Ce jardin français qui n'est plus.

"La peur française provient de ce que le Français incarne le type psychologique de l'introverti émotionnel. Comme tel, il vit simultanément dans deux mondes hermétiquement fermés l'un à l'autre, dont l'un correspond au principe freudien du plaisir et l'autre au principe de réalité du même auteur. (...) Il est bien vrai que la caractère français a aussi sont côté dur. C'est là ce qui compense partout la "douce France", le pays de la beauté, de la clarté et de la joie de vivre. Ce côté-là est incarné, dans son aspect de peur antipathique, à l'heure où j'écris, avec netteté d'archétype, par Poincarré. La particularité française consistant à vivre simultanément dans deux mondes hermétiquement fermés l'un à l'autre se manifeste forcément sous forme d'opposition polaire. Ainsi le bourgeois français de type extrême est beaucoup plus désagréablement bourgeois que le bourgeois allemand, ce n'est pas un philistin débonnaire, c'est le "particulier", sous forme du bureaucrate mesquin et tatillon. Ainsi le paysan français, dans son âpreté au gain, est dur comme une ancienne racine. Ainsi le Français le plus léger est, d'autre part, toujours un homme d'épargne, plus avare que l'Allemand le plus calculateur. Ce côté dur et souvent odieux forme, pour ainsi dire, le squelette de la nature statique du français. Ce n'est que grâce à lui que la France, depuis les temps antiques, a pu conserver si tenacement son individualité traditionnelle. C'est précisément grâce à ce côté que dans toutes les circonstances la France "tient" comme elle a tenu encore pendant la guerre mondiale. Le fait est que la France, en tant que jardin, est un pays essentiellement fermé. Si l'étranger y vient en qualité de visiteur, pacifique et surtout désireux d'apprendre, il est accueilli en ami. En toute autre qualité, il est, sans plus, traité en cambrioleur.
Or, aujourd'hui la position de la France en tant que jardin n'existe plus. Les hommes ont autre chose à faire qu'à le protéger. La psychologie du jardinier rencontre chaque jour moins de compréhension."


Kerserling, Analyse spectrale de l'Europe, p.44. éd. Gonthier.