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Généalogie malheureuse du Padamalgam

Envoyé par Thomas Rhotomago 
Au chapitre des extraits de publications des autres revues, on trouve ceci, dans la NRF de mars 1953 :

"Voici la réponse de Roger Caillois à l’enquête d’Evidences touchant les récentes manifestations d’antisémitisme (ou d’anti-sionisme) à Prague et à Moscou :

Toutes les formules de votre enquête me paraissent malheureusement exactes, toutes ses craintes justifiées. Il ne constitue guère qu’une adaptation de l’antisémitisme aux circonstances politiques actuelles et à une tradition particulière. Leur doctrine défend à certains gouvernements de faire profession de racisme, mais il ne s’en suit pas pour autant qu’ils s’interdisent par principe de recourir aux forces vives ou ravivées de l’antisémitisme traditionnel dans les territoires qu’ils contrôlent. Il est clair néanmoins qu’ils ne peuvent se dispenser de mettre à jour et d’accorder à leur doctrine la construction intellectuelle que leurs théoriciens ont coutume de nommer, quand il s’agit des autres, « idéologie » qui leur est nécessaire pour justifier toute nouvelle orientation de leur politique.
La persécution n’est, alors, plus fondée sur les chromosomes, mais sur un devenir historique qui fait présumer en chaque israélite un espion virtuel ou un saboteur en puissance : il faut avouer que le changement intéresse davantage les raisons alléguées par les persécuteurs que la personne et le sort des persécutés. Voici donc un phénomène où l’on constate, d’une part, un déplacement constant de l’idéologie chez les responsables successifs de l’opération : d’autre part, une permanence presque immuable dans la désignation des victimes. […]

Au fond, la hiérarchie au pouvoir vient de créer un de ces couples d’adjectifs presque synonymes, mais subtilement et dangereusement contradictoires, grâce auxquels elle a coutume de faire sentir à tout moment l’absolu et l’arbitraire de sa puissance. On savait déjà que le même individu pouvait, pour les mêmes actes et au choix des autorités, être estimé patriote (et par conséquent louable) ou nationaliste (et par conséquent coupable). Inversement, son attitude, dans telles ou telles circonstances, pouvait être indifféremment condamnée comme cosmopolite ou approuvée comme témoignant d’un véritable esprit international. De la même manière, selon le verdict de l’orthodoxie, être estimée antisioniste, et elle en deviendra méritoire et recommandée, ou tenue pour antisémite et elle apparaîtra aussitôt criminelle. […]

Mais ceci s’éloigne de la question que vous posez et à laquelle on peut répondre dans les termes suivants, en employant une dernière fois le vocabulaire marxiste : la couverture philosophique ne compte pas beaucoup ; un gouvernement, un parti, une organisation quelconque est « objectivement » (on connait l’usage et la portée de cet adverbe dans le langage en question) antisémite dès qu’il souligne ou met en valeur chez un prévenu sa qualité de juif, de telle façon qu’une relation de cause à effet entre la faute reprochée et la qualité mentionnée s’en trouve suggérée dans l’opinion publique. Ce critère, tout brutal qu’il est, me parait susceptible d’apporter un peu de netteté dans des discussions où passions et calculs se conjuguent trop bien pour provoquer une confusion extrême. »
La prose convolue et sans charme, -- les termes abstraits s'y entrechoquent en permanence et sans jamais l'agrément du moindre trope in abstentia ni le moindre soupçon de métaphore vive --, de Caillois était néanmoins très rigoureusement exacte. Deux traits (convolution et exactitude) qui la rendent à double titre imbitable aux yeux de nos contemporains.
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