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Un projet apocalyptique moderne : l'Etat islamique au Proche-Orient

Envoyé par Francis Marche 
On s'en doutait un peu : le Daech applique une stratégie apocalyptique au sens littéral et historique du terme. Il est une émanation politique millénariste classique dans un moment charnière du chiliasme (2000 ans d'histoire chrétienne, et presque quatorze siècles d'histoire islamique). Mais on ignore généralement les détails de cette stratégie. Un article de la revue américaine Atlantic vient combler nos lacunes. On y apprend que le Daech attend "les armées de Rome" à Dabik, lieu que leur prophète avait désigné comme théâtre d'une bataille de fin des temps avec "Rome", soit l'Occident, qui devrait y connaître là, bientôt, son Waterloo:

The Islamic State has attached great importance to the Syrian city of Dabiq, near Aleppo. It named its propaganda magazine after the town, and celebrated madly when (at great cost) it conquered Dabiq’s strategically unimportant plains. It is here, the Prophet reportedly said, that the armies of Rome will set up their camp. The armies of Islam will meet them, and Dabiq will be Rome’s Waterloo or its Antietam.

“Dabiq is basically all farmland,” one Islamic State supporter recently tweeted. “You could imagine large battles taking place there.” The Islamic State’s propagandists drool with anticipation of this event, and constantly imply that it will come soon. The state’s magazine quotes Zarqawi as saying, “The spark has been lit here in Iraq, and its heat will continue to intensify … until it burns the crusader armies in Dabiq.” A recent propaganda video shows clips from Hollywood war movies set in medieval times—perhaps because many of the prophecies specify that the armies will be on horseback or carrying ancient weapons.

Now that it has taken Dabiq, the Islamic State awaits the arrival of an enemy army there, whose defeat will initiate the countdown to the apocalypse. Western media frequently miss references to Dabiq in the Islamic State’s videos, and focus instead on lurid scenes of beheading. “Here we are, burying the first American crusader in Dabiq, eagerly waiting for the remainder of your armies to arrive,” said a masked executioner in a November video, showing the severed head of Peter (Abdul Rahman) Kassig, the aid worker who’d been held captive for more than a year. During fighting in Iraq in December, after mujahideen (perhaps inaccurately) reported having seen American soldiers in battle, Islamic State Twitter accounts erupted in spasms of pleasure, like overenthusiastic hosts or hostesses upon the arrival of the first guests at a party.

The Prophetic narration that foretells the Dabiq battle refers to the enemy as Rome. Who “Rome” is, now that the pope has no army, remains a matter of debate. But Cerantonio makes a case that Rome meant the Eastern Roman empire, which had its capital in what is now Istanbul. We should think of Rome as the Republic of Turkey—the same republic that ended the last self-identified caliphate, 90 years ago. Other Islamic State sources suggest that Rome might mean any infidel army, and the Americans will do nicely.


L'article original est en accès libre en intégralité :
What ISIS really wants par Graeme Wood
Il propose une analyse particulièrement bienvenue dans la conjoncture actuelle où l'administration Obama semble ne pas trop savoir comment interpréter le Daech ni comment s'y prendre pour terrasser ce dragon. La thèse centrale de cette étude est que le Daech a tout à voir avec l'islam d'une part, et d'autre part qu'il s'inscrit dans le motif anthropologique bien connu de l'apocalyptique. Ses chefs et ses penseurs appliquent une vision de l'histoire cyclique, millénariste qui doit être reconnue comme universelle dès lors que l'Occident l'a eue, tantôt consciemment, tantôt inconsciemment (comme aujourd'hui) en partage avec le reste de l'humanité en général et toutes grandes civilisations en particulier (voir à ce sujet le livre de Jacob Taubes Eschatologie occidentale paru à Vienne à la fin des années 1940 [*]). A lire et à faire connaître.

J'ajoute à ce propos que le rêve fou du Daech d'envahir la péninsule italienne par la Libye s'éclaire d'un jour particulier à la lecture de cet article qui nous fait mesurer l'obsession qu'entretient ce mouvement pour son projet d'anéantissement militaire et spirituel de Rome, qui semble être pour ces islamistes ce que Babylone avait été pour d'autres apocalyptiques orientales (juives) et occidentales (cf. celle des Puritains du XVIIe siècle, qui désignaient la Papauté romaine comme the Whore of Babylon d'après l'Apocalypse de Jean).
Voir cette page de Wikipédia : [en.wikipedia.org]



[*]De Jacob Taubes, extraite de cet ouvrage, cette définition, essentielle pour comprendre l'apocalyptique :

En tant qu'histoire, le monde n'a pas son centre de gravité dans l'éternel présent de la nature, mais il se nourrit de la Création du commencement et il est ordonné à la Rédemption finale. L'événement individuel sert la marche de la Création vers la Rédemption. Il ne porte pas son sens en lui-même mais laisse entrevoir l'ordre de la Création et vise en direction de l'ordre de la Rédemption. Un événement se rapporte toujours à un eschaton. L'eschaton, c'est le "alors" [Einst] en un double sens : à la fois le "alors" de la Création : axiologie, et le "alors" de la Rédemption : téléologie.

Le millénarisme apocalyptique conjugue l'axiologie de la Fondation/Création et la téléologie de la Rédemption. Il faut bien mesurer -- à l'intention des ardents partisans d'une causalité monodirectionnelle orientée du passé au futur et exclusivement assujettie à la temporalisation subjective vécue comme naturelle -- que ce que fait le Daech puise sa cause dans la fin des temps : il a pris la ville de Dabik non point parce que l'auraient conduit à le faire quelque chronologie événementielle ordonnée à la flèche de la temporalisation naturelle mais en soumission à une prophétie -- soit un jeté téléologique à partir duquel toute l'Histoire est tirée comme un fil, comme un filin de pêcheur qui serait hissé vers la berge où se tiennent les acteurs de l'histoire, en attente de se saisir de leur proie dernière. Ainsi opère le Daech. Cependant que l'Occident, dont l'eschatologie s'est noyée, ordonne son action au passé immédiat et à ses traumatismes et ne fait que réagir aux pro-jections des autres.

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