne raccoleuse d’un quotidien qui peine à trouver des lecteurs. Le reste de la presse, toujours heureuse de redresser des torts, réels ou imaginaires, s’engagea sans examen dans la bataille, ne laissant guère la solitaire victime se justifier ou se défendre, ne lisant pas du tout l’ouvrage où étaient sensées se trouver les citations, se satisfaisant d’un gibier facile, en fin de carrière et passé de mode, précipitant sa fin tout court, puisque la maladie qui le saisit immédiatement après l’emporta rapidement. Ironie de l’histoire, une partie de la presse le tua quelques jours avant sa vraie mort, en annonçant à tort son décès : elle l’avait en fait déjà tué, médiatiquement et moralement, son erreur fut en fait un acte manqué, un lapsus, une trahison de ce qui dicte son discours.
Il faut des reins solides pour résister à l’opprobre public, survivre à une indignité médiatique et continuer, envers et contre tout, à dire ce qu’on croit intimement être le vrai, le juste et le beau, à le défendre, à le démontrer et à attaquer son contraire. Son contraire est polymorphe, mou, sans défense, changeant, plus malléable que de la patte à modeler. Le saint du jour est le diable de demain. Ce qui compte c’est d’être de ceux qui annonce les rôles, cela préserve de la diabolisation en permettant une petite participation à la sainteté… mais cela ferme aussi la voie de la vraie sainteté : raison pour laquelle les journalistes s’improvisent souvent grand-reporters (ex. Florence Aubenas) ou prescripteurs sociaux (ex. Christophe Nick) sans compétence aucune que la certitude d’être la seule morale bonne. Quant à avoir les moyens de comprendre le réel dont on s’improvise le rapporteur, compétence linguistique, sociologique, institutionnelle, etc., la chose est de peu de poids quand on a transcendantalement raison !
Pour revenir à l’affaire de la mosquée : les gens devraient avoir le droit de décider de l’usage qui est fait de leur espace public (sans qu’un état étranger ne s’en mêle), dans un régime démocratique ; de même que les gens devraient avoir le droit, s’ils le veulent, de ne pas être ouverts à l’immigration (aussi immoral que cela paraisse) : l’espace public d’un pays appartient aux citoyens dudit pays. C’est donc à eux de décider de l’usage qui en est fait, pas aux prescripteurs auto-proclamés (et souvent fort ignorants et incompétents) s’autorisant de leur seule visibilité (qui est déjà un usage, en partie illégitime, et rarement légitimé par la compétence) médiatique.