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Jean Clair et Picasso

Envoyé par Henri Rebeyrol 
14 janvier 2015, 09:54   Jean Clair et Picasso
Dans La Nouvelle Revue Française (n° 170, du 1er février 1967), a été publiée, à l'occasion de l'exposition Picasso au Grand Palais (une rétrospective de son oeuvre), une rapide étude (six pages, p. 356 à 361) de Jean Clair, intitulée "Contester Picasso" (sans point d'interrogation). Des trois études publiées dans cette livraison (auteurs : Esteban, Revol et Clair), c'est la seule qui ne verse pas dans l'enthousiasme aveugle, lequel, déjà en 1967, était la seule réaction acceptable.

Jean Clair avait alors 27 ans et, écrivant sous un pseudonyme, il avait commencé moins d'un an auparavant une carrière de conservateur. Pour lui, Picasso choisit de "rester extérieur" à ce qu'il représente (aucune affection et beaucoup de désinvolture par rapport à ce qui est représenté); il révolutionne les formes, mais dans le sens propre du mot "révolution" (retour au point de départ), quand il renoue avec les formes de la sculpture celtique (retournement de la pensée historique en pensée mythique et régression vers une mentalité "primitive"); enfin il préfère la créativité à la création, le geste à l'oeuvre, l'improvisation au long travail, les traces de l'intention créatrice au tableau...

Je suis allé voir le musée Picasso dans l'Hôtel Salé rénové, où, sur quatre niveaux, sont exposées des centaines d'oeuvres, classées dans un ordre raisonné et admirable, à peu près chronologique aussi (ce musée en possèderait plus de 4000). J'avais lu, il y a longtemps, cette étude de Jean Clair et je n'en avais pas conservé de souvenir. J'ai pu lors de cette visite faire une expérience similaire à celle de Clair en 1966 ou 1967 : à l'Hôtel de Salé, j'ai vu, accroché aux cimaises, l'académisme du XXe siècle (et du XXIe siècle ?), au sens où les toiles de Picasso - quasiment toutes - ont nourri tous les académismes de la "modernité" et du "contemporain" (Koons, Saint-Phalle, Andy Warhol, installations, performances, etc.) : à savoir froideur de l'artiste, artificialité de l'expérimentation, immense talent de peintre prodige gâché, acharnement sur les grands maîtres de l'histoire de la peinture. L'exemple le plus éloquent est la parodie coréenne (peu commentée, et pour cause !) du Tres de Mayo de Goya. Goya défendait la liberté du peuple espagnol; Picasso prend la défense d'un régime qui martyrise les Coréens (du Nord) depuis plus de 60 ans.

Pourtant, le bâtiment, construit dans les années 1660 (dates à vérifier), est d'une beauté à couper le souffle : on peut y voir l'essence de l'esthétique française, celle de l'hôtel, c'est-à-dire de la grande maison où sont accueillis avec courtoisie et élégance des "hôtes" (aussi bien le maître des lieux, plus dépositaire d'un chef d'oeuvre que propriétaire, que ses invités) et où tous ces rites se font pour le plaisir des sens et de l'esprit. Choisir un édifice aussi beau, fait pour l'art de la conversation et la gloire des arts, aussi spécifiquement "français", pour y exposer un "artiste financier", sans doute cupide, qui est à l'origine de tous les académismes spéculatifs et rémunérateurs du XXe siècle, c'est, ironiquement, faire subir à cet hôtel le détournement que Picasso a imposé au Tres de Mayo.
16 janvier 2015, 17:05   Re : Jean Clair et Picasso
Ce qui est étonnant, c'est que Jean Clair soit devenu ensuite le directeur du musée Picasso, de 1989 à 2005.
Je me demande quel est son point de vue actuel sur Picasso.
Personnellement, Picasso, à partir de la période cubiste inclusivement, m'indiffère à peu près complètement.
J'aime certains modernes ou contemporains célèbres (et d'autres qui sont obscurs), lui non.
Je suppose que j'ai mauvais goût...
16 janvier 2015, 17:12   Re : Jean Clair et Picasso
Non, ce n'est pas si étonnant, cher Page. Dans l'Administration culturelle, les dirigeants prennent les postes qui se présentent. Comme les ministres, si vous voulez. Ils administrent, n'ont nul besoin, dans l'état actuel des choses, d'avoir la moindre affinité avec l'artiste, ou le sujet, ou la période représentés. Ils savent s'entourer de spécialistes, ne vous inquiétez pas. Et tirer profit de l'érudition qu'eux-même n'ont pas forcément.
Cher André Page,

Thierry a raison : administrer, c'est un métier. Le fonctionnaire d'autorité doit savoir faire taire ses passions pour accomplir son devoir, et savoir s'entourer d'avis compétents.
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